À Montréal, le label techno Liquid Love Records fédère la scène émergente locale

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©D.R
Le 14.05.2021, à 14h49
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Au cœur de la scène underground montréalaise, le label Liquid Love Records voit grandir les projets de ses jeunes talents malgré les aléas du contexte sanitaire ou de la gentrification de la ville. Entretien avec le fondateur du label et l’un des membres de LLX, qui sort son EP Connexion aujourd’hui.

Par Elsa Fortant

2020-2021 est une année faste pour la techno à Montréal. Les espaces de diffusion fermés, les artistes locaux se concentrent sur la création et la production. Après Secret Knowledge, MFC Records, Vertige, c’est au tour du label Liquid Love Records de fédèrer la scène émergente. Si l’identité esthétique du projet est un work-in-progress, sa dernière sortie, l’EP Connexion du trio LLX s’inscrit dans l’héritage des genres pionniers de la techno de Detroit et dans le sillon des sonorités 1990’s. Efficace. Trax s’est entretenu avec le créateur du label, Martin Cadieux et Rémi, un membre de LLX pour aborder le projet et parler de l’avenir de la scène montréalaise.

Quel est le parcours qui vous amène ici aujourd’hui ?

Martin : J’ai commencé à faire de la musique il y a environ dix ans, quand j’avais 18 ans. Au début je faisais plus du hip-hop, pour le plaisir. Au fil des ans je me suis dirigé vers la musique électronique. Je me suis rendu compte que c’était plus qu’une passion pour moi et que je voulais poursuivre cette voie. Je n’étudiais pas la musique, même au cégep (forme d’établissement d’enseignement propre au Québec, entre le secondaire et l’université, qui se rapproche du lycée français, ndlr) j’étudiais la communication et le cinéma. J’avais un intérêt pour la culture mais pas axé vers la musique, je ne m’imaginais pas devenir artiste. En découvrant la scène musicale électronique, en voyageant, j’ai pris la décision, après une sabbatique de deux ans, de retourner à l’université et d’étudier la musique électroacoustique à Concordia. C’est là que j’ai rencontré un des membres de LLX.  À force d’être au contact de personnes de talents j’ai voulu faire partir un projet qui donnerait de la visibilité à la musique que j’aime et que je trouve sous-représentée.

Rémi (LLX) : J’ai commencé à faire de la musique autour de 2009 avec Myspace. J’ai fait des shows dans des lofts, des soirées underground. J’ai vu que ma création stagnait et que mes connaissances étaient limitées. J’ai repris les études à Concordia et c’est dans ce parcours là que j’ai rencontré Martin, Hugo et JP, et c’est comme ça qu’on a lancé LLX. On a tous des backgrounds en musique : tour manager, ingénieur lumière dans un club… Il y a un an à l’arrivée de la Covid on a tous perdus nos jobs, on se disait qu’on n’avait plus de futur… alors on s’est mis à faire de la musique. Avec nos connaissances multidisciplinaires on a pensé le projet autrement, on voulait créer un show live, avec des lumières, de l’image, on travaille l’écran vert en direct pendant la performance. L’avenir est assez incertain donc on se concentre sur des vidéos, on veut développer un moyen-métrage d’environ 40 minutes avec notre son. On a surtout hâte de pouvoir jouer ça devant du monde.

Sur Connexion on sent des influences multiples qui vont de la techno de Detroit à l’acid en passant par le côté bumpy de la ghettotech (“It’s not the same”), on entend des effets dubby… c’est riche.

Rémi : Pour l’EP on voulait se nourrir de la rapidité et des designs de la F1. La F1 c’est plus que juste de la course, il y a tout le côté technologique derrière. Pour la techno de Detroit, on aime par exemple ce qu’a imposé Underground Resistance et la culture de l’anonymat. On n’ira pas jusqu’à mettre des cagoules mais on aime l’idée que les gens ne se concentrent pas sur ce dont on a l’air. On veut ouvrir et être le plus inclusif possible. 

Et pour Liquid Love Records ? Les quatre sorties recouvrent des univers assez différents.

Martin : Comme l’idée de départ de Liquid Love c’était de créer une plateforme pour que les gens que je connais aient un endroit où distribuer de la musique, ça s’est fait organiquement. Le label n’a qu’un an, il est très jeune, l’identité de marque et visuelle se forment encore et elles évoluent au fil des projets. À date, tous les projets sont le résultat d’une approche personnelle, donc plurielle. L’identité du label c’est de rassembler les gens, de prendre les pièces d’ailleurs et les faire marcher ensemble. LLX c’est le projet le plus développé, entre la techno, les influences des années 1990 et la rave.

