Mort de Steve : un journaliste a mené l’enquête sur les violences policières à Nantes

Écrit par Emma Buoncristiani
Photo de couverture : ©D.R.
Le 19.06.2020, à 13h10
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Écrit par Emma Buoncristiani
Photo de couverture : ©D.R.
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Un an après la mort de Steve Maia Caniço à Nantes dans la nuit de la Fête de la musique, le journaliste Nicolas Mollé sort Tout le monde sait qui a tué Steve, une enquête menée en lien avec les proches de la victime. Avec la musique en filigrane, le journaliste part de cet événement tragique pour explorer les relations conflictuelles des Nantais face à leur police. Le livre sortira en juillet prochain et est d’ores et déjà disponible en pré-commande sur le site de l’éditeur. Entretien avec son auteur.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire sur l’affaire Steve Maia Caniço?

Nicolas Mollé : Habitant à Nantes et couvrant ce qui se passe dans cette ville, un jour, je me suis retrouvé face aux événements du quai Wilson et à la disparition de Steve ainsi que la mise en danger d’une dizaine de personnes qui sont tombées dans la Loire. J’ai couvert cette actualité en tant que journaliste pour les Inrocks à l’époque et j’ai accumulé de la matière, des témoignages des proches de Steve. J’ai donc décidé de développer ça dans un livre. La relation des Nantais aux forces de l’ordre est historiquement agitée. Je n’étais pas là au cours de cette fameuse nuit du 21 au 22. Mais dès le lendemain, lorsqu’on a appris ce qui s’était passé, j’ai commencé à m’intéresser à l’évolution des événements et j’ai essayé de suivre tout ce qui allait se passer par la suite.

Couverture d’ l’ouvrage de Nicolas Mollé, Tout le monde sait qui a tué Steve.

En quoi Nantes a été un lieu de confrontation entre la population et les forces de l’ordre ?

Le bassin de Nantes et de Saint-Nazaire joue un rôle important dans l’histoire des tensions entre le monde ouvrier et les forces de l’ordre. On parle souvent de 1968 car la première usine occupée par des ouvriers était à Nantes, avant Paris. Il y avait eu des échanges, notamment entre les étudiants strasbourgeois (situationnistes) qui s’étaient impliqués très tôt dans les événements de 1968, et les étudiants nantais. Une autre date importante : 1955. De grandes grèves ont éclaté dans les milieux ouvriers de la métallurgie en provenance de Saint-Nazaire. Elles étaient très dures et ont généré des affrontements violents avec les forces de l’ordre. Nantes a rapidement emboîté le pas à Saint-Nazaire au cours de cette période et c’est même à ce moment qu’y est survenu le dernier ouvrier mort en manifestation. Il s’appelait Jean Rigollet, avait 24 ans – comme Steve – et a été tué par une balle de CRS. Ce terreau fait que les tensions ne se sont jamais vraiment apaisées entre la population et les forces de l’ordre.

Un jeune homme de 24 ans, sans histoire, calme, timide, passionné de hardstyle et de techno, qui ne ferait pas de mal à une mouche s’endort près de caissons de basses pour finalement se réveiller et tomber dans la Loire. Il était calme et pacifique et s’est réveillé dans un brouillard de gaz lacrymogène et d’explosions.

Nicolas Mollé

Selon vous, que représente Steve aujourd’hui ?

C’est le symbole d’un innocent qui était juste venu profiter de la fête de la musique et qui n’a pas survécu. Un jeune homme de 24 ans, sans histoire, calme, timide, passionné de hardstyle et de techno, qui ne ferait pas de mal à une mouche s’endort près de caissons de basses pour finalement se réveiller et tomber dans la Loire. Il était calme et pacifique et s’est réveillé dans un brouillard de gaz lacrymogène et d’explosions.

Était-ce la première fois que des violences policières avaient lieu lors d’une Fête de la musique à Nantes ?

Non. Ça a toujours été compliqué. Les horaires étaient fluctuants et variaient beaucoup d’une année à l’autre même s’ils étaient fixés en amont, essentiellement en fonction de l’appréciation des autorités sur le moment. En 2017 il y avait déjà eu des problèmes lors de la négociation entre la police et ceux qui organisaient ce traditionnel rassemblement de soundsystems. Mais à l’époque, cela ne s’était pas soldé par un tel déferlement de violence.

