Dans la démarche même de l’exposition, le fugitif est omniprésent. À chaque lieu, son espace. Le musée, tout de blanc, laisse entrer la lumière diurne. Une lumière fugace, loin des néons habituels. L’artiste contemporain s’adapte au lieu. Par exemple, pour l’oeuvre « Working Forward » en perpétuelle évolution, il se plie chaque jour depuis 2016 à produire un format « US Letter » sur lequel il appose une bride de sa journée, comme un journal de bord. Les papiers sont sélectionnés et exposés selon l’espace utilisable dans le musée. Là encore il interroge le temporaire. Que reste-il de nos journées ? Que reste-il de nos soirées ?
« Last Night » est l’une des pièces majeures de cette composition, réminiscence des soirées « Love Saves The Day », organisées par David Mancuso. Le concept du Loft, situé dans Manhattan, est à l’origine de la culture club telle qu’on la connaît aujourd’hui. Cette soirée devient le rendez-vous annuel d’une communauté pour laquelle seules rencontres et musique comptent. Martin Beck porte sa réflexion autour des dynamiques sociales. Il s’interroge sur les systèmes qui déterminent l’interaction des membres d’un même groupe, ce qui conditionne leur manière d’agir ensemble – ici dans une fête. Pendant 4 ans, l’artiste a matérialisé les premiers éléments, puis récupéré les disques et ainsi construit le film par plans séquence. Un livre est également disponible, support de l’oeuvre dans lequel sont notés tous les morceaux joués.
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Composante essentielle du travail de Martin Beck, la temporalité se métamorphose en voyage acoustique où l’expérience personnelle et la mémoire collective ne font plus qu’un. C’est une véritable réflexion sur l’intime, l’espace privé. L’absence de mise en scène, dans une ambiance domestique, fait perdre tout conscience de soi.
Dans cette oeuvre, film de 13h30, sont regroupés l’intégralité des 118 morceaux qu’avait joué Mancuso lors de sa dernière fête mythique, le 2 juin 1984. Queen, Michael Jackson, Womack and Womack, et bien d’autres sont présents sur cette oeuvre. Celle-ci est retranscrite sur un écran où l’on ne voit que la platine vinyle Thorens tourner. Le point de vue diffère à chaque changement de disque. La qualité de son, et le noir ambiant de la pièce, jouent de l’hypnotisme de l’oeuvre. Le film est une véritable construction poétique, la narration d’une soirée, avec ses moments de danses endiablées, ses discussions, ses moments de douceur. Nos meilleures nuits sont des souvenirs, une musique, des instants de vie, que l’exposition tente de retranscrire au mieux. Au Loft, les photos étaient interdites. Une démarche que l’on retrouve aujourd’hui au Péripate ou au Berghain. Cette oeuvre va au-delà du souvenir. Elle interroge l’essence des expériences vécues. Raconter ne suffit pas. Vient la question fatidique : à quoi pense-t-on, quand on écoute de la musique ? Et sur l’autel des souvenirs de cette platine vinyle, se diffuse l’odeur de soirées libres et endiablées. Tout est une question de temps, d’éphémérité. Dans l’installation vidéo « Antonio Canova, Amor and Psyche, plaster model, late 18th century, Gipsoteca Museo Canova, Possagno, Italy », on assiste à un recadrage sur le papillon centrale de la sculpture. Il s’agit de clous, apposés sur l’oeuvre sculptée qui permet de prendre les mesures et ainsi la reproduire au plus vite. Martin Beck interroge ici l’évolution d’une oeuvre, dans sa temporalité et sa reproduction.
Le samedi 22 septembre était la dernière nocturne, dans laquelle il était possible de revivre dans son intégralité l’expérience de cette soirée, de 11h du matin à 1h30.