Tu es donc parti sur un chalutier dans la Mer du Nord, et dans quelques jours, tu seras dans l’un des villages les plus reculés du monde. La première question qui vient à l’esprit, c’est : pourquoi ?
C’est une bonne question (rire.). Il y a déjà l’excitation de vivre des aventures et des expériences humaines fortes, en tant qu’homme. Et la musique me permet de vivre ça, d’une certaine matière. Je n’arriverais pas à me placer dans de telles conditions sans la musique. C’est une sorte de béquille sur laquelle je me repose dans les moments difficiles. J’ai toujours pensé que les contraintes étaient sources de création, donc me mettre comme ça dans des lieux hostiles, ou même parfois en danger, cela éveille des émotions et l’inspiration. Je ne me vois pas du tout aller sous les tropiques pour composer un album de musique. J’aurais trop envie de me la couler douce.
J’ai toujours pensé que les contraintes étaient sources de création, donc partir des lieux hostiles, ou même parfois se mettre en danger, cela éveille des émotions et l’inspiration.
Molécule
Donc, d’une certaine manière, la difficulté, la rudesse du climat et ces lieux hostiles à l’homme stimulent ta créativité ?
Dans ce genre d’aventure, il y a une notion de travail qui est assez forte. J’y vais gonflé à bloc, et il faut de la force pour avoir un résultat. Ce milieu est très inspirant. Après, c’est aussi une question d’affinité. Sur 60°43 Nord, vivre une tempête en plein milieu de l’océan était quelque chose qui m’a toujours fasciné, je voulais me retrouver là-dedans. Je me suis toujours dit : “Mais putain, ces marins qui sont là, qu’est-ce qu’ils ressentent ? Qu’est-ce qu’on est face à des déferlantes de 15, 20 mètres ?” J’ai eu en partie ma réponse à ça. Et là, dans ces conditions extrêmes du Pôle Nord, c’est une démarche identique, mais je ne vais pas du tout chercher la même chose. Comme à chaque fois, avant de partir, il y a une grosse zone d’inconnues. L’idée est de ne pas savoir ce que je vais y faire.
En amont, comment appréhendes-tu cette expérience ?
C’est un gros travail de logistique. Ça peut sembler bête mais c’est, par exemple, m’assurer que les circuits électriques vont tenir. La petite baraque dans laquelle je vais être est une cabane de chasseur-pêcheur du Groenland, alimentée en électricité par un groupe électrogène. Et ça dans un petit hameau où il y a 100 Inuits pour 300 chiens de traîneau. Pour rejoindre ce village, il faut deux vols en avion et deux vols en hélicoptère. Je mets trois jours pour y aller. Donc c’est vraiment le bout du monde. Je dois m’assurer que je vais pouvoir utiliser mes synthétiseurs et autres machines que j’emporte avec moi. Et ne rien oublier entre tout le matériel, les instruments, les micros, l’équipement…
Ce qui me parle en premier, c’est le fait de se confronter à la force de la Nature.
Molécule
On imagine qu’il y a plusieurs problématiques à prendre en compte au niveau du matériel pour ce périple particulier…
Actuellement, la grande problématique, c’est le froid. Rien qu’à Paris en ce moment, quand on sort son portable, dix minutes plus tard la batterie a baissé de moitié à cause du froid. Je cherche des conseils à droite à gauche. Je vais acheter des petites plaques chauffantes utilisées par des alpinistes pour chauffer leurs semelles. Je vais essayer ça sur la banquise, quand j’irai chercher les sons, garder tout mon matériel dans un sac conditionné avec ces plaques chauffantes. Sortir le matos rapidement et pouvoir le remettre dedans immédiatement. C’est le concept inversé d’un frigo : une petite mallette où je mets tout dedans et que je peux prendre pendant plusieurs heures quand je vais écouter les craquements de la banquise, par exemple.
Pourquoi le Groenland, spécifiquement ?
