Meute, c’est d’abord l’histoire d’une vidéo YouTube qui avait fait découvrir cet ovni de la musique électronique. Une fanfare tout ce qu’il y a de plus classique qui reprend des morceaux techno, il fallait oser. À sa sortie, la reprise du morceau « Rej » du duo allemand Âme explose les compteurs, étant vu à plus de 400.000 reprises en à peine une semaine sur Internet. Très vite, ce groupe de onze musiciens allemands, créé par Thomas Burhorn, le trompettiste, a joué d’autres reprises dans les rues d’Europe. Laurent Garnier, Frankey & Sandrino ou encore Stephan Bodzin… Une grande partie du répertoire techno mondial y passe, avec une interprétation festive et énergique qui donne tout autant envie de danser.
En à peine trois ans, le groupe est passé du statut de curiosité musicale de rue à véritable déferlante sur les festivals. On les a vu à Dour, aux Transmusicales ou encore chez Laurent Garnier lui-même, au festival Yeah de Lourmarin. En octobre 2017, les douze musiciens ont sorti un album intitulé Tumult, qui regroupe dix de leurs reprises. Et ils ont encore prévu beaucoup de choses dans l’année 2018, avec plusieurs dates en France, notamment un concert à l’espace Alexandre III le 20 avril prochain.
Quelle était l’idée principale derrière la fondation de ce groupe ?
Thomas Burhorn : j’aime vraiment la techno et les clubs. J’y allais régulièrement et je trouvais que c’était quelque chose de cool, mais qu’il ne se passait rien sur scène. Il fallait faire en sorte que cette musique de club passe par l’énergie en live de certains musiciens pour à la fois l’écouter, mais aussi la voir. Ce groupe, c’est aussi une volonté de revenir aux racines de la musique électronique. Parce que chaque art vient de quelque chose de différent. Laurent Garnier par exemple, fait une musique comparable à celle de James Brown avec des instruments électroniques et James Brown a inventé sa musique en s’inspirant peut-être de Chuck Berry, et ce dernier a peut-être suivi la musique des fanfares. On voulait rendre tout ça naturel, sans électricité, comme ces gens qui dansent avec des percussions autour d’un feu.
L’essence même de la formation du groupe est de jouer dans des lieux publics. Comment avez-vous réussi à gérer la transition vers des live en festival ?
C’est totalement différent. En concert, en club ou festival, c’est très important pour nous d’avoir un bon technicien sonore. Il permet de magnifier le son des batteries, de créer une acoustique qui sonne plus techno que dans la rue. Le son est un peu plus artificiel cependant. Dans la rue, le son n’est pas vraiment parfait, mais c’est ce que les gens aiment. Ils peuvent voir directement d’où la musique émane. En festival, on peut quand même toucher plus de personnes.
Comment parvenez-vous à garder l’équilibre entre ce côté spontané des spectacles de rue et l’aspect plus professionnel de votre album ou des festivals ?
On voyage beaucoup, on doit s’occuper de plus de détails concernant les aspects techniques, ça nous coûte beaucoup d’énergie. Mais on ne va pas se plaindre. Et puis quand on est sur scène, la musique et l’énergie que nous transmet le public fait que l’on ressent moins la fatigue. L’année passée, on a fait 130 dates. On a beaucoup aimé, mais on ne pourra pas le faire tous les ans. On continue à améliorer nos shows avec des effets de lumière, des nouveaux morceaux. On voudrait faire en sorte d’encore plus s’approprier la scène. C’est pour ça qu’on se pose des questions aussi sur les shows video. Est-ce qu’on en a besoin alors qu’il y a déjà beaucoup à voir sur scène avec nos musiciens ? Peut-être que c’est bien de ne pas utiliser trop d’artifices, parce quand il y a trop de choses autour, on perd l’essentiel.
“Jouer dans la rue nous permet d’être au coeur du public.”
Donc jouer dans la rue même en étant booké en festival reste obligatoire ?
