Nantes : Le collectif féminin Zone Rouge brise le plafond de verre de la musique électronique

Écrit par Flora Santo
Photo de couverture : ©Ex Luisa
Le 21.12.2020, à 10h34
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©Ex Luisa
Écrit par Flora Santo
Photo de couverture : ©Ex Luisa
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Lancé en octobre 2019, Zone Rouge est le premier collectif dédié aux musiques électroniques exclusivement féminin de Nantes. Espace artistique fait de rythmes breakés, downtempo, deconstructed club et bass music, de rouge puissant et de femmes guerrières, ses co-fondatrices Anaïs et Anaëlle sont décidées à remuer la scène techno nantaise pour laisser la place aux talents féminins. Et entre collaborations avec le 44 Tours, le Macadam, Askip et la radio DY10, Zone Rouge est bien parti pour faire porter sa voix dans la cité des Ducs.

Il existe, dans une grande ville des Pays de la Loire, un groupe d’irréductibles passionnées bien décidées à faire bouger l’ordre établi. À Nantes, le collectif Zone Rouge apporte un souffle nouveau à une scène électronique bien vivante mais prise d’assaut par la communauté masculine.

Lorsqu’Anaïs et Anaëlle, alias Soa et Aasana, se rencontrent alors qu’elles travaillent toutes les deux au Macadam, l’un des principaux clubs techno de la ville, et pour le collectif Androgyne, elles partagent une même frustration : celle d’être passionnées de musique électronique, mais de ne pas parvenir à s’y faire une place. « On a toujours été les personnes de l’ombre, avec qui on ne parlait pas forcément de musique, alors qu’on a une culture musicale et qu’on avait envie de l’exprimer », raconte Anaëlle. « Donc on s’est dit qu’il fallait qu’on se lance et qu’on ait un pied dedans pour que les gens s’en rendent compte, de façon locale déjà ». Travaillant dans le milieu de la nuit, elles font le constat malheureux d’un monde de la fête encore trop violent, où la piste de danse n’est pas toujours un endroit sûr : « En travaillant dans l’équipe d’accueil d’un club, on voyait très bien ce qu’il se passait, les agressions… », explique Anaïs. « Et pour nous en tant que femmes c’était très compliqué de gérer ça, parce qu’on avait beaucoup d’empathie et on voyait bien que les discussions, les réflexions sur ces points-là n’étaient pas encore très développées. Donc on a eu envie de faire bouger ça. »

Un collectif de femmes pour les femmes

Lancé en octobre 2019, Zone Rouge est le premier collectif dédié aux musiques électroniques entièrement féminin de Nantes. À travers un engagement militant très ancré, Anaëlle et Anaïs souhaitent offrir un espace artistique et donner de la visibilité aux femmes et aux minorités dans le milieu électronique. Rapidement, le projet attire de nombreuses artistes de la scène locale : « Certaines nous avaient déjà parlé de leur volonté de se lancer en tant que DJ, mais elles ne trouvaient pas la force de se lancer seules dans un milieu aussi masculin », raconte Anaïs. « En soirée, c’est très difficile d’accéder aux platines en tant que femme et de s’imposer. » Les co-fondatrices décident de faire de Zone Rouge un espace en non-mixité. Aujourd’hui, le collectif compte sept DJs résidentes – Akira, Tina Tornade, Matilda, Lizzie et Super Salmon, aux côtés d’Anaïs et Anaëlle – aux univers et parcours très différents : influences brésiliennes, afro, latino ou asiatiques, rythmes breakés, sonorités tribales, downtempo ou psychédéliques, elles se retrouvent autour d’une volonté commune de faire de la scène électronique un espace safe et accueillant pour tout le monde. Le collectif est également composé de dix autres membres qui aident sur différents aspects, tels que l’administratif ou la scénographie.

