Comme le disait Jacques Chirac, « un chef, c’est fait pour cheffer ». De Metronomy, Joseph Mount est le chef. En musique, on parle plutôt de leader, mais appelons un chat un chat. En bon chef qui se respecte, à la manière d’un Napoléon Bonaparte en début de carrière, le chanteur et fondateur du groupe anglais est en première ligne lorsqu’il s’agit de partir à la bataille. En interview, il vient seul, prêt à assumer face à une presse qui ne l’a pas toujours épargné, loin de là. Souriant, avenant, il est surtout sûr de son coup, plein de confiance. Et pour cause : leur nouvel album, Metronomy Forever, est le plus audacieux et le plus fin depuis The English Riviera sorti en 2011. N’ayons pas peur des mots.
Panser les blessures
Quel est le problème avec Metronomy ? Pourquoi tant de haine pour un groupe que certains jugent trop consensuel ? Peut-être parce qu’en musique, on a vite fait de reprocher le manque de prise de risque. C’est l’opinion de quelques-uns en tout cas. Tout de même, ne noircissons pas le tableau : chaque sortie d’album, chaque tournée des festivals rappelle que leur taux de sympathie est élevé en nos contrées. Mais ces petites épines, ces égratignures infligées par une partie des journalistes (américains surtout) ont fini par former une blessure plus grande, qu’il a fallu panser. Pourtant, il faut se rendre à l’évidence : aujourd’hui, Jospeh Mount est guéri. « Il faut du temps et de l’expérience pour pouvoir se détacher de tout ça, explique-t-il. Les critiques pouvaient me rendre furieux il y a quelque temps, mais c’est terminé. J’ai réalisé que l’idée que j’avais de moi ou de ma musique se basait grandement sur l’opinion des autres, de personnes que je ne connais absolument pas. C’est dangereux. Il faudrait uniquement écouter les opinions de tes amis proches, de ta famille, de tes enfants… Si quelqu’un que tu n’as jamais rencontré dit que tu fais de la merde, pourquoi l’écouter tout d’un coup alors que tu ne l’as jamais fait avant et que tu ne le referas pas ? »
Jospeh Mount paraît apaisé. Ça n’est d’ailleurs pas qu’une impression, surtout lorsque l’on sait qu’il est parti vivre avec femme et enfants en pleine cambrousse anglaise, dans le Kent. Le bonhomme a certes vécu à Londres et à Paris durant plusieurs années, mais son ADN n’est pas celle d’un gars de la ville. Né à Totnes dans le Devon au sud de l’Angleterre, son déménagement est une forme de retour aux sources. Il y a fait construire un studio, un salon avec une vue splendide sur le vert des paysages british bien clichés… C’est d’ailleurs là-bas qu’il a terminé l’album Metronomy Forever. Un nom qui sonnerait presque comme de l’autodérision, avec cette pochette représentant un paysage tout droit tiré du jurassique ou du crétacé, volcans et dinosaures de sortie. Cependant, la véritable explication est ailleurs, et forcément bien plus pensée : « Je réalise petit à petit que la musique, les albums, les chansons ne durent pas dans le temps. En tout cas pas autant qu’on le croit. Elles deviennent vieilles très vite, et les gens les oublient. Pourtant, en tant que musicien, tu as envie de laisser un héritage dans la musique. Regarde Buddy Holly : demande à des jeunes ce qu’ils en pensent. Pas grand-chose à mon avis. Le type est mort, et les jeunes s’en foutent. Alors que c’est Buddy Holly ! Je voulais que cette pochette représente un paysage survenu peu après la création de la vie. C’était une façon de dire que Metronomy est là depuis toujours, et qu’il y a 3 millions d’années, on a sorti un grand album, mais qu’il n’en reste aucune trace. C’est à la fois une blague, mais aussi assez profond. »
L’homogénéité, ça va deux secondes
Loin d’être une blague, Metronomy Forever est parsemé de plages instrumentales qui sonnent comme des petites explorations analogiques. Un sujet que Joseph Mount avait délaissé sur les deux derniers albums de Metronomy. En fait, celui qui a longtemps été perçu comme un control freak a décidé de lâcher du leste. « Je suis sûrement moins control freak qu’avant (rires). Ça ne vaut pas le coup, tu ne contrôleras jamais la façon dont ton groupe est perçu, dont ta musique est écoutée. Tu es à la merci du quotidien des gens. Désormais, je pense que ce qui fait que tu dures dans la musique, ou que tu plais, c’est que tu sais capter et retranscrire un instant, comme un photographe. Les accidents, les imperfections servent à cela, et pour qu’elles aient lieu, il faut les accepter, lâcher prise et arrêter de tout réfléchir constamment. » Ces morceaux, c’est la preuve sonore que le chanteur et claviériste du groupe n’a pas peur du qu’en-dira-t-on. Il y a quelque chose de très instinctif, de presque amusant à l’écouter, et d’extrêmement plaisant finalement.