C’est toujours important parce que c’est un sentiment différent, c’est beaucoup plus surprenant pour les gens qui nous écoutent. En festival, on est sur scène, c’est une situation normale, alors que dans la rue, voir une fanfare jouer de la techno, ce n’est pas quelque chose que le public a l’habitude de voir. C’est intéressant de voir les gens qui se rapprochent parce qu’ils se demandent d’où vient le son. Et puis, douze personnes avec de gros instruments dans la rue, ça attire la foule. Jouer dans la rue nous permet aussi d’être au coeur du public, qui se réunit autour de nous. C’est très intense, très chaleureux, car le public et le groupe se mélangent. Souvent, ce qui nous marque le plus en tant que musiciens, ce ne sont pas les grands concerts, mais des shows dans la rue.
En France, les fanfares ont une image un peu démodée. Comment avez-vous réussi à rendre le concept aussi cool ?
C’est justement parce que les fanfares sont démodées que l’on fait l’opposé. Les gens nous voient avec nos instruments, nos uniformes très classiques, et quand ils nous entendent jouer des sons techno, ils sont surpris. On a simplement mis en commun deux styles musicaux qui ne vont pas ensemble au départ, mais qui, au final, se marient bien. Nous avons aussi créé un style avec notre uniforme et notre logo, ça fait partie du divertissement.
C’est marrant d’utiliser ce mot “divertissement”. Des amuseurs, c’est ce que vous êtes ?
Oui, nous voulons partager. Nous ne sommes pas du genre à dire : « Oh non, ce n’est qu’à propos de la musique et pas du divertissement. » Pour nous, ce n’est pas que la musique, on veut avant tout que les gens s’amusent et dansent.
Le premier morceau que vous avez repris est le titre « Rej » d’Âme. Pourquoi ce choix ?
C’est un très bon morceau parce qu’il est produit avec des sons acoustiques, mais il sonne très électronique. Et la musique électronique n’a pas seulement permis d’inventer des nouveaux types d’instruments, mais aussi une manière différente de composer. On voulait aussi découvrir si la musique électronique sonnait toujours électronique avec des instruments acoustiques. Je pense que oui.
Combien de temps avez-vous pris pour élaborer la reprise ? En tant que première, ça a dû être difficile.
Oui, c’était compliqué. On a beaucoup expérimenté. Pendant deux jours, on a travaillé sur les arrangements et la réécriture des notes. Après, ça ne nous a pas pris trop de temps, car quand tu reprends une chanson qui existe déjà, tu sais à peu près quoi faire pour la réécrire. Tu ne dois pas penser à une nouvelle composition. Tu dois seulement faire un choix sur qui joue ces notes-là. Est-ce le saxophone ou la trompette ? On a commencé à bien la travailler en studio avant de la jouer notre premier concert, qui a occasionné la fameuse vidéo sur YouTube.
“On aimerait faire nos propres compositions.”
Et vous pensez à composer vos propres morceaux dans le futur ?
Oui, nous sommes actuellement en train de travailler dessus, mais on manque un peu de temps avec les nombreuses dates que nous faisons. Nous allons essayer cette année d’avancer sur nos projets de compositions. On aimerait faire nos propres compositions, mais aussi des collaborations avec d’autres artistes en plus de nouvelles reprises.
Pour tourner, vous devez vous déplacer à douze avec beaucoup d’instruments. Vous avez eu des problèmes sur vos nombreuses dates ?
Il y a toujours des problèmes parce que nous prenons souvent l’avion. Ça nous est arrivé d’avoir des bagages perdus avec nos instruments à l’intérieur. Fort heureusement, c’était toujours en rentrant de concert. Pour d’autres groupes, c’est peut-être plus simple parce qu’ils peuvent demander aux festivals de leur fournir une guitare, une batterie, une basse et un clavier. Mais nous, nos instruments sont tous spéciaux, donc on est obligé de les avoir tout le temps avec nous. Et puis il y a parfois des problèmes avec nos instruments. Une fois, j’ai commencé à souffler dans ma trompette et il n’y avait pas d’air qui sortait. Je l’ai inspectée et j’ai découvert qu’il y avait une pièce d’un centime bloquée à l’intérieur. C’était dix minutes avant de monter sur scène. J’ai finalement réussi à l’enlever, mais ça m’a pris du temps avant de découvrir ce que c’était. D’ailleurs, je me demande toujours ce qu’une pièce est venue faire dans ma trompette.