Pourquoi cette fête, sur le quai Wilson, était devenue une vraie tradition dans la ville ?

Depuis plusieurs années, une soirée techno dans le cadre de la Fête de la musique, rassemble différents soundsystems sur le quai Wilson. Cette tradition trouve sa source dans un événement important pour l’histoire de la musique techno dans la région nantaise : le teknival du Carnet, qui s’est tenu le 1er juin 1997 à Saint-Viaud. C’est une date clé dans le mouvement des free party car il survient dans la foulée du teknival de Courcelles-sur-Seine qui s’est tenu un mois avant et qui était l’un des premiers à rassembler 10 000 à 20 000 personnes, ce qui en faisait le plus gros teknival de l’époque. Au Carnet, l’idée était de retrouver du sens et de l’engagement face au gigantisme de Courcelles-sur-Seine, notamment en greffant l’événement à une manifestation organisée contre un projet de centrale nucléaire. L’événement était gratuit et s’appelait Stop Nuclear Power, sur le site portuaire enclavé entre les communes de Frossay, Saint-Viaud et Paimbœuf. C’était donc le début de l’implantation du mouvement techno dans la région nantaise. Par la suite, Notre-Dame-des-Landes  a aussi été un pôle pour le développement de ce genre d’événements. Et le Carnet a été, en quelque sorte, précurseur des futures messes altermondialistes qui ont eu lieu à Notre-Dame-des-Landes, avec un village associatif, des concerts rock, reggae… Il y a même eu un concert de Noir Désir au Carnet ! Cette fête sur le quai Wilson résonnait clairement avec toute cette tradition qui s’est installée dans la région.

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Teknival du Carnet.
©defflo

Comment la police nantaise réagit-elle face aux manifestations ?

Il faut se rendre compte que Nantes a vraiment servi de laboratoire à l’élaboration de toutes les nouvelles armes de la police nationale et de la gendarmerie depuis quelques années. Le lanceur de balles de défense (LBD) a été testé en partie à Nantes. En parallèle de son utilisation dans les quartiers populaires en région parisienne notamment, il y avait des policiers nantais volontaires qui avaient demandé à pouvoir tester le fameux LBD à l’époque où il était encore à l’état de prototype. Cela nous ramène d’ailleurs à 2007, où Pierre Douillard, lycéen de 16 ans, est blessé par un policier qui testait le LBD dans une manifestation contre la réforme universitaire. Il en ressortira borgne.

Ce jour où Steve est décédé, en quoi les moyens déployés par les forces de l’ordre étaient différents des autres années ?

Ce soir là, en amont de l’intervention pour faire cesser la musique à 4h du matin, la police avait prévu un arsenal répressif assez important : LBD, lanceurs de grenades lacrymogènes, maître chien, taser… Nous n’étions pas dans un dispositif de médiation souple pour faire cesser la musique. Il y avait des agents de la BAC aussi, ainsi que des CRS qui sont intervenus plus tard. Au moins quatre unités de police différentes étaient déployées.

Pourquoi cette histoire vous touche-t-elle particulièrement ?

Ça me touche parce que je suis, comme toutes les personnes présentes ce jour là, passionné de musique, et que les amis de Steve et ses proches étaient passionnés également. C’est pour ça que la musique, dans toute sa diversité, intervient en filigrane de mon récit. Que ce soient des morceaux d’Angerfist ou de gabber qui ont pu résonner l’après-midi du samedi 16 août dernier, lorsque des danseurs rendaient hommage à Steve. Le morceau « Get Free » de Major Lazer apparaît également, puisqu’il est devenu un hymne pour tous les amis de Steve. Ils le passent régulièrement lorsqu’ils organisent des rassemblements en sa mémoire. « Smooth Criminal » de Michael Jackson était un titre qu’adorait Steve. « Porcherie » de Bérurier Noir, avec notamment la fameuse phrase « la jeunesse emmerde le front national, la jeunesse emmerde tous les nazis ». Au fond, on peut tous s’identifier à Steve.

L’ouvrage Tout le monde sait qui a tué Steve est d’ores et déjà disponible en précommande sur le site Internet de l’éditeur Syllepse, au prix de 10€.

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