J’avais envie d’aller dans une région froide mais il n’y avait rien de prédéfini. Pour le bateau, pareil : l’idée était d’aller sur l’océan, mais le comment restait à trouver. Et j’ai fini sur un chalutier. Là, ce qui m’intéresse, c’est le désert blanc, les conditions de froid extrême avec toutes les machines analogiques et y travailler. C’est une région que j’imagine silencieuse, un espèce de silence polaire et j’aimerais travailler autour de ça. Cela aurait pu être l’Antarctique, c’est le Groenland.
Depuis combien de temps travailles-tu sur ce projet ?
Cela fait un an. Un beau jour, un explorateur, guide spécialiste de ces régions, me dit : “Il y a possibilité d’avoir une maison dans un village au bout du monde.” J’ai été tout de suite intéressé et j’ai commencé à en parler autour de moi. Le projet s’est monté comme ça.
Ce désert blanc nous confronte à la Nature. Il y a donc le côté un peu archaïque des origines de l’Homme.
Molécule
En partant de ta dernière expérience dans la Mer du Nord, qu’est-ce que ça te fait de te trouver tout seul, face à la nature ? Comment le ressens-tu ?
C’est un projet “écologique” dans cette démarche d’aller vers la nature, et d’être le plus extrême. Mais ce n’est pas quelque chose que j’intègre dans la musique. Peut-être que pour le Groenland ce sera plus flagrant car je ne serai pas sur un chalutier très bruyant, qui était une sorte d’usine flottante, avec des bruits de machinerie partout. Les seuls moments où j’entendais la mer, c’était lors des tempêtes. Ici, ce sera différent : quand on est au cœur d’une nature comme celle-ci, poussée à son paroxysme, on se sent tout petit. Ça remet un peu les idées en place.
MOLECULE – 60°43′ Nord – Teaser
Cette dimension “écologique” comme tu dis, c’est quelque chose que tu recherchais dès la base du projet ou que tu as vu plus tard ?
C’est le fait de se confronter à la force de la Nature qui m’a d’abord parlé. Une tempête, un grand froid, un désert de glace, les éléments… Ce sont des milieux très différents mais qui nous confrontent à la Nature. Il y a donc le côté un peu archaïque des origines de l’Homme. Cela pose des questions existentielles, le lien entre le corps, l’esprit, la nature, la connexion entre les choses. Nous sommes dans une société où nous avons oublié ces liens. Les Inuits que je vais rencontrer au Groenland les ont gardés, mais plus pour longtemps. Personnellement, c’est probablement un retour sur moi-même, un retour aux origines de la vie. Pourquoi ? Comment ? Ce sont des questions très vagues, mais à la fois très profondes. C’est surtout ça qui explique la démarche. Donc le côté écologique est là-dedans.

Je ne sais pas si mon album rendra compte de la fonte des glaces par exemple, ce n’est pas forcément mon objectif. Mais ces changements climatiques dont on parle beaucoup en ce moment ont un impact fort sur des régions comme le Groenland. La dimension écologique et climatique sera plus importante parce que c’est une des zones qui subit cela de plein fouet. Les Inuits sont un peuple avec des coutumes et un mode de vie qui sont bouleversés par ces changements-là. Je ne sais pas comment cette dimension va se traduire, si c’est d’un point de vue sonore ou de l’inspiration, mais elle va compter. Il y aura certainement une influence mais cela fait partie des inconnues.
Tu nous parlais des Inuits. Comment appréhendes-tu le contact avec cette population ?
Je suis d’une nature curieuse et ouverte, donc il n’y a pas d’appréhension. On a déjà fait un rendez-vous avec le guide qui les connaît bien, qui nous disait que c’était une société qui était basée sur le collectif. Elle n’est pas du tout comme la notre. Ce qui compte pour eux, c’est de faire des choses qui apportent quelque chose à la communauté. C’est sûr que ma démarche est assez individuelle. Mais je pense qu’ils y seront peut-être sensibles, du fait que je vienne jusqu’à eux. Je vais trouver des moyens de collaborer avec et de me fondre dans leur vie de tous les jours. Là encore, c’est une inconnue.
