Photos : © Toon Timmerman, Mona Geerens
En géologie, le nom horst réfère un à espace de terrain soulevé entre deux failles (compartiments rocheux). Le massif des Vosges et celui de la Forêt-Noire, par exemple, sont deux horsts séparés par le fossé du Rhin. En allemand, horst signifie “monticule”, et donc, une élévation naturelle de terrain, une petite bosse. C’est aussi un important château médiéval de la région normande construit au XIIIe siècle, qui a inspiré le nom du festival né en 2014. Désormais et depuis l’année 2019, c’est dans l’Asiat Park – grand espace vert niché dans une ancienne base militaire laissée à l’abandon – de la ville de Vilvorde, que prend place le Horts Arts & Music Festival, incroyable initiative dont le but a toujours été de lier musique électronique et architecture, de façon évolutive.

On prend un train de Bruxelles pour une dizaine de minutes puis on arrive dans la ville néerlandophone qui accueille le festival. On aurait même pu prendre des vélos. Les nuages, eux, sont partis. Une horde de jeunes décontractés et légers — et on doit le dire, très stylés – emprunte les navettes à disposition, ou marche tranquillement jusqu’au site. La première chose qui nous frappe, c’est la sympathie qui règne dans l’atmosphère, tout le monde est agréable dans cette jolie friche industrielle. Pour commencer, on va voir ce qui se passe côté “Soleil Rouge”, très grande scène qui porte bien son nom et où est en train de jouer Mab’ish, DJ, danseuse, label manager et productrice française récemment installée à Bruxelles. Jazz, house, rap, hip-hop, elle finit son set avec le classique de NWA, “Fuck Tha Police”.

D’une scène à l’autre, on s’arrête par curiosité pour aller découvrir les expositions dissimulées entre les arbres, sous les tôles. On y découvre le jardin musical psychédélique de l’artiste émiratie Farah Al Qasimi – lequel fait la joie des festivaliers à toute heure – les monuments de l’artiste belge Sharon Van Overmeiren, dont le système ancestral permet de refroidir l’air; ou encore l’espace tuning du Libanais Namy, qui accueille ravers et DJs sets gabber.

Toujours nous baladant, on remarque l’évidente singularité de chacune des scènes, par leur décor et par leur curation musicale. Une fois la nuit tombée, elles s’habillent d’effets de lumière, sons, et couleurs qui en réaffirment l’ambiance. Afin de créer des atmosphères si particulières, les créateurs du Horst invitent en amont du festival des créatifs comme des curieux à se rencontrer, penser ensemble les installations et grimper sur des toits pour les mettre en place.

Parmi eux, Léa Ware, jeune graphic designer et scénographe venue de Paris, explique : « Le fait que le montage se fasse sous forme d’atelier donne vraiment la sensation de faire partie d’une communauté. On retrouve la joie de fabriquer avec ses mains, entouré d’une multitude de créatifs d’horizons différents. On est là pour apprendre et imaginer ensemble, et ça donne plein d’idées pour la vie après le festival. »

Souvent on finit par rejoindre la “Moon Ra”, qu’on adore appeler “tipi”. C’est une sorte de mini club sous les branches d’où tonitrue, house, breakbeat ou bass music. C’est la célèbre radio bruxelloise Kiosk Radio qui est aux commandes de sa programmation. La scène “State Of Play”, localisée dans un énorme hangar avec des espaces surélevés et dessinés par Karel Burssens, est, elle, temple de la techno. Tout y est rouge et plus sombre. On y écoute les sets des français DJ Fuckoff & Narciss, la DJ hollandaise KI/KI ou encore de l’australienne Jennifer Loveless.
Autant amoureux de musiques que d’architecture, les créateurs du Horst festival discutent chaque année avec des architectes afin de nourrir leur conception des scènes. Ils se sont d’ailleurs plu à inviter des professionnels de renom afin de leur proposer cet exercice auquel ils n’étaient pas habitués : penser à de la scénographie en contexte de festival tout en utilisant des matériaux recyclés et réutilisables les années suivantes.

