Mr Oizo : “Ce qui m’intéresse, c’est la créativité d’un enfant”

Écrit par Trax Magazine
Le 21.10.2015, à 11h35
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Écrit par Trax Magazine
Red Bull faisait récemment appel au génie de Quentin Dupieux alias Mr Oizo, en préambule de l’édition parisienne de la Red Bull Music Academy. L’artiste français dévoilait ainsi un nouveau court-métrage, Being Flat – introduction ubuesque à la série d’événements musicaux de la marque aux taureaux. Convié à cette grande fête parisienne qu’est la RBMA (le 26 novembre au Rex Club, en compagnie de Ron Morelli, pour Oizo), Dupieux s’entretenait également avec Trax en novembre dernier, à propos de son œuvre, de ses activités, du sérieux de Jeff Mills et de l’hystérie du public. Interview par Arnaud Wyart, tirée du TRAX #177 (nov 2014)

Tu as sorti tes derniers EP gratuitement sur un site. Pourquoi pas ce nouvel album ?

C’était une opération très excitante mais je ne pouvais plus la répéter. C’était à un moment où il était devenu ennuyeux de sortir des disques. Il y avait aussi un petit embouteillage chez Pedro et moi, j’avais envie de sortir des trucs très vite. Les labels doivent préparer les médias et je trouve complètement idiot d’attendre six mois pour sortir quatre morceaux. Par réaction, j’ai décidé de sortir Stade 3 moi-même. C’était génial de pouvoir faire un disque et de le donner le lendemain. J’ai eu cette idée du site oizo3000.com, et la première fois, ça a vraiment cartonné. Je ne m’y attendais pas. Le serveur a sauté, il y a eu des bugs mais je ne regrette pas car c’était une façon originale et drôle de sortir un disque. Le problème avec un truc original, c’est que tu ne peux pas te permettre de le refaire plusieurs fois. Ça devient tout de suite ennuyeux. Pour reproduire la formule, il aurait fallu que je refasse un autre site, que je trouve une nouvelle idée. Et puis, si c’est cool de sortir un ou deux EP de cette manière, au final, ce n’est pas une solution fiable. Tu dois tout faire seul et je n’ai pas envie d’être un label.

Qu’est-ce qui t’a motivé pour sortir The Church sur Brainfeeder ?

La première raison de ma signature sur Brainfeeder, c’est tout simplement que je vis à Los Angeles depuis quatre ans. Forcément, je me suis éloigné de cette sphère parisienne. Et puis ce n’était pas du tout pratique techniquement. J’ai besoin de travailler avec des gens qui se lèvent à la même heure que moi, avec qui je peux aller prendre un café dix minutes. Là, ça devenait trop compliqué. En plus, au bout de six ans avec un label, une certaine routine s’installe et c’est normal, mais cela a tendance à m’endormir. Avec Brainfeeder, je découvre d’autres personnes, une autre façon de travailler. En gros, c’est un monde différent et une nouvelle aventure qui commence pour moi.

Comment s’est passée la rencontre avec Flying Lotus ?

FlyLo, c’est l’un des premiers mecs que j’ai rencontrés à Los Angeles, il y a environ cinq ans. Un de mes premiers vrais contacts. À l’époque, c’était juste un fan qui faisait de la musique dans le garage de sa mère. Je me souviens avoir rencontré un petit jeune qui démarrait, super gentil et vraiment fan. Il n’avait pas encore monté son label. Mais j’ai senti que ce mec était intègre. C’est plus tard que j’ai découvert sa musique. D’ailleurs il y a un truc drôle, c’est que FlyLo a fait son premier buzz en samplant mon morceau Stunt. À l’époque, j’ai refusé qu’il mette le track sur son album.

Il avait aussi ressorti ton album Moustache (Half a Scissor)…

Oui, c’était il y a trois ou quatre ans. Cet album n’existait pas en vinyle pour la simple et bonne raison que F Com n’a jamais réussi à le presser, à part un maxi 4 titres. Or, pour toute la clique de FlyLo, c’est un album hyper important, qui les a beaucoup nourris et influencés. Enfin, ça, je l’ai su bien après. Parce qu’en France, on disait que c’était un des pires disques d’électronique, un truc insupportable à écouter, invendable, etc. Alors que pendant ce temps-là, à Los Angeles, tu avais ces petits mecs de 20 ans qui l’adoraient. Et il faut aussi dire que ce disque est sorti dans une période super creuse, en 2005. Je sortais d’un hit numéro 1 en Angleterre et je me retrouvais avec un CD dont on a dû vendre 4 000 copies à la Fnac. À l’époque, on pensait vraiment que c’était la fin de cette musique.



