Montpellier : quand le Bar Live hébergeait les meilleurs afters de la ville

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Benjamin Celier
Le 15.06.2020, à 18h29
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©Benjamin Celier
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Dans les années 2000, le Bar Live a été le point de ralliement de toute la jeunesse du Sud de la France qui venait y finir ses nuits, alors que le jour était déjà levé. Soleil, plage, insouciance, liberté, techno minimale et MDMA : retour sur un after mythique.

Cet article est initialement paru en juillet 2019 dans le numéro 223 de Trax Magazine, disponible sur le store en ligne.

Par Olivier Pernot

C’est le moment. Dans les enceintes du club, Cebb envoie « More Heroin » de Superpitcher. Comme une offrande à ce dancefloor qu’il cherche à conquérir depuis des heures. Derrière ses platines, le jeune DJ vient d’atteindre l’apothéose de la matinée. Il s’apprête maintenant à jouer les hymnes du moment : « Emerge » de Fischerspooner ou « The Sky Was Pink » de Nathan Fake remixé par James Holden. De quoi tenir en haleine la foule exaltée. Des centaines de bras se lèvent, les corps sont moites, les bouches pâteuses. Des sourires restent accrochés aux visages, les yeux ronds roulent d’extase. Au plus fort de son existence, le Bar Live, plus qu’aucun autre club du le Sud de la France, a capté l’air du temps et ses vibrations électroniques. Rien, d’ailleurs, ne laissait présager que ce hangar dans la périphérie de Montpellier allait devenir l’after où toute la jeunesse sudiste aimerait se retrouver.

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©Benjamin Celier

On pouvait ouvrir comme n’importe quel bar de village dans l’Hérault, à partir de 5 heures du matin

Alain Zahonero

À l’origine, il y a deux hommes, Alain Zahonero et Jean-Jacques Amouroux. Ensemble, ces figures du noctambulisme local commencent en montant des affaires. Ils ouvrent des bars, des restaurants, des saunas avant de s’arrêter sur un concept original qui deviendra le Bar Live : un immense bar de nuit un peu chaud, avec des danseuses virevoltant sur des barres de pole dance. « C’était une discothèque branchée cul, un peu kitsch », se souvient Cebb, Sébastien Thibaut de son vrai nom. L’établissement ouvre au début de l’année 2000 mais ne trouve pas sa place. Les débuts sont poussifs. Après un an d’exploitation nocturne, les deux associés décident de transformer ce club à l’ambition érotique en after. En s’arrangeant avec la législation. « On pouvait ouvrir comme n’importe quel bar de village dans l’Hérault, à partir de 5 heures du matin », explique Alain Zahonero. En réalité, le Bar Live est une discothèque de jour, qui ouvre quand celles de nuit doivent fermer : à l’époque, 4 heures du matin en hiver et 6 heures en été dans ce département.

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©Benjamin Celier

Coup de fouet

Le club est installé dans un immense hangar aménagé de 1000 m2, dans la commune de Mauguio. De l’extérieur, l’endroit ne fait pas rêver : il est situé en pleine zone commerciale à quelques encablures de l’aéroport, au bord d’une quatre voies qui file vers les plages. Le bruit des voitures qui roulent à 130 km/h sur la voie rapide, l’odeur du bitume chaud, les hôtels bas de gamme et tous ces grands bâtiments de tôle accueillant des vendeurs de piscines ou des concessionnaires de motos font de la zone d’activités de Fréjorgues Est un lieu bien morne. Quand le Bar Live devient un after, l’intérieur du club est encore flambant neuf : un grand bar central, des escaliers en bois, un restaurant en mezzanine. Le seul point noir reste la cabine DJ, installée en hauteur dans un coin. La musique n’était clairement pas la priorité du club initial qui avait tout misé sur les danseuses. « L’espace n’avait pas été conçu pour faire la fête », sourit Cebb qui réussit à l’époque à convaincre ses patrons de descendre le DJ booth au bord du dancefloor, et d’engager d’autres DJs résidents pour imposer une véritable identité musicale.