La si joliment baptisée “EYES. EYES. baby” mélange l’électronique. C’est là que jouent le DJ belge Ben Kamal, la fondatrice du label danois Aminote Editions, Mama Snake, la néerlandaise Mad Miran, le producteur californien Liquid Earth ou encore DBridge aka Velvit, producteur de la scène drum’n’bass anglaise avec l’un des représentants de la techno italienne, Donato Dozzy.
Entre deux DJ sets, on peut se rendre à la scène “Vesshcell” qui est le lieu des talks et discussions autour de l’utilisation des installations temporaires comme façon d’améliorer les espaces publics, la question d’une meilleure exploitation de la musique ou encore le sujet de la nécessité de désobéir à certaines normes dans les espaces communs. Le choix d’organiser le festival à Vilvorde est tout sauf anodin, la prise en charge de l’espace par des acteurs culturels permettant de redynamiser à long terme cette partie de la ville qui avait été abandonnée. La scène confiée à Kiosk Radio, par exemple, est utilisée le reste du temps par des familles qui viennent y faire des feux, célèbrent des anniversaires, ce qui ravit les programmateurs.

Quand on commence à avoir faim, on se rend sous un grand hangar symétrique, joli, sympathique ou l’on peut commander des plats veggie, autre engagement de la part des membres du Horst. Les gens discutent, encore une fois, on croise un monde charmant mêlant des festivaliers néerlandais, anglais, belges et français. L’artiste française Ma’bish, que l’on a rencontrée, explique sa théorie : « Comme ici tu as le flamand et le francophone, si tu es autour d’une table, il suffit qu’une seule personne ne parle pas français ou flamand et tout le monde parlera en anglais. En France, il y a une personne qui ne parle pas français, c’est “dommage pour toi, on va parler en français”. Ça a créé une mentalité je pense, une ouverture d’esprit. »

C’est toujours à la scène Vesshcell – laquelle est curatée par le média électronique Resident Advisor – que l’on découvre le collectif FOR ALL QUEENS!, composés d’artistes pluridisciplinaires de la scène ballroom bruxelloise. De 16 heures 30 à 21 heures 30, MC Zelda Fitzgerald anime la scène et invite Arakaza, Josh Caffé, Kongi et Kevin Aviance, pour une énergie housy, fédératrice et libertaire.

21 heure 30 pile. On accourt à la scène Soleil Rouge ou va jouer Calibre, figure phare de Belfast connu pour ses productions drum’n’bass. Pendant deux heures, il déploie un set méticuleux entre 160 et 180 BPM ou il glisse des tracks à lui, notamment de l’un de ses derniers EPs, Double Bend. Comme les installations, la musique est géométrique, l’expérience totale. Par hasard, un peu excité, un peu perdu, on tombe sur le set de Nikki Nair, producteur émergent d’Atlanta. IDM, footwork, bass music, breakbeat, le chaos est magnifique. On sait qu’on va aller digger une fois rentré à Paris, on veut en savoir plus.

Parmi les artistes dont on attend les sets avec impatience, on peut compter celui de Vegyn, qui fait le closing de la “roll pitch yaw – surge heave sway”, une scène intimiste en collaboration avec la marque italienne Bottega Veneta, dessinée par Mark Leckey, dont les travaux mélangent le collage, la musique et la vidéo. Pendant 90 minutes, le DJ, producteur et graphiste londonien — notamment connu pour avoir produit les albums de Frank Ocean, Blonde et Endless – livre un set enchanteur et aérien ou se sont croisés Empire of The Sun et Bords of Canada. Dernièrement, il a aussi produit Running In Waves, 8-titres de Georges Riley – artiste émergente du UK R&B alternatif – qui est sorti sur son label PLZ MAKE IT RUIN.

Avant-gardiste, chaleureux, et créatif le Horst Arts & Music Festival insuffle à ses festivaliers une seule envie : revenir. Sa programmation musicale est d’une grande subtilité, aucun genre ni sous-genre de la musique électronique n’est laissé pour compte. On y découvre une quantité d’artistes venus des quatre coins du monde, chacun apporte une vibe aussi belle qu’unique. La scénographie et les installations immergent, attirent l’œil et les expositions apprennent tout en divertissant. Une chose est sûre, du Horst, l’on ressort très heureux. On vous laisse sur ces derniers mots pour maintenant notre interview avec Mab’ish, avec qui on parle de house, de jazz, de hip-hop, de danse et de scène bruxelloise.

