Vendredi prochain, Molécule se produira en live sur la scène du Safari Boat de 20 heures à 23 heures, suivi par le jeune duo You Man. Au départ du quai Saint-Bernard dans le 5e arrondissement de Paris, l’embarcation musicale voguera sur le Seine jusqu’à 1 heure du matin. L’accueil des passagers se fera dès 19 heures, pour un départ prévu une heure après. N’oubliez pas bouées et gilets de sauvetage : ça risque de secouer sévère sous les kicks et basses du DJ marin, qui nous revient après une expédition hyperboréenne, coupé du monde.
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Cet article est initialement paru dans Trax #203
Par Smaël Bouaici
Trois ans après son périple en mer du Nord, durant lequel il a enregistré un album sur un chalutier, le producteur parisien Molécule s’est échappé au Groenland durant 5 semaines de field recording pour confectionner un disque forcément unique et singulier. Quelques semaines après son retour à Paris, Molécule nous raconte cette aventure hors du commun…
Tout a commencé presque normalement, à Roissy, pour un vol de trois petites heures vers Reykjavik. À un petit détail près : Molécule et le vidéaste qui l’accompagne dans cette virée dans le Grand Nord règlent 5 000 euros de surplus de bagages, avec 167 kilos de matériel audio et vidéo sur la balance. Après un transit forcé de deux jours en Islande pour cause de mauvais temps, le duo embarque dans un petit avion qui les dépose à Kulusuk, un « grand » village du Groenland. De là, il faudra encore deux hélicos et huit heures de traîneau tiré par des chiens pour atteindre le village de pêcheurs de Tiniteqilaaq, 30 maisons, 80 habitants et 300 chiens de traîneau. « Un périple, surtout le traîneau, qu’il faut pousser quand ça monte. Et les bêtes, entre chien et loup, tu ne les caresses pas. Elles sont hostiles, comme tout l’environnement du Groenland », se souvient Molécule sur la terrasse ensoleillée d’un café du 18e, alors que passe un camion frigorifique siglé d’un ours polaire. Dès son arrivée sur place, il part s’installer dans la maison qu’il a réservée quasiment un an auparavant. « C’était des conditions spartiates : j’ai loué une cabane avec l’électricité, mais sans d’eau, ni toilettes, ni douche. Dedans, j’ai recréé un studio entier avec plein de synthés et de micros, un peu comme sur le bateau. »
Fusil à pompe et ours polaire
Les premiers jours, Molécule prend ses marques et commence ses prises de sons. Il se renseigne auprès des locaux sur les dangers à éviter dans un village entouré d’une nature hostile. « On se réveillait très tôt. Le soleil se lève vers 8 heures et au début, il se couchait vers midi. Quand il fait nuit, on ne peut pas sortir du village, on est complètement isolés. Et dès que tu dois faire 50 mètres, il faut des raquettes, avec de la neige jusque-là. »
Le Parisien découvre alors les joies de la vie sauvage près du pôle Nord, le froid, mais pas que. « La banquise est une sensation assez effrayante, c’est très instable, ça peut craquer à tout moment, et il y a beaucoup d’accidents. » Sans compter les animaux sauvages, et notamment les ours polaires. « On avait toujours un fusil à pompe dans le dos pour pouvoir se défendre face à un ours qui déboulerait. Je suis bien content de pas en avoir vu, c’était une grosse source d’anxiété. »
Le village où il est installé est en quasi-autarcie. Sur place, pas d’Internet, juste un téléphone qui coûte horriblement cher : « On a été coupé complètement pendant quinze jours. C’est un peu effrayant : si tu as un accident, l’hélicoptère arrivera trois jours après. » Aucun restaurant ni bar non plus. Le seul commerce est une supérette gérée par l’État, qui vend des produits congelés et des boîtes de conserve. « C’est un régime alimentaire assez terrible, j’ai perdu 5 kilos. La seule nourriture fraîche, ce sont les phoques qu’ils chassent et quelques oiseaux. Le phoque, j’ai pas aimé. » Heureusement, les visiteurs ont emporté quelques produits du pays, charcuterie, câpres, tabasco et whisky, « parce que l’alcool fort est interdit là-bas, ça cause trop de problèmes. »
Des Inuits portés sur la bouteille