Dans le genre expérimental, Aphex Twin fait enfin son retour, tu en penses quoi ?

J’adore le mental du mec, ce qu’il a créé en tant que personnage. Mais j’écoute rarement sa musique. Évidemment, il y a trois ou quatre morceaux dans sa discographie que j’adore par-dessus tout, mais je ne suis pas féru de sa musique. Ces quelques tracks suffisent pour que je respecte l’artiste.

Comment expliques-tu ta connivence avec tes propres fans ?

C’est vrai que lorsqu’on poste une photo de Flat Eric sur Facebook, je reçois plus de messages d’amour que de haine. Pourtant, Internet est une espèce de peloton d’exécution permanent où tout le monde se décharge sur tout le monde. On subit les frustrations des gens partout. Moi, j’ai plutôt le sentiment de recevoir du positif. Je propose quelque chose empreint d’humour et d’autodérision, cela rend mon truc hyper léger et sympathique. C’est sans doute ce qui doit plaire aux gens.

Tu penses avoir une forme de légèreté par rapport à ta musique ?

Beaucoup de mecs dans cette musique ont une approche hyper sérieuse. Ce n’est pas grave à priori, mais parfois, c’est un peu trop sérieux. Un mec comme Jeff Mills, entre 20 et 25 ans, j’adorais et il y avait des morceaux que je trouvais incroyables. Mais à force, le sérieux du mec devient ridicule. C’est juste un type qui programme des 909 et qui fait des petites boucles avec des synthés. À un moment, ce n’est pas possible de se prendre au sérieux là-dedans. Surtout quand tu commences à prendre de la bouteille, là, le sérieux devient vraiment déprimant.

“Simplement, j’essaie de trouver le geste artistique le plus simple et le plus proche de ce qui m’intéresse, c’est-à-dire la créativité d’un enfant.”

L’avantage que j’ai, c’est d’être finalement tout à fait normal. Je n’ai pas de concept froid ou intello. Oui, je suis léger par rapport à tout ça. Et je pense aussi avoir gagné des points de fidélité en essayant tout le temps de me renouveler. Le facteur sympathie que j’ai auprès des gens est simplement lié à ma personnalité. Si je me prenais vraiment au sérieux, mes disques passeraient beaucoup moins bien.

Comment perçois-tu l’image de je-m’en-foutiste que certains ont de toi ?

J’ai le même truc au cinéma. Des gens pensent que je fais n’importe quoi et que je m’en fous, que c’est mon attitude. En réalité, ce n’est pas une attitude et je n’essaie pas de communiquer aux gens que je m’en fous. Simplement, j’essaie de trouver le geste artistique le plus simple et le plus proche de ce qui m’intéresse, c’est-à-dire la créativité d’un enfant.

Quand tu deviens professionnel dans un domaine artistique, tu es baisé. Tu n’es plus un artiste mais un mec qui applique des formules, qui comprend son domaine et c’est ennuyeux à mourir. Moi, je ne me fous de la gueule de personne ! J’essaie de rester le plus proche possible de l’amateurisme qui m’a excité au départ. La créativité, c’est un truc d’enfant et soit tu le gardes et tu restes complice avec l’enfant que tu as été, soit le truc s’en va et tu deviens un adulte triste.

“Quand tu deviens professionnel dans un domaine artistique, tu es baisé. Tu n’es plus un artiste mais un mec qui applique des formules”

Ca m’arrive de vouloir trop en faire dans ce sens et ça ne marche pas non plus à tous les coups. Mais c’est un geste que je recherche dans tout ce que j’entreprends. Le geste doit être simple. C’est pour ça que j’aime faire un morceau vite. Pas par fainéantise, mais parce que je sais que lorsque tu fais un truc rapidement, ton esprit est vraiment disponible. Quand tu trimballes un morceau deux ans et demi et que tu apportes des modifications sans cesse, c’est un processus qui devient compliqué et, au final, ça va se ressentir.

Cette faculté à aller vite, c’est ce que tu recherches chez les artistes avec lesquels tu travailles ?

En fait, quand je bosse avec quelqu’un, ce n’est jamais prévu. Sur l’album [The Church, de 2014, ndlr], il y avait un morceau que je n’arrivais pas à terminer. J’ai essayé avec Siriusmo, mais ça n’a rien donné. Et un jour, on a échangé avec Bart B More quelques messages sur Twitter, alors qu’on ne s’était jamais rencontrés. Je joue certains de ses tracks, j’aime son sens du groove et de la programmation. Et très spontanément, je lui ai proposé de finir le morceau et ça s’est fait assez vite. C’est comme Alex (Boys Noize, ndlr), ces mecs savent décider quand un track est terminé. Ils vont vite mais ils savent où ils vont. Quand ils ont une idée, ils sont ensuite capables d’y aller sans passer par des chemins tortueux. J’adore quand c’est simple comme ça.