Hello Isabelle, ça va ?
Super et vous ?
Superbe aussi, on est content d’être ici. Qu’est-ce qui t’as donné envie de déménager à Bruxelles ?
Je devais partir de mon appart à Paris, et je trouvais les loyers trop chers. J’ai pensé aux banlieues mais c’est galère comme je bosse de nuit. Je me suis dit peut-être en Province, mais j’ai trop besoin de dynamisme. Alors j’ai songé à Bruxelles, 1 heure 30 de Paris, parfait. Best move de ma life.
Une amie DJ, Fatou Sam, qui avait un collectif d meufs DJs m’a incité à venir. J’ai posté un truc sur facebook et une bookeuse s’est positionnée, me disant qu’elle était chaude de m’inclure dans son roster. Je n’étais pas encore à Bruxelles et j’avais déjà un booker alors que je n’ai jamais eu de booker de ma vie. J’ai un peu galéré au début, j’ai vécu dans un espèce de loft artistique mais là j’ai trouvé un appart pas cher, j’ai beaucoup d’espace, un nouveau réseau. Je me sens beaucoup plus à ma place parce que je suis pluridisciplinaire. À Paris les gens me disaient souvent “meuf, faut que tu choisisses, tu t’es perdue, tu peux pas tout faire”. Ici, les gens me disent juste que je suis créative.
C’est des gens de la scène qui te disaient ça ?
C’est un peu global. Je pense que c’est la mentalité. Paris c’est chanmé parce que les gens sont spécialisés, du coup c’est des tueurs. Mais il y a cette barrière entre la musique et la danse. Dans plein de cultures, musique et danse vont ensemble, c’est une seule culture. La house et le jazz. Le mouvement musique amène forcément un mouvement danse et inversement. J’ai grave connectée ici, les gens sont tellement sympas. Tu te poses sur une terrasse on vient te parler, pas pour te draguer, juste pour discuter.
J’étais pas encore à Bruxelles et j’avais déjà un booker alors que je n’ai jamais eu de booker de ma vie.
Il y a qui comme artistes, collectifs de cette scène house/jazz ?
J’ai d’abord rencontré Elys et Alexandra qui ont un groupe et qui organisent des jam dans un bar, le Gist. Y viennent des musiciens du Conservatoire qui ont la vingtaine et qui écoutent de la dubstep, donc ils ont leur délire, c’est très londonien. C’est un peu ce que je cherchais mais c’est trop compliqué d’aller vivre à Londres. En danse, il y a une petite scène house et une grosse scène en danse contemporaine. La scène hip-hop est petite mais très active. Ils ont besoin de DJs qui jouent de la house, donc moi let’s go pour jouer à des jam de danseurs. Il y a un collectif de danseurs qui s’appelle Freestyle Lab, qui est génial et qui propose des sessions deux fois par semaine.
Beaucoup de gens pensent en France que la house c’est la french touch et que c’est Berlin.
Toi tu danses quoi ? Le Djoon du 13e arrondissement a ses événements dédiés à la danse house, c’est quoi pour toi la danse house?
Moi, hip-hop, house et un peu de contemporain. En fait en France on connaît mal de la culture de la house. La house, ça vient des États-Unis, c’est une culture Afro-américaine qui va avec le club. Moi c’est vraiment à New York que j’ai compris ça. Là-bas, tout le monde danse, ça fait partie de leur culture. La musique va avec la danse. Nous en France j’ai l’impression qu’il y a eu un espèce de white washing, beaucoup de gens pensent en France que la house c’est la french touch et que c’est Berlin.
Les gens ne savent pas que c’est une musique hyper engagée d’Afro-Américains. Tu vas dans un parc à Brooklyn le dimanche après-midi, tout l’été, tout le monde danse. Des capoeiristes, des gens en rollers, des house dancers, des familles qui font des barbecue, tout le monde danse, danseur ou non danseur. On a pas ça en Europe. Si tu fais ça ici, on va te dire que la musique est trop forte. Les danseurs vont pourtant en club comme à l’église, c’est hyper spirituel. J’ai pas besoin de drogue, j’ai pas besoin d’alcool, je prends ma bouteille d’eau, mon talc, la musique te touche tellement qu’elle t’emmène vers quelque chose de spirituel.
Comment tu l’intègres la danse quand tu joues ?