Le réaménagement du Bar Live tombe à pic. En ce printemps 2001, le Cyrano, célèbre after situé à Saint-Jean-de-Védas – le seul du coin – vient juste de fermer ses portes, laissant le créneau libre. Le contexte local est aussi particulièrement favorable aux musiques électroniques. Depuis les années 1990, Montpellier est déjà une place forte de la house et de la techno. Boréalis, un des premiers festivals techno de France, a laissé des souvenirs impérissables et la périphérie de la ville compte désormais d’importantes discothèques branchées musique électronique, charriant d’innombrables clubbeurs avides de continuer leurs fêtes en after une fois les rideaux tirés. « C’était la grande époque, avec quelques gros clubs comme La Villa Rouge, La Dune ou La Nitro », se souvient Greg Delon qui rejoint Cebb derrière les platines du Bar Live, suivi par Sandy, Miss Airie, Nhar ou Bastien Grine. Les patrons du Bar Live font le pari risqué d’engager des DJs résidents encore peu connus et de miser sur la jeunesse afin de créer une osmose avec le public. Bien vu. Ce choix fait l’effet d’un coup de fouet.

C’était un lieu avant-gardiste, une révolution pour une petite ville comme Montpellier ! 

Olivier Dalle

House minimale et electroclash

Au début des années 2000, la musique électronique est à un tournant. La French Touch s’éteint lentement. Faute de mieux, les gros clubs montpelliérains tournent encore sur la house et la techno de ces années 1990 qui se clôturent. Une vague venue d’Allemagne est pourtant en train d’apparaître avec deux courants forts. D’un côté, la house minimale, aux teintes pop, avec notamment les productions des labels Kompakt et BPitch Control, de l’autre, l’electroclash, plus noire et new wave, menée par International Deejay Gigolo Records. Les jeunes DJs résidents du Bar Live vont imposer ces deux styles qui ne sont nulle part ailleurs à Montpellier. À l’époque – quand Internet se déploie à peine et que streamer la musique n’est encore qu’un vœu pieux – le club est l’endroit idéal pour découvrir les sorties de la semaine. Le Bar Live apporte un nouveau souffle, un nouveau son. « C’était un lieu avant-gardiste, une révolution pour une petite ville comme Montpellier ! », s’enthousiasme Olivier Dalle, un ancien client. Pour réussir à convertir le public du Bar Live, les DJs résidents ont leur recette. Dès l’ouverture du club, à 5 heures, le mix démarre doucement, avec de la deep house, avant de monter crescendo, jusqu’à 13 heures. Comme un ascenseur émotionnel qui emmène le public au plus haut, vers un peak time aux alentours de 10 heures. « À cette heure-là, la foule était alors survoltée, surexcitée, se souvient Miss Airie. Et nous, derrière les platines, on avait des frissons ! »

Comme souvent avec les afters, le public du Bar Live est composé de jusqu’au-boutistes pour qui se coucher n’est pas une option. « On ne savait pas à quoi ils avaient carburé, alcool ou drogue, mais il fallait les accompagner dans cette nouvelle “soirée” », raconte Greg Delon. Au milieu de cette population mélangée et infatigable, on trouve des jeunes fêtards, des étudiants, des actifs, plus ou moins vieux, des hétéros, des gays, des échangistes, des drag queens et même, à certaines occasions, de jeunes mariés en tenues de noces. « Contrairement à beaucoup d’autres afters, l’ambiance au Bar Live n’avait vraiment rien de sordide », commente Alain Zahonero. Après des heures dans la pénombre et les lights colorées du club, le soleil méditerranéen cogne dur quand vient le moment de rentrer se coucher. Ou de filer s’écrouler sur la plage.

Tout le grand Sud

Au bout de six mois, le club accueille déjà 1000 à 1500 personnes tous les samedis et dimanches matins. De plus en plus nombreux, le public vient aussi de plus en plus loin, de tout le grand Sud de la France. Dès que les clubbeurs ont fini leurs soirées à Marseille, Avignon, Perpignan ou Toulouse, ils foncent en voiture vers Montpellier pour continuer leur nuit. Pour s’en rendre compte, il suffit de jeter un œil sur les plaques d’immatriculation des voitures garées aux abords du club. Certains fêtards se réveillent même spécialement pour venir au Bar Live. C’est le cas de Stéphanie Daverton, une habituée : « Si on n’était pas sortis la veille, certains week-ends, on se levait et on se préparait pour y aller. C’était comme à la messe ! » Le succès du Bar Live est exponentiel.