Aux quatre coins de la ville, des projets bouillonnants

À peine le collectif formé, Anaëlle et Anaïs lancent une collaboration avec DY10, une webradio nantaise. Une fois par mois, elles y jouent un set de deux heures en back to back et, depuis la deuxième saison, y invitent des DJs féminines, toujours dans une démarche de mise en lumière des femmes dans la musique électronique. « On invite des artistes qui nous ont inspirées à se lancer », révèle Anaïs. « Les gens pourront se rendre compte qu’il commence vraiment à y avoir une communauté de femmes qui joue aujourd’hui, et ça va forcément influencer. »

Les sets aux sonorités bass music, breakbeat et deconstructed club sont sombres, fiévreux, futuristes et dégagent une intensité qui se reflète dans l’esthétique du collectif. « Tout est lié, même nos descriptions, on fait en sorte qu’elles aient un lien avec le visuel et la musique qu’on joue », explique Anaëlle. « Il y a toujours quelque chose de très fort et de très sombre, un peu mystique. » Pour la direction artistique, Anaëlle s’est inspirée de la science-fiction, notamment du jeu vidéo “Unreal Tournament”, pour représenter une image de femme guerrière. « L’idée c’est de mettre en valeur la femme comme une combattante, qui est forte, qui sait s’imposer, notamment via le contraste du noir et du rouge : le rouge ça exprime le combat, la force, le sang des menstruations, la passion – pour la musique, notamment… », détaille-t-elle.

En parallèle, le collectif a également établi une résidence avec le 44 Tours, un disquaire spécialisé en musique électronique, bar et label nantais. Tous les deux mois, Zone Rouge y joue 5 heures de set en présence d’Anaïs, Anaëlle et une autre résidente du collectif. Avant que les choses se gâtent, elles avaient aussi organisé une soirée chez Askip, un bar, galerie et laverie. En à peine un an, le collectif avait ainsi su s’imposer dans le décor électronique nantais. Mais pour le moment, plus d’évènement du fait de la situation sanitaire, et l’activité du collectif se retrouve ralentie : « On en profite pour prendre de la technique au niveau du mix et aussi pour renforcer les liens entre les membres du collectif », explique Anaïs. « Pour qu’on soit vraiment soudées et que lorsqu’on sera de nouveau sur le terrain – parce que c’est ça qui nous manque – on puisse vraiment créer des espaces safe. Mais il faut aussi s’éduquer. Donc on se partage beaucoup de contenu sur nos engagements, le féminisme, le consentement… » Dans cette démarche, Anaïs et Anaëlle ont notamment participé à des formations de la Biennale Internationale des Spectacles de Nantes, ainsi qu’à la campagne de prévention dans les milieux festifs “Ici c’est cool”, afin de s’éduquer et de s’informer sur comment créer des espaces safe pour toutes et tous.

Briser le plafond de verre

L’engagement de Zone Rouge est intersectionnel : le collectif souhaite protéger toutes les femmes, en considérant l’accumulation des discriminations sexistes, racistes, homophobes et transphobes et en prenant en compte la place des femmes racisées, queer et transgenres au sein des combats féministes. L’idée étant de créer plus de représentation dans les programmations, les directions artistiques des clubs, sans effacer ni prendre la place des collectifs qui existent déjà. « Il y a de la place pour tout le monde », soutient Anaëlle. Et dans une France où la scène musicale et électronique reste très masculine, en particulier hors de la capitale et de quelques autres très grandes villes, Nantes est désormais sur la bonne voie. « Je pense qu’il fallait juste la première initiative de créer ce genre de collectif féminin : quand on a créé Zone Rouge, très peu de temps après il y a un autre collectif qui s’est créé, Fast et Furieuses », exprime Anaïs. « Il n’y a pas de coïncidence, on trouve la force parce qu’on commence de plus en plus à parler, il fallait briser ce plafond de verre. C’est sûr que ça va inspirer d’autres personnes, ça va leur donner la force de se lancer, que ce soit en solo ou en collectif, parce que la représentation c’est hyper important. » Et là où il y aura sororité, bienveillance et entraide, il y aura de la force pour faire changer les choses. Zone Rouge en est l’exemple.

Retrouvez toute l’actualité du collectif Zone Rouge sur leur page Facebook et leur Soundcloud.

À l’instar du collectif Zone Rouge, de plus en plus d’actrices se mobilisent pour rendre la nuit plus safe et plus inclusive. Leur portrait est à retrouver dans le numéro 231 de Trax Magazine, toujours disponible en kiosques et sur le store en ligne.

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