Là j’ai été bookée parce que le programmateur du Horst a vu mon radio show chez Kiosk, espace ou tu as justement de la place pour danser. Comme je joue de la musique qui me fait danser, je danse. C’est l’énergie que tu vas donner quand tu es DJ. Le fait que je sois assez expressive derrière les platines, je pense que les gens trouvent ça cool, tu vis la musique et t’es dans le partage. Jouer de la musique, tu peux aussi en faire quelque chose de politique. La house, le hip-hop, c’est politique. Avoir l’occasion d’être sur un stage c’est aussi de prendre la voix.
T’as commencé quand à danser ?
Super jeune, quand j’étais à Grenoble, où j’ai grandi. De base, j’ai une formation classique, je suis allée au Conservatoire. Mais je me sentais coincée, moi j’écoutais du hip-hop, du coup faire des pointes sur du hip-hop, mouais. J’ai commencé à apprendre à danser le hip-hop et j’aimais la liberté qui y est liée. Le but du hip-hop c’est de trouver ta personnalité à travers les mouvements de base, et la house c’est la même chose. Rapidement j’ai bougé à Paris parce que c’est là qu’il y avait plus grosse communauté de danseurs en Europe. il y a un level de ouf. Du coup, t’apprends avec les meilleurs.
Jeune Isabelle à Grenoble, tu voulais faire quoi de ta vie ?
Je n’ai pas du tout grandi dans une famille d’artistes, la vie d’artiste je ne la projetais pas car elle ne faisait pas partie de mon imaginaire. Mais je suis partie à Paris parce que j’ai été recalée d’une IEP commerce et vente, et la meuf à l’entretien me disait “mais en fait vous me parlez que de danse“, limite qu’est-ce que je foutais là ? Je suis allée à Paris en vacances, j’ai trouvé un job de vendeuse à Zara sur les Champs, et je suis restée parce que j’étais attirée, je voulais voir ce qui s’y passait. La danse c’est la dernière roue du carrosse de tous les arts, c’est vraiment dur d’en vivre. J’ai fait beaucoup de side jobs à côté. J’étais visuel merch à Adidas aux Champs Elysées. Je faisais les vitrines, de 7 heures à 15 heures puis je partais à l’entraînement à 17 heures. C’était training à gare de lyon, la défense, dans la gare.
Je pense que beaucoup de danseurs pourraient être DJs.
Comment tu les trouvent ces profs ?
C’est une communauté, donc dans les entrainements, écoles, et beaucoup en club. On faisait des cercles, on allait au Rex, au Djoon, à La Machine. J’ai aussi longtemps travaillé à la Bellevilloise en tant que serveuse et là ça a été génial. Je ne payais pas mes soirées et j’y étais tout le temps, du coup je faisais toutes les soirées hip-hop, les Free Your fFnk. La house et le hip-hop, c’est un mode de vie.
Comment tu t’es intéressée à ces genres plus jeune?
C’est un peu le truc du collège, effet de mode, tout le monde écoute du hip-pop. J’étais hyper curieuse et ça me parlait de ouf le mouvement, la musique, l’engagement. La house est arrivée plus tard à Paris car à Grenoble t’avais aucune culture du clubbing. Beaucoup de profs de Paris venaient donner des stages à Lyon et à Marseille, donc j’y allais parce j’étais déter, à l’époque il n’y avait pas internet. Pour comprendre ce qu’était la house, j’achetais des CDs dans les stages de danse, à la fin Tijo (DJ, danseur) vendait des mixtapes.C’était des trucs gravés donc “track 1, track 2”, je savais même pas ce que j’écoutais. Je savais juste que c’était de la bonne house qu’il fallait que j’écoute pour danser.
La house, le hip-hop, c’est politique. Avoir l’occasion d’être sur un stage c’est aussi de prendre la voix.
C’est quoi tes premières refs de hip-hop ?
J Dilla et Nas. Le projet Jaylib, Mos Def, tout ça; je pense que je comprenais pas encore tout mais ça me parlait. Je suis vraiment l’école boom bap à mort, team J Dilla changed my life.
Après internet tout ça, comment ta façon de digger a changé ?
Je pense que beaucoup de danseurs pourraient être DJs, parce que t’écoutes de la musique tous les jours. Un moment t’en as marre de danser sur les mêmes sons, donc si t’es un peu curieux, tu dig. “Ok c’est qui J Dilla, ah mais il a aussi Slumvillage, il a aussi Jaylib, mais Madlib c’est qui ?”. Moi c’était soundcloud, les gouffres ou il est 4 heures du matin et t’as passé toute ta nuit à digger.