Avant la pandémie, où aviez-vous l’habitude de sortir ?

Rémi : Je viens vraiment de la culture des lofts underground ou tu passes par la ruelle, t’arrives et c’est parti pour 15h de son. Sinon Stereo, gros classique à Montréal. J’aime aussi les plus petits endroits comme le Datcha. 

Martin : C’est similaire pour moi vu qu’avec Rémi on vient du même milieu, on fréquentait les mêmes endroits. Je n’ai jamais été un mec de boîtes de nuit, je n’étais jamais vraiment branché Belmont même s’il y a des super shows, les boîtes du Vieux-Port ne m’intéressent pas. Je ne retrouvais pas les gens ou la musique que j’aimais. C’était très concentré sur l’image que tu projettes. Montréal a vraiment une belle scène underground, je m’intéresse plus à la scène rave, afterparty. Dans les événements que j’organise, je cherche à garder cet esprit underground en favorisant des petits endroits qui ne font pas payer trop cher et en programmant des prestations live où chacun amène son matériel. Avoir l’opportunité de se présenter, de montrer son art et de juste « être », ça ce sont les lieux qui me font vibrer. Ça rentre dans le mantra du label qui est axé sur la création artistique.

Concernant la scène underground plus particulièrement, on sait qu’il manque d’espace de diffusion et que c’est difficile pour les acteurs du milieu…

Martin : Il y a une espèce de culture du « gate-keeping », des gardiens qui protègent leurs espaces, il faut connaitre les bonnes personnes pour y avoir accès, et c’est toujours les mêmes personnes… Je suis critique car la ville ne soutient pas le développement de la fête. Il y a beau avoir un laisser-aller par rapport à la scène afterparty, il y a quand même plusieurs endroits que je ne nommerai pas où c’était encore une fois les mêmes personnes qui géraient les lieux, qui invitaient le même type de gens. Dans cet esprit-là, oui on manque d’espaces parce qu’à Montréal, avec la gentrification, il y a de moins en moins d’espaces industriels. Je me suis fait dire que dans les années 1990 c’était pas du tout le cas. Malgré cela, la demande est là donc on finit toujours par trouver un moyen. C’est sûr que ça rend le marché compétitif. On est quand même mieux loti qu’à Calgary ou même Toronto.

Rémi : Comparé à l’Europe c’est sûr que c’est différent. Il y a deux ans je suis allé à Bruxelles et dans les parcs, il y avait de la techno. Un peu comme le Piknic Electronik ici mais c’était gratuit, ouvert à tous, aux familles, c’est un truc qu’on n’a pas vraiment ici. On a un peu la culture de rendre la musique accessible au plus grand nombre avec la programmation gratuite des événements comme le Festival de jazz, mais beaucoup moins dans l’électronique. Je trouve que ça manque ici, maintenant avec la Covid, il y a du monde qui sort des enceintes en extérieur, c’est cool.

Sans compter qu’avec l’augmentation des loyers et la gentrification, ça ne risque pas de s’arranger pour la scène underground. Qu’en pensez-vous ?

Martin : J’ai un peu peur pour la vie culturelle, mais surtout pour les espaces culturels parce qu’ils ferment, parce que les loyers montent… On le voit dans le Mile-End, il y a plein de lieux qui sont fermés, le quartier est mort. Ça va être plus difficile, au centre de la ville ou dans les quartiers plus populaires comme Mile-End, Parc-Ex, Rosemont, Hochelaga, des endroits où on avait l’habitude d’aller lancer des fêtes. Une fois que la situation se sera stabilisée, ces quartiers vont accueillir d’autres types de personnes et donc il n’y aura plus de place pour cette forme de culture. C’est une vraie préoccupation. 

Rémi : J’ai toujours trouvé ça absurde les gens qui déménagent dans des quartiers culturels, genre le Mile-End parce qu’Arcade Fire s’est fait connaitre là-bas. Pour ensuite refuser la musique après 20h… Beaucoup de commerces et de places culturelles ferment, ce n’est pas facile. Faut surfer la vague qu’on a…

Martin : Ceci dit, j’ai confiance car à Montréal les gens accordent une importance à la culture et je suis sûr qu’ils trouveront des endroits pour s’exprimer.

Le dernier EP de LLX sur Liquid Love Records, Connexion, est disponible partout.

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