Si les week-ends avec les DJs résidents fonctionnent très bien, Cebb a l’idée de monter des événements encore plus fous, baptisés Geisha, avec des guests DJs. Trois ou quatre fois par an, le club est entièrement redécoré et on y voit débarquer des jongleurs, des cracheurs de feu et des artificiers de tous bords. L’ambiance est hystérique. Début 2002, les matinées Geisha invitent même les jeunes artistes allemands dont les résidents jouent les maxis, et c’est au Bar Live que Paul Kalkbrenner et Ellen Allien feront leurs premières dates en France. Les Geisha ramènent également des pointures allemandes déjà bien installées, comme Michael Mayer, Superpitcher, les émergents Ben Klock et Marcel Dettmann et même des figures internationales comme Luciano, Len Faki ou Steve Rachmad. Ces matinées exceptionnelles renforcent l’aura du club. Le Bar Live est sur un nuage, bien loin de la galère des débuts.

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Cebb, Ellen Allien et Greg Delon
©Benjamin Celier

Mais si les gens dansaient jusqu’à midi, c’est aussi parce qu’ils étaient chargés

Olivier Dalle

Problèmes de drogue

Pourtant, après huit ans de fêtes, les deux patrons décident de raccrocher. En plein succès. L’esprit festif du Bar Live s’est frotté à la réalité de la nuit, souvent mal perçue en France. « C’était un lieu magique. Tout le monde venait s’y perdre, raconte Olivier Dalle. Mais si les gens dansaient jusqu’à midi, c’est aussi parce qu’ils étaient chargés. » Justement, depuis quelques années, l’établissement est particulièrement surveillé, aussi bien pour la consommation excessive d’alcool que la drogue. Au point d’être sans doute le club le plus contrôlé de la région. Tous les week-ends, les gendarmes de Mauguio multiplient les contrôles sur le rond-point à quelques dizaines de mètres de l’établissement. Le Bar Live a beau disposer d’un service de sécurité chevronné chargé d’attraper les jeunes transportant sur eux des cachets d’ecstasy ou des parachutes de MDMA, le club est dans le collimateur des autorités. Résultat, il subit une dizaine de fermetures administratives en huit ans. « Avec mon associé, nous étions arrivés au bout du chemin, commente Alain Zahonero. La clientèle se délitait. Les soucis avec la drogue étaient constants et le GHB commençait à arriver à cette époque. » C’est décidé. L’aventure du Bar Live s’achève en mars 2009. Depuis, Montpellier n’a plus jamais connu un tel engouement pour un club électronique. Certains ont bien tenté, sans succès, de faire revivre l’insouciance de cet after mythique en lançant dans ses murs deux nouvelles discothèques. Mais l’énergie des débuts n’est jamais vraiment revenue dans ce hangar de la zone d’activités de Fréjorgues Est. À croire que les fêtards ont enfin décidé d’aller se coucher. Aujourd’hui, l’ancien bâtiment du Bar Live a été transformé en une immense salle de sport sans charme. Et désormais, pour accompagner abdos, tractions et autres squats des sportifs du dimanche, la sono ne crache plus du Superpitcher.

Sur les platines du Bar Live :

Miss Airie

Renato Cohen, « Pontapé » (2001)
Tomaz vs. Filterheadz, « Sunshine » (2002)
Silicone Soul, « Right On ! » (2001)

Cebb

Fischerspooner, « Emerge » (2000)
Nathan Fake, « The Sky Was Pink (Holden Remix) » (2004)
Superpitcher, « More Heroin » (2002)

Greg Delon

Kotai, « Sucker DJ » (2002)
Ellen Allien, « Stadtkind » (2001)
Jake Fairley, « Oshawa » (2002)

Trax 223, juillet 2019
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