Entre danseurs on se filait aussi des trucs. À l’époque j’avais un Arcos, un espèce d’écran ou tu pouvais mettre des vidéos, du son, et on se filait les fichiers de vidéos. À l’époque t’as presque pas internet donc c’était galère. Et aussi la culture du club, moi si je voulais voir mon danseur préféré, je savais qu’il était aux coulisses le samedi soir à la soirée de JP Mano, il fallait que j’y aille parce que je pouvais pas le voir ailleurs, sur internet. Des fois j’allais en soirée et j’étais assise. Je regardais juste, j’essayais de comprendre.
C’est arrivé quand le DJing ?
Un jour, une pote m’offre à mon anniversaire une platine vinyle. Un autre pote me prête un serato, me montre quelques trucs. J’avais une seule platine donc je mixais comme ça. À ce moment-là, je faisais la progra dans un bar qui s’appelait Les Dessous de Paris, en face du Demory, rue Quincampoix. Ma meilleure amie se retrouve a la direction d’exploitation du bar en face et m’en confie la progra. On a commencé à faire des soirées ans une espèce de cave avec NSDOS, Walter Mecca. Le lieu a fermé et on est allé en face dans le Demory. Il nous fallait des DJs, alors j’ai commencé à mixer chaque semaine.
Avant ça, tu mixais dans ta piaule pour le fun ?
Ouai, je mixouillais. Mais là j’ai appris parce que je faisais du 20 heures – 1 heure du matin, donc j’avais le temps d’explorer. Et comme t’es dans un bar, t’as pas de dancefloor, les gens sont plus intéressés par ta sélection que tes skills. Je jouais du hip-hop, du jazz, un peu de broken, je pouvais aller dans des trucs que je kiffe. C’est vraiment parce que j’ai commencé à mixer dans ce bar que les gens venaient me voir.
C’est arrivé quand le label Beat X Changers ?
Il y a sept ans. J’avais rencontré Théo, un danseur, trois ans plus tôt à New York. C’était le petit copain d’une copine danseuse. Il organisait la première Tap Water Jam – jam pour les danseurs avec des DJs – derrière un magasin de carrelage. Cette soirée, c’est celle qu’on fait tous les deux mois à Paris depuis six ans. Il y avait quelques danseurs qui savaient mixer. On est devenu amis, il est venu vivre à Paris, j’ai commencé à les inviter au Dessous de Paris, bête de vibe. Ils étaient aussi copains avec NSDOS, on allait souvent danser au Djoon. On était tous dans la même vibe.
Puis j’ai commencé à m’impliquer dans le label, j’avais envie d’apporter un truc. On est trois à gérer la structure. On développe les soirées Tap Water Jam pour les danseurs de house, tous les deux mois, au Ground Control. La prochaine c’est le 17 juin. Tout est dans le nom. Tu t’en bas les couilles, tu bois de l’eau, on est là pour danser, danseurs ou non danseurs. On veut pas des soirées qu’avec des danseurs. C’est un safe place pour tout le monde, tu danses comme tu veux.
Du coup, tu produis aussi ?
À force de mixer, tu te dis que t’aimerais bien produire aussi. Aussi, il y a pas beaucoup de meufs, c’est con mais bon… Je n’ai pas encore la technique mais j’ai une grosse culture du coup je sais ce que j’ai envie de faire, ce qui est déjà beaucoup. Pendant le confinement, on a sorti une compil pour l’anniversaire du label, et j’ai fait ma première prod. Trois mois avant le covid, j’ai déménagé à Père Lachaise à côté d’une école de jazz qui s’appelle la Bill Evans Academy. Je me suis chauffée, je me disais que le piano m’apporterait une base pour produire, apprendre les harmonies. J’avais un prof génial qui me faisait faire ce que je kiffais, genre Robert Glasper, Kiefer, pas apprendre les standards de jazz. Covid arrive, je suis enfermée chez moi avec mon piano, alors je joue toute la journée. Maintenant je prod un peu, là mais j’aimerais bien encore plus.
T’as encore rien sorti ?
J’ai sorti sur des compiles Beat X Changers, un remix pour un pianiste qui s‘appelle Midva, qui a un projet un peu broken. Avec Beat X, je curate une compilation où j’ai réuni 20 danseurs.
Les danseurs vont en club comme à l’église, c’est hyper spirituel.
Est-ce que t’as un rêve ?