Autre reproche régulièrement fait à Metronomy, celui de passer du coq à l’âne, de vouloir toucher à tout au risque de manquer de personnalité. Mais qui a décrété qu’un album se devait d’être homogène ? La cohérence musicale, les inspirations et les aspirations récurrentes, ça va deux secondes. On peut jouer avec l’auditeur, lui servir le dessert avant le plat, car il n’y a pas de règle. Alors, parfois, Jospeh Mount claque un morceau entièrement électronique, sans paroles, à savoir “Miracle Rooftop”, pour ensuite démarrer “Upset My Girlfriend” avec une guitare très brute, on ne peut plus organique. On entend le son de la cabine studio, les cordes qui frisent… Sus à la cohérence, place à la surprise. Les transitions entre deux titres sont une source intarissable de contrastes, autant les explorer comme il se doit.
Revenir à l’essentiel
On connaît donc l’avis de Jacques Chirac sur le rôle de chef. Mais celui de Paul Valéry tient aussi la route : « Un chef est un homme qui a besoin des autres. » Joseph Mount a besoin des autres musiciens de Metronomy. Pas pour les interviews, mais plutôt pour faire sonner la basse du superbe “The Light”, pour maintenir la base rythmique de “Whitsand Bay”, pour apporter le volume de “Lately”… En fait, il s’entoure pour constituer un socle composé des autres instruments que les siens pour ensuite expérimenter. Le groupe a toujours fonctionné de la sorte, c’est comme cela que sa patte sonore s’est développée. Pas en cherchant à rentrer dans le moule. « Une des premières chansons que j’ai écrites, c’était “You Could Easily Have Me” en 2006, sur l’album Pip Paine. Je me rappelle être allé dans un club de Londres, le Trash, et entendre le DJ la passer. J’étais surpris par la manière dont elle sonnait, c’était très différent des autres titres diffusés ce soir-là. Je ne comprenais pas pourquoi, ça me contrariait. Je crois que je voulais avoir une chanson qui sonnait club, savoir comment on parvenait à ce résultat… Mais j’ai réalisé que c’est exactement ce qui fait que Metronomy sonne comme du Metronomy. Ce son, cette couleur, cette démarche en studio… Et les gens qui vont en club s’en foutent complètement, ils ne veulent pas que ça sonne différemment. » Savoir être à sa place, c’est aussi prendre des claques qui vous disent d’y rester.
De l’aveu de son principal créateur, Metronomy Forever est une étape, un album qui se doit d’être important dans la discographie du groupe. Quitte, parfois, à reléguer le travail des autres au second plan, à le sacrifier sur l’autel des envies artistiques. Comme un ouvrier à la chaîne, la batterie d’Anna Prior, par exemple, est souvent remplacée par une machine, en l’occurrence la Linn Drum. « J’ai commencé à l’utiliser quand je vivais à Paris et que je travaillais en studio avec Acid Arab », explique le boss. Joseph enregistre d’abord une batterie en studio, puis la rejoue sur la boîte à rythmes, tel que le faisait Prince en son temps. C’est souvent le chemin inverse qui est effectué par bien des musiciens, mais ne pas suivre cette habitude permet en fait de se libérer des contraintes de la machine, de lui a attribuer un rôle différent, et de la faire sonner à sa manière. Rien d’autre que la musique ne semble avoir encore de l’importance. Jospeh Mount a réussi à remettre ce qui l’anime depuis bientôt quinze ans au centre de sa carrière. La critique, le besoin de carcans, les questionnements à rallonge pour savoir à quoi ressemblent ses propres envies ou celles du public… Dehors ! Le statut un peu bâtard du groupe, idem. « Metronomy est devenu un élément à part entière de l’histoire de la pop anglaise. Pas forcément un élément important d’ailleurs, mais ça n’est pas grave, ça ne compte pas. On sera là pour toujours, peu importe si les gens s’en rappellent ou non. » Possible que les gens s’en souviennent