Et c’est facile de faire un morceau simple ?

Les morceaux les plus simples ne sont pas les plus durs à faire mais tu as rarement l’occasion d’être libre au point de faire un truc simple. En fait, tu as souvent le cerveau encombré de pleins de conneries et ça te bloque. Il faut être dans un état d’esprit enfantin. Il y a une époque ou je ne maîtrisais pas tout ça et je me disais : « Allez, il faut que je fasse de la musique. » Je m’enfermais dans un studio et j’attendais que ça vienne. Parfois, tu trouves cette légèreté d’esprit à force de bosser, mais c’est rare.

“Je consacre tout mon temps à la vie d’abord et ensuite au cinéma et à la musique”

Et c’est pareil pour l’écriture d’un film. Quand j’ai le cerveau encombré, c’est impossible pour moi de bosser sur un scénario. Alors que si mes idées sont limpides et que tout me paraît simple, c’est le moment idéal pour écrire ou faire de la musique. C’est un état que tu maîtrises plus ou moins. Tu peux le fabriquer. On n’est pas forcément prisonnier de nos états.

C’est pour cela que tu ne bosses plus que sur ordinateur ?

Je bosse complètement sur ordinateur et j’adore ça. Pour moi, c’est encore un outil super excitant, je ne suis pas encore blasé, j’ai des ressources. Quand ce sera ennuyeux, je ferai autrement. Certains reviennent à l’analogique mais personnellement, l’idée même de brancher une table de mix avec une boîte à rythmes m’épuise et me gâche le plaisir.

Chose rare, tu mènes deux carrières artistiques. Tu pourrais arrêter Mr. Oizo pour te concentrer sur le cinéma ?

En imaginant que je démarre une vraie carrière au cinéma et que ça prenne plus de mon temps, je ne me vois pas arrêter la musique. Ça me poserait un vrai problème. Entre la conception et le fait de jouer devant les gens, c’est quelque chose que j’adore. C’est une sorte de conquête. On est des petits chercheurs, au sens médiocre du terme, toujours à la recherche d’un nouveau beat, d’une petite pépite et je trouve ça intéressant. Les morceaux qui vont rester, finalement, il y en a peu. Mais quand ça arrive, c’est agréable. Cette démarche est une vraie dimension de moi-même. Et j’aime le fait d’avoir deux activités.

La plupart des mecs qui font du cinoche peuvent attendre trois, quatre ans avant de faire leur projet. Moi, j’ai cette chance d’avoir une autre activité. C’est-à-dire que si je n’ai pas de réponses positives pour des financements par exemple, ce n’est pas grave, je peux me mettre sur mon ordinateur et faire un disque. Ça va me procurer autre chose et je vais du coup gérer la frustration de ne pas faire le film. Mais je me suis démené pour que tout cela soit possible.

La musique, c’est donc quelque chose que je soigne, ce n’est pas juste une récréation. Dans les deux activités, j’essaie d’aller au bout du truc. Par exemple, j’adore le dessin, mais clairement je n’aurais pas le temps. Je consacre tout mon temps à la vie d’abord et ensuite au cinéma et à la musique.

Tu ne te sens jamais en décalage quand tu vois ton public devenir hystérique ?

Ce n’est pas du tout mon monde. Même quand j’avais leur âge, ce n’était pas un truc que je faisais, d’aller sauter dans tous les sens, de péter les plombs comme ça. Mais j’adore ! Je préfère voir un truc où l’on a l’impression que tout va lâcher. Comme la dernière fois au Zig Zag : une véritable émeute. Les barrières ont sauté, la sécu était en panique. Je trouve ça génial, c’est une énergie folle. Les gens se défoulent, ils ont peut être eu une semaine de merde ou ils sont juste un peu trop contents de faire la fête.

Mais effectivement, je ne suis pas à l’aise dans ce genre d’ambiance. Si tu me mettais dans la foule à ce moment-là, je ferais une syncope je pense. Je ne suis pas à l’aise avec cette rage mais je la comprends. Cette musique, on a envie de l’écouter fort, on a envie de perdre ses moyens. Ce n’est pas un truc que l’on écoute chez soi, au coin du feu !

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