Lancées en octobre 2016, les soirées Electrons Libres se sont forgées en une poignée d’éditions une sacrée réputation auprès des passionnés de sciences et de musiques électroniques. Il faut dire que les artistes invités (Robert Henke, Panteros666, Graham Dunning…) et les thèmes abordés (“les codes de l’art vivant”, “la réalité virtuelle”…) ont toujours été à l’avant-garde des réflexions sur l’art numérique. Pour la prochaine édition, les spectateurs seront amenés à admirer, entre autres, des automates percussionnistes, à fusionner avec le ballet chorégraphique d’un projecteur ou encore à percevoir une musique composée à partir de sons de néons et d’ampoules à filament… Un programme hybride où la robotique, la physique et la mécanique se conjugueront autour d’un dénominateur commun : la “low-tech”. Un fil d’Ariane salutaire en ces temps d’overdoses technologiques comme nous explique Cédric Huchet, le programmateur “Art Numérique et Multimédia” de Stereolux.
La prochaine soirée Electrons Libres résonnera agréablement low tech dans ses performances artistiques. C’est une décision forte et voulue de votre part ?
Pour tout vous avouer, ce n’était pas notre intention première, mais lorsque nous avons effectué nos premiers choix artistiques pour cette soirée, l’idée s’est imposée d’elle-même. L’ensemble de ces artistes travaillent sur des éléments physiques et mécaniques qui nous amènent à nous confronter à ce point d’ancrage. Comment confronter la finitude du corps humain et la dimension presque infinie d’une machine ? La “low tech” est un concept vaste et transversal qui a pour but de valoriser le capital humain à travers un rapport subtil entre bricolage, mécanique et physique. Ce concept nous amène à redéfinir notre propre lien avec notre époque.
Comment définiriez-vous de manière simple ce concept de “low tech” ?
C’est un ensemble de techniques et de pratiques artistiques, industrielles et économiques qui visent à prendre le contre-pied de notre course technologique en avant irrépressible. Le mouvement “low tech” souffre d’une méconnaissance, pour la plupart des gens c’est un oxymore insurmontable. Pourtant, il ne s’agit pas de revenir à la bougie ou de se chauffer avec un poêle, loin de là, mais de conserver un niveau de confort et de civilisation agréable tout en évitant les chocs des pénuries à venir. Montrer que la vraie modernité ne se trouve pas exclusivement dans des gadgets futuristes, mais dans une recherche technologique sobre et résiliente. Prenons l’exemple de FIXIN : sur scène Sylvain Darrifourcq étend ses capacités de percussionniste grâce à une foule de moteurs et d’outils numériques. Sa performance oscille entre mécanisations du geste humain et l’humanisation de la machine, si bien qu’il devient sans fard un “batteur augmenté”. Devant sa chorégraphie, on retrouve la vraie magie de la narration technique.
“Augmenté”, un vocabulaire qui fait plutôt référence dans l’imaginaire collectif au “high-tech”, au futur, voire à la science-fiction ?
C’est bien là, le nœud du problème. La technologie effectue une prise d’otage sémantique qui agit sur nos consciences. Une innovation peut être “low tech”, une performance artistique peut être “augmentée” sans être “high-tech”. Il existe une mainmise sur toutes les strates de notre société pour que tout soit le plus “geek” possible et nous sommes à la fois tous victimes et acteurs de cette situation. À mon sens, les artistes sont les premiers dissidents, les premiers esprits à prendre de la hauteur vis-à-vis de cette corrélation entre création et technologie. Ce sont les premiers à définir une dimension esthétique du “low tech” à travers des performances et des chorégraphies qui invitent à retrouver la vraie magie de la narration technique.
Un livre référence de Phillipe Bihouix, L’âge d’or des low tech, est sorti en 2014… Pourquoi six ans plus tard le grand public a toujours du mal à se sensibiliser à ce principe ?
La majorité des médias se trouve dans un courant et un mode de pensée en accord avec les sociétés dans lesquelles elle œuvre. C’est donc difficile dans ce cas de médiatiser la “low tech”. Dans la tête des gens, c’est plus facile et évident de parler de mode ou de nourriture responsable que de concevoir du numérique responsable. C’est antinomique à leurs yeux. Nous pouvons tous conserver nos outils technologiques, mais essayons de les utiliser et de les renouveler de manière consciente et éclairée. Est-ce que cette nouvelle définition d’écran d’ordinateur va réellement changer mon quotidien ?
L’art est donc un moyen d’éveiller les consciences ?
L’art esthétique oui, l’art militant plus difficilement. Prenons l’exemple du “hacking”, c’est un un mouvement purement “low tech” quand on analyse leurs revendications : lutte contre la généralisation des licences et des supports, combat contre le mode opératoire et commercial des géants du web… C’est aussi un courant très militant et offensif. Cette radicalité peut rebuter et isoler du grand public. Les artistes présents lors de notre soirée ne sont pas des artistes politiques hyper-engagés. Ils recyclent, ils économisent, ils travaillent sur de la matière, des principes mécaniques… Ils essayent, par leur prise de conscience individuelle, d’apporter une vision esthétique, écologique et compréhensible de la “low tech”. Cette méthode plus douce est, à mon sens, la plus efficace pour toucher le plus grand monde.
La musique semble être un domaine d’expérimentation foisonnant pour la “low tech” ?
C’est une évidence, il suffit de regarder l’importance de la culture “8bits” ou des synthétiseurs modulaires dans la culture électronique actuelle. Aujourd’hui les artistes les plus respectés ne sont pas les DJs sur laptop, mais plutôt ceux qui travaillent avec des instruments ou encore ceux qui collaborent avec d’autres artistes pour créer des sons organiques. La vraie essence d’un artiste électronique est d’être un bricoleur d’instruments, un bâtisseur de rythmes et en ce sens, la “low tech” est un terrain de jeu quasiment infini.
Le Stereolux accueillera donc les spectacles “FIXIN” de Sylvain Darrifourcq et “Mom” de Thomas Laigle le 22 juin, puis “Acapulco Redux” de Julien Deprez et “FLUX” du collectif Ayekan le 23 juin. Toutes les informations et le programme de la soirée sont à retrouver sur le site de Stereolux.