“Modulations: Cinema for the Ear”, l’histoire de la musique électronique dans un documentaire

Écrit par Céline Emmerechts
Le 18.03.2016, à 14h35
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Écrit par Céline Emmerechts
La musique électronique s’inscrit dans un processus créatif ayant commencé bien avant les années 80, époque où elle est reconnue comme une famille musicale à part entière. Au début du 20ième siècle déjà, certains artistes posent les bases de cette dernière. Ensuite, un certain nombre d’évolutions et d’inventions comme l’ordinateur, le synthétiseur ou encore les machines Roland viennent alimenter cette musique. Des débuts avec John Cage et Pierre Henry, à la musique ambient de Brian Eno, en passant par Kraftewerk remixé par Africa Bambataa pour arriver aux origines de la techno ainsi qu’à l’apogée de la house de Chicago, le documentaire “Modulations: Cinema for the Ear”, réalisé en 1998 par Iara Lee, revient sur cette passionnante histoire qui se trame derrière la musique électronique.

“Il faut à tout prix rompre ce cercle restreint de sons purs et conquérir la variété infinie des sons-bruits”

Luigi Russolo, 1913

Modulations: Cinema for the Ear est un documentaire qui revient sur l’histoire de la musique électronique. Il remonte jusqu’en 1913, année où un manifeste futuriste, L’Art des bruits, est écrit par Luigi Russolo. Ce compositeur et peintre italien est considéré comme le créateur de la musique bruitiste.

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“Chaque manifestation de notre vie est accompagnée par le bruit. Le bruit nous est familier. Le bruit a le pouvoir de nous rappeler à la vie. Le son, au contraire, étranger à la vie, toujours musical, chose à part, élément occasionnel, est devenu pour notre oreille ce qu’un visage trop connu est pour notre oeil. Le bruit, jaillissant confus et irrégulier hors de la confusion irrégulière de la vie, ne se révèle jamais entièrement à nous et nous réserve d’innombrables surprises.”


Les années 1920
sont ensuite marquées par l’invention d’instruments électroniques comme le thérémine du russe Lev Sergueïevitch Termen ou le Sphärophon de Jörg Mager.

“Les instruments électroniques vont rendre accessibles tous les sons que nous pouvons entendre”

John Cage

En 1939, c’est John Cage qui poursuit l’innovation en matière de musique électronique grâce à ses expérimentations. Ce compositeur reprend l’idée que la musique peut découler de l’utilisation de bruits, qui sont présents tout autour de nous. Selon lui, la musique doit être contrôlée par le hasard et être “une affirmation de la vie, et non une tentative de faire sortir l’ordre du chaos ni de suggérer des améliorations dans la création, mais simplement un moyen de s’éveiller à la vie que l’ont vit”.

Vient ensuite Pierre Schaeffer. En 1948, il invente le terme “musique concrète” pour définir le genre de musique qui consiste à apprivoiser le bruit pour ensuite l’intégrer dans une oeuvre musicale. Avec Pierre Henry, ce compositeur français est considéré comme l’un des pères de la musique électro-acoustique.

“Quand j’étais enfant j’avais dans ma tête des sons nouveaux, des sons inouïs, des sons que je ne pouvais pas interpréter. Je crois que c’est là le propre de la musique concrète : elle ne vient pas de l’interprétation, elle ne vient pas de l’exécution sur un instrument, elle vient de l’imaginaire. Et c’est de ça que la musique concrète est née. C’est une musique qui n’est pas jouable sur un instrument mais qui l’est sur les appareils électroacoustiques”

Pierre Henry

Les années passent et les évolutions technologiques se multiplient. En 1964, Robert Moog, que l’on retrouve dans le documentaire, conçoit le premier synthétiseur.

Le compositeur Karlheinz Stockhausen, considéré comme le grand-père de l’electronica, intervient également.

On a parfois tendance à l’oublier au vue des différences qu’il existe actuellement entre les divers genres musicaux, mais le rock, la pop et une partie du jazz moderne ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui sans la contribution de l’électronique. Teo Mecero, musicien et producteur du sublime album Kind of Blue de Miles Davis, entre autres, en témoigne, et nous raconte que grâce aux technologies “on peut faire un tas de choses pour lesquelles on n’avait pas les techniques dans les années 50 ou au début des années 60”.

Alors qu’une scène plutôt progressive éclot en Europe avec Pink Floyd, Soft Machine ou encore le groupe Can au début des années 70, il semble temps pour les DJ new-yorkais d’innover. Ces derniers se mettent à scratcher des disques. Le turntablism est né.

Les expérimentations et les découvertes ne cessent de voir le jour et, dans le milieu des années 70, Brian Eno, qui joue avec les sons à la manière d’un peintre abstrait, donne naissance à un nouveau courant musical : l’ambient.

Cette musique abstraite a pour volonté de décorer le lieu où elle est jouée, au même titre que les meubles ou les rideaux. Cette idée n’est pas nouvelle, on la retrouve déjà en 1917 dans la “musique d’ameublement” d’Erik Satie qui était produite uniquement pour servir de fond sonore.

L’année 1977 est marquée par deux événements majeurs qui contribuent à propulser la musique électronique aux quatre coins du monde. Le premier est la collaboration de Giorgio Moroder avec Donna Summer sur “I Feel Love”.

Et le second est la sortie de l’album Trans-Europe Express de Kraftwerk. Lorsqu’Afrika Bambaataa le sample, la musique électronique semble résonner comme un son universel.

 “Nous avons une âme, même si elle est électronique et mathématique”

Kraftwerk


“Nous ne sommes pas des musiciens, nous sommes juste des artistes qui font du collage”

Future Sound of London

Au début des années 80, les machines Roland font leur apparition et avec elles, la techno et la house, respectivement à Detroit et à Chicago. On retrouve Jeff Mills, Kevin Saunderson et Juan Atkins, pionniers de la techno ainsi que Jesse Saunders, Marshall Jefferson, Paul Johnson, Mike Dearborn et Derrick Carter, figures emblématiques de la house. Aujourd’hui âgés, c’est à la fleur de l’âge qu’ils se confient à nous dans le documentaire.

“Nous devons rêver le futur pour échapper à la réalité. Cela a été incorporé dans la musique.”

Juan Atkins

Durant les années 90, les technologies digitales prennent de plus en plus d’ampleur. Certains artistes tirent avantages de ces avancées et de nouveaux genres musicaux, notamment la drum&bass et la jungle, voient le jour.

“Les gens oublient à quel point c’est formidable et à quel point les possibilités sont infinies”

Squarepusher

Depuis le début du siècle dernier, nous pouvons observer que les inventions et les avancées technologiques, maniés par quelques brillants esprits, ont dicté ce que serait la musique. Aujourd’hui, la technologie ne cesse de se développer et la musique, de se ré-inventer. Nous ne vivrons peut-être pas un bouleversement musical flagrant et marquant comme ce fût le cas dans les années 80, mais ce qui est sûr, c’est que la musique électronique, guidée par le besoin d’agrandir les esprits et d’innover, a encore de belles années devant elle.

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