Je crois beaucoup à la force de la communauté. Plus le temps passe, plus je trouve qu’il manque un lien entre la danse et la musique. Je kifferai avoir un lieu hyper accessible où les gens pourraient jammer, apprendre à danser. Je trouve que c’est ça qui crée les mouvements; le fait que des communautés diverses se retrouvent, partagent. Il y aussi ce truc où il y a pas beaucoup de meufs, de personne non-blanches sur la scène. Il y a un problème d’élitisme, d’accessibilité. C’est cher de faire une école. Moi j’ai été financée par l’AFDAS mais mon école coutait 4000 euros, je ne les avais pas. Il y a plein de gens de milieux défavorisés qui n’ont pas accès à ça.
Après je vais continuer à développer mes projets de DJ. On a aussi crée un groupe, Oswela, pendant le confinement. On est cinq danseurs, musiciens. iennes; on est tous inspirés par la musique noire, afro caribéenne. On fait de la musique et on danse sur scène – ce qui se fait dans plein de cultures. On a fait jazz à Vienne la dernière, ce qui est déjà incroyable. C’est pas qu’on a un niveau de ouf, mais on une vision et une énergie, des influences. Je vois la scène à Londres je me dis pourquoi on a pas ça. Faut qu’on développe des trucs en France.
Et les prochaines sorties avec le label Beat X Changers?
De fin juin jusqu’à décembre on va sortir des singles avec des vidéos. La compil, c’est que des musiciens.iennes aussi danseurs.ses. Plein de danseurs sont des producteurs et productrices de ouf, mais dans leur chambre et personne les connait pour ça. J’avais mon émission à Rinse, Le Cercle, l’année dernière et chaque fois je les invitais pour montrer que c’est aussi des tueurs qui mixent ou produisent. On va aussi sortir une compil bass music, Axone, un des fondateurs, va aussi sortir un album.
Est-ce que t’as motto personnel ? Pour te donner un exemple, ma pote Astrønne dit “on verra”.
Je suis un peu une meuf du “faut y aller, faut y croire”. J’ai commencé ma carrière de pianiste à 37 ans, tu vois ce que je veux dire. Si tu y crois et que tu mets l’énergie et surtout la persévérance, ça le fait. Moi je vois plein de danseurs, de DJs qui tuent mais en fait c’est hyper dur de persévérer, de pas lâcher.
Dans plein de cultures, musique et danse vont ensemble, c’est une seule culture.
T’as la carte de l’image, aussi.
Oui, si tu joues pas cette carte là tu mets plus de temps à te développer. Tes réseaux c’est ta vitrine. Il ne faut pas la négliger parce que ça te permet d’avoir des opportunités. C’est mon set à Kiosk qui m’a permis d’être à Horst. Ça fait partie du boulot. Mais en tout cas, je dirai de ne jamais lâcher et croire en ses rêves. Ça peut paraître bâteau mais c’est vrai. Si tu lâches pas et que t’as une vision de ce que tu veux, ça va le faire.
T’écoutes quoi en ce moment ?
Je fais des top 3 toutes les semaines sur insta pour faire découvrir ce que je dig. Là j’ai découvert un gars qui s’appelle Harrison, un mec de Toronto, pianiste de ouf, producteur, chanteur. J’ai beaucoup écouté le dernier projet de B Cool Aid et Pink Siifuu.
Ah oui, il ya le superbe Neems dedans ?
La reprise de Naima. Justement je me disais avec un pote hier, c’est hyper okay de le reprendre. On sait tous que c’est Naima, mais ce morceau est tellement beau. Après c’est dur de s’attaquer à ce genre de morceau. En house, j’avoue je suis une grosse fan de Karisma. Beaucoup de jazz aussi. La harpiste Brandy Younger qui fait un projet en hommage à Dorothy Ashby. Aussi le nouveau projet du Motel avec le rappeur nigérian Magougou, c’est un peu dub, garage.
Le Motel pareil, c’est un producteur de ouf et d’une productivité… Tu parlais d’Astrønne, il y a aussi une scène de chanteuse soul incroyable ici. Elles font des scènes avec 500 personnes mais à Paris il y a pas ça. Ça donne envie de digger.
C’est ton premier Horst ?
Oui. Moi je réalisais pas que c’était si gros. C’est stylé d’être programmé à Horst. C’est marrant, des fois quand tu pars c’est là que tu rayonnes, que tu commences à avoir plus de crédit.
Trois mots, phrases, pour le décrire ?
Communiez ensemble!
Feel vibrations!
SHADOW & LIGHT.