J’amène des pages blanches. Je n’ai aucune idée de ce que je vais composer une fois sur place.
Molécule
Tu ne te lances pas seul dans ce périple. Cela te rassure ?
Oui. Ce qui pourrait être un peu plus anxiogène serait le côté “paumé, loin de tout, tout seul“, être isolé, enfermé dans quelque chose duquel on ne part pas comme ça. Dans un village, il y a une rotation en hélicoptère une fois par semaine. Aucune route, pas de chemin. Cent personnes vivent dans le creux d’un fjord, complètement isolés. Ils se déplacent en chien de traîneau, en raquette et en motoneige…
Tu nous parlais des grandes inconnues, mais qu’espères-tu ramener de là-bas aujourd’hui ?
J’amène des pages blanches. La seule chose sur laquelle je me suis concentré et projeté ces dernières semaines était le matériel que j’allais emmener là-bas, quel matériel correspondait à cette aventure. Mais je n’ai aucune idée de ce que je vais faire et je ne veux surtout pas le savoir. La première semaine, je pense que je ne vais pas allumer mes machines, histoire de ressentir et petit à petit se couper de cette vie parisienne, de perdre ses repères et laisser venir l’inspiration. Je pars avec un dogme qui est de revenir en France une fois le projet terminé et de ne surtout rien retoucher. Je vais tout faire là-bas, dans cette petite maisonnette, qui va être ma tanière pendant cinq semaines.
Tu ne retoucheras rien du tout ?
Pour moi, c’est une bonne contrainte. Je vais là-bas pour essayer de créer une musique qui colle aux émotions que je ressens sur place. Si, une fois revenu, tranquille dans mon studio parisien, je retouche des choses, je change des notes ou que j’en rajoute, tout le concept s’écroule. C’est un instantané, une photographie avec ses défauts. Et les défauts sont aussi charmants et font la beauté d’un projet.
Musicalement, ce parti pris, c’est un peu un retour aux sources ?
À l’heure du numérique, tu peux sans cesse revenir sur des sessions, c’est sans fin. Tu auras toujours quelqu’un qui te donnera son avis ou qui pensera qu’il fallait faire les choses autrement. Même d’un point de vue personnel, selon l’humeur, on va travailler sur un morceau deux semaines, on rouvre la session et on a envie de tout changer, on peut y rester des années. Pour ce projet, l’idée, c’est donc de tout faire là-bas. Les instruments électroniques, compacts d’aujourd’hui le permettent. Je pars avec cinq valises, remplies de machines, de synthés, etc.. Et j’ai tout ce qu’il me faut pour y faire un album entier. L’étape qui sera faite en France sera peut-être l’editing de l’album. C’est-à-dire lier les morceaux entre eux, et le mastering avant la fabrication.
Qui d’autre sera avec toi ?
Je pars avec un vidéaste, histoire de revenir avec plein de rush pour la tournée et pour les clips. Lui aussi va réaliser une œuvre qui donnera sa vision de ce monde. Je pense aussi sortir un livre avec des photos et tenir un journal de bord. On veut revenir avec le maximum de contenu.
As-tu un objectif concret ?
Revenir avec une vingtaine de morceaux, peut-être moins, peut-être plus, et d’en faire un album.
Et la musique électronique dans tout ça ?
La musique électronique et la techno ce sont des genres qui peuvent le mieux exprimer la dangerosité, le climat hostile, l’isolement… Avec les instruments modernes, nous avons une palette d’expressions incroyable. On peut vraiment faire ou dire quelque chose avec un son. Effectivement, la musique électronique se prête bien à ce type d’expérience.