Isolée du monde, avec son chômage endémique, Tiniteqilaaq n’offre pas une vie de rêve à ses habitants. « Il y a un gros problème d’alcoolisme là-bas », explique Molécule. « C’est un village un peu fantomatique, il n’y a pas de rue, pas de voiture, juste des petits chemins, avec un côté dépressif, mélancolique. Sur les 80 habitants, beaucoup ne travaillent pas. Les enfants amènent un peu de joie, mais il y a un trou de population parmi les jeunes, qui partent dans un village plus grand pour étudier et ne reviennent généralement pas. Une dizaine de personnes travaillent à l’entretien du village, et le reste, ce sont des mecs qui zonent un peu. Mais ils ont aussi une capacité à vivre dans le présent, à ne pas se projeter, qui est fascinante. C’est un peuple indien, avec tout le mysticisme qui va avec, et on leur a imposé le luthéranisme, une religion très austère. Ils étaient nomades, ils sont devenus sédentaires… Il y a un truc qui ne leur va pas mais ils sont très fiers et forts. Être observateur de tout ça, c’est remuant, car ça te renvoie vers toi. »
Tous se retrouvent le soir à la maison communale, le seul lieu social du village, pour jouer au ping-pong, au baby-foot ou aux cartes. « Les Inuits sont très joueurs ! On a fait des tournantes en ping-pong à n’en plus finir. » Certains s’intéressent à cet étrange grand Blanc venu faire de la musique au Groenland. « Ça s’est su très vite. Un des premiers jours, un jeune est venu me voir en mimant des notes de piano. Les gens étaient curieux, certains sont venus me parler, mais les rapports étaient étonnants. C’est une culture très différente et la communication était très compliquée, presque aucun ne parlait anglais. »
Iceberg sampling
Tout est donc très compliqué à mettre en place. Mais au bout de quelques jours de négociations, Molécule parvient à lancer une expédition en bateau pour monter sur un iceberg et l’enregistrer. « Ça bouge beaucoup ! J’ai plutôt le pied marin mais je ne me sentais pas du tout à l’aise. L’eau est un piège permanent, l’iceberg peut se retourner, la banquise s’effondrer, tout peut être fatal à chaque instant. Je n’étais pas rassuré. »
Le soir, Molécule le passe à dérusher tous les sons captés et à composer des morceaux, qu’il ne retouchera pas en rentrant en France. « C’est le même dogme artistique que sur le bateau : partir avec mes instruments, des micros et des pages blanches. J’ai fait un morceau avec tous les bruits de bugs liés au froid, j’ai fait parler le silence, j’ai écouté le travail de la banquise… C’est une musique forte en émotions. Quand on enregistre du silence sur la banquise, on est en connexion avec un désert blanc, et on va au plus profond de soi dans les peurs qu’on peut avoir. Le silence est assez effrayant, Et à l’inverse, j’ai des morceaux d’extase totale. Il y a une lumière exceptionnelle dans ces régions, en plus des aurores boréales. Je revois cette image quand je suis arrivé en avion d’Islande. On était cinq dans un petit coucou à hélices pour aller au bout du monde, et au moment où la terre s’est dévoilée derrière les nuages, j’étais presque au bord des larmes de voir cette terre vierge. On a envie d’en prendre soin, il y a quelque chose de très mystique. Même si je ne suis pas trop branché spiritisme, ces vallées, ces fjords, ces montagnes, on sent que c’est habité. »
Des contraintes pour mieux créer
En quête de sensations avant de partir, Molécule aura été servi. À tel point qu’il a du mal à s’imaginer dans un studio parisien. Se sent-on plus artiste quand on part créer au bout du monde, en se mettant en danger ? « Il y a plus de profondeur et une dimension supplémentaire avec cette démarche, acquiesce-t-il. J’avais déjà fait trois albums de studio, et j’avais la volonté de me renouveler et de m’imposer des contraintes. L’idée est de faire une musique carnet de bord, qui respire des émotions que j’ai pu vivre. Quand je réécoute certains morceaux, ce n’est pas la même sensation que quand j’écoute un titre sur mes albums précédents réalisés en studio. C’est marquant. »
De retour depuis quelques semaines, Molécule semble pourtant encore sur son nuage blanc. « Il y a clairement un avant et un après. Partir très loin, c’est une manière de se regarder très près, ses peurs ses angoisses, ses pulsions dans des conditions pareilles. Ce sont des expériences qui font évoluer et à chaque fois, j’en retire une sorte de force tranquille. » Pourtant, il a déjà des fourmis dans les jambes. « À chaque fois que je reviens, j’ai envie de repartir pour une nouvelle aventure. Là, je n’ai rien de planifié, mais le prochain album sera encore une épopée. Pourquoi s’en priver ? »
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