Pour sa troisième édition, qui a eu lieu du 23 au 30 avril, le festival nantais Variations a poursuivi son travail de décloisonnement des genres, avec une programmation toujours aussi recherchée et passionnante. Centrée autour des claviers et pianos, elle a exploré aussi bien la pop que la musique contemporaine, le jazz que le classique, tout en réservant une belle part à l’électronique, et ce dans plusieurs lieux emblématiques de la ville.
Bien que centré au Lieu Unique, le festival livrait un de ses premiers concerts le 25 avril au Warehouse, qui s’est rapidement imposé comme un rendez-vous incontournable pour les amateurs de techno nantais. C’est le tout aussi incontournable producteur allemand Apparat qui ouvrait le bal, avec sa formule live issue de son nouvel album solo LP5. Entouré de quatre musiciens multi-instrumentistes, l’artiste leur a laissé les claviers pour se concentrer sur la guitare électrique et le chant, tandis que ses comparses se partageaient guitare basse, claviers, batterie, mais aussi violon, violoncelle et trombone. La technologie s’est faite discrète pendant ce set, sans jamais vraiment disparaître, laissant vivre une pop aérienne et mélancolique, très sophistiquée. Les instruments à cordes se mêlent à la voix habitée d’Apparat, décuplant l’émotion. Petit à petit, cependant, le beat se fait de plus en plus marqué, la musique s’emballe. Les sons prennent de plus en plus d’ampleur, lorgnant tout autant vers le post-rock que la techno, pour finir dans une transe furieuse. Dommage que le son n’ait pas été à la hauteur de la subtilité des compositions, écrasant les basses et noyant parfois les sons électroniques dans le mixage. Malgré tout, dès que le groupe s’est donné le temps d’étirer ses compositions, il a atteint des sommets.
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Le lendemain, c’est le duo Villeneuve et Morando qui jouait pour la dernière prestation du Dance Park, lieu créé spécifiquement pour le Lieu Unique en novembre. Profitant de leur ambient pleine de mystère, la chorégraphe Olivia Grandville et ses trois danseurs ont livré une performance tourmentée, dont on ressort pourtant incroyablement apaisé. On retrouve le même duo le samedi aux ateliers de Bitche, à 500 mètres de là, en collaboration avec le trio à cordes Vacarme – dont les membres ont collaboré avec Rone, le groupe indie folk nantais Mansfield.TYA ou la pianiste Jeanne Cherhal. Profitant de l’intimité du lieu, l’électronique et l’acoustique se sont mêlés pour créer des paysages sonores mélancoliques et hypnotiques, pour une musique minimaliste évoquant autant Steve Reich que Brian Eno. Mention spéciale au dernier titre, qui a transporté le public dans une profonde méditation.
Ce samedi se poursuit le soir au bar du Lieu Unique, avec Étienne Jaumet puis Ahmedou Ahmed Lowla à 22h30. Le premier, membre de Zombie Zombie, reprend ses classiques de jazz favoris, et les réinvente à la sauce synthétique, seul en scène. Virant de plus en plus vers la techno, il a parfaitement préparé le terrain au mauritanien qui lui succède sur scène, dans une robe traditionnelle. Par un acte relevant sûrement de l’alchimie, il a transformé les sons incroyablement kitsch de son synthétiseur Yamaha low cost en matière première pour une musique festive. L’artiste a préalablement modifié chaque hauteur des notes, afin de pouvoir coller aux échelles du système mauritanien, très complexe et jouant sur des intervalles inférieurs au demi-ton (comme le reste des gammes arabes). À l’aide de son excellent percussionniste, Ahmedou Ahmed Lowla a transmis son incroyable énergie au public une heure durant, profitant de l’exiguïté du lieu pour faire monter la température.
Le lendemain, l’ambiance redevient bien plus douce avec la collaboration entre Eklekto et l’Ensemble 0, jouant pour la première fois l’oeuvre Open Field de Tristan Perich. Combinant trois vibraphones et de l’électronique 1-bit, les musiciens ont offert un travail rythmique très précis générant un véritable flux sonore, tel qu’on peut l’entendre dans les œuvres de Philip Glass. Les sons acoustiques et électroniques s’enchevêtrent, et on se retrouve pris dans un fleuve, dense mais pourtant toujours fluide, bercés pendant une heure.
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Mais le point d’orgue de ce week-end avait lieu le dimanche soir, avec la présence de Terry Riley, créateur de la musique minimaliste aux côtés de Philip Glass et Steve Reich dans les années 60, un artiste majeur qui a su influencer aussi bien Brian Eno que Kraftwerk. En compagnie de son fils Gyan à la guitare électrique, il a ouvert son set au synthétiseur, dans une musique croisant jazz et transe répétitive. Pendant une heure, il alterne entre piano et synthé, chantant parfois d’une voix émouvante, faisant sentir le poids du temps et rappelant la mélancolie d’un Moondog. Très improvisée, la musique formée par le père et le fils témoigne d’une grande complicité, ainsi que d’une maîtrise rythmique impressionnante lorsqu’on sait que Terry Riley va fêter ses 84 ans en juin. Arrivé au deux tiers du concert, comme un symbole du décloisonnement des genres cher au festival, et de la fraîcheur du compositeur, celui-ci se penche subitement sur une tablette numérique, et en tire des textures synthétiques denses et déstructurées. Son fils monte la saturation de la guitare, et la musique devient alors expérimentale, sombre, alors qu’un violoncelle plaintif résonne au milieu de nappes de synthétiseur. Puis tout aussi subitement, l’américain retourne à son piano, et livre une nouvelle structure complexe entre jazz et minimalisme, terminant son concert sur une entêtante basse à 11 temps. Un moment magique, qui clôt le week-end avant le dernier concert du festival, par Dead Can Dance, le 30 avril.
Avec sa programmation pointue, capable de satisfaire le mélomane le plus exigeant que ce soit en électronique, jazz, classique ou musique contemporaine, voire même pop, Variations s’impose comme le festival défricheur du paysage nantais. Sa variété de lieux, bien que certains semblent moins bien adaptés à la formule, permet de faire un voyage musical où se rencontrent différents mondes, sans jamais perdre en cohérence, notamment grâce à cet accent mis sur la musique minimaliste et ses dérivés. Car, comme une variation classique brodant de multiples canevas autour d’un unique thème, le festival explore toutes les possibilités du minimalisme musical joué sur clavier.