Chaque printemps, le même rituel recommence. Un œil sur le compte en banque, l’autre sur la liste interminable de festivals estivaux et on organise, avec quelques amis de confiance, des vacances de musique et de fête. Lorsque les finances et l’emploi du temps le permettent, on en profite pour allier musique et dépaysement, puis on se tourne vers des destinations (un peu) plus éloignées. Depuis quelques années, la Tunisie et le Maroc multiplient les initiatives électroniques. L’occasion rêvée pour profiter de l’enthousiasme qui règne sur ces scènes naissantes.
On a donc jeté notre dévolu sur Jeff Mills, Dixon, David August et Motor City Drum Ensemble pour ne citer qu’eux, un cadre idyllique et un hôtel de standing au sud de Marrakech. On nous promet aussi une piscine, un temps encore quasi caniculaire à la fin du mois de septembre et enfin un plateau de DJ’s de renom. Il n’en fallait pas plus pour gagner nos cœurs.
Et la promesse est tenue ! Sur place, un service de navette nous transporte hors de de la ville pour finir sur des chemins de terre cahoteux, puis finalement au milieu de nulle part. On est alors pris par ce sentiment qui accompagne toutes les arrivées en festival : le « boum-boum » des basses étouffées par la distance qui fait doucement monter l’excitation. Entre deux terrains vagues, encerclée d’une enceinte en béton couleur ocre peinant à passer inaperçue au milieu de la campagne marocaine, « l’oasis » est là.
Une fois les portes dépassées, l’angoisse d’avoir été dupés par les photos disparaît. Face à la scène, une piscine, dont une petite plateforme peu profonde qui restera remplie de danseurs jusqu’au dernier jour, donne l’impression d’avoir été conçue pour l’occasion. La piscine, quant à elle, est entourée d’herbe sur laquelle les festivaliers éparpillés lézardent sous les derniers rayons du soleil. Ce dernier se couche, on découvre alors la seconde scène.
Baptisée « l’Arena » et organisée en amphithéâtre, c’est là que le sol tremblera le plus au cours des trois prochains jours. Mais pour le moment, quelques heureux festivaliers ont la chance d’assister à un set de Jennifer Cardini en comité réduit. La DJ donne le ton et place d’ores et déjà la barre haute. Sur une ligne directrice deep house plutôt tranquille, la Française se permet des échappées acid et disco tant ravissantes qu’étonnantes.
Jennifer Cardini finit par laisser la place à Amine K. Le DJ marocain joue à domicile et ce n’est pas anodin. Plus qu’un simple acteur de la scène, Amine K est, depuis quelques années, un des moteurs de la culture électronique locale, organisant et participant à de nombreuses initiatives comme l’Oasis festival ou les incontournables Moroko Loko. Il invite constamment des artistes étrangers mais surtout, il exhorte les musiciens du cru à se développer et leur offre des plateformes pour le faire. Amine K a joué devant un public conquis d’avance et qui l’est resté, démarrant sur un contre-pied de la tonique Jennifer Cardini, avec une deep house flottante, avant de laisser place à des sonorités plus discos dans un set qui atteindra son apogée avec l’éternel I Feel Love de Donna Summer.
Toujours sur la même scène, David August lui succède. Certains aficionados de ses live ont pu être sceptiques en voyant que l’Allemand proposerait un DJ set. Les inquiétudes se sont vite envolées. La performance est aussi surprenante qu’agréable. Grâce à sa maîtrise parfaite des transitions, David August parvient à jongler d’un univers à l’autre sans aucun à-coup. Mention particulière à la touche drum’n’bass qui clôt le bouquet musical. Après 6 h, dans l’arène, les danseurs se redirigent vers la piscine pour profiter de Bicep, suivi par un Dixon en confiance qui commence son set par un morceau de reggae. Rideau, fin du premier acte.
Le deuxième jour commence plus calmement, du moins, jusqu’à ce que Red Rack’Em ne prenne le contrôle des platines. Pourtant pas très attendu, le set musclé du Britannique a arraché quelques mouvements de bassin même aux plus stoïques. Sans compter la foule, qui, vu du dessus, semblait juste rebondir aux rythmes d’une techno énergisante. Cependant, la vedette lui sera volée par Black Madonna. Sans doute le seul moment du festival où l’on a pu se sentir à l’étroit tant les festivaliers se sont massés devant la scène, pour deux heures intenses pendant lesquelles l’artiste a su montrer sa générosité. Ce soir, les plus courageux auront l’heureuse surprise de voir Derrick May repousser l’horaire de fin d’une heure, par une performance de la qualité et la précision qu’on lui connaît.
Le troisième jour, nombreux sont ceux qui n’ont pas trouvé la force de revenir. Grand mal leur en a pris, car la soirée annonçait un sans-faute. Et ce dès l’ouverture par le cadet de la sélection marocaine : Fassi. Le jeune prodige émigré à Montréal a offert aux quelques privilégiés présents une mise en bouche deep house lancinante et mélodique. Belle mise en jambes pour se préparer à l’apothéose du festival. Si quelqu’un prétend qu’il peut y avoir de meilleures conditions pour écouter Motor City Drum Ensemble que juché sur sur un canard gonflable géant au milieu d’une piscine récoltant les derniers rayons du soleil, il vous ment. Un morceau en particulier restera dans les mémoires, Africa Mawa de Bibi Den’s Tshibayi. C’est quand on voit Omar Souleyman succéder à MCDE que l’on prend la pleine mesure de la finesse de la programmation concoctée par les organisateurs. Tant que l’humeur est aux louanges de la programmation, il faut noter combien les performances chantées simultanées d’Omar Souleyman et de Virginia (accompagnée par Steffi et Dexter) ont pu être une parenthèse bienvenue dans un univers au sein duquel les micros se font de plus en plus rares.
C’est d’ailleurs encore Steffi, qui, plus tard, transforme le temps d’un set lunaire et transporte la foule dans une autre dimension. L’arène est devenue un véritable cratère dans lequel le temps s’arrête et les yeux se ferment. Nous ressortons de ce set apaisés et heureux, sans vraiment savoir ce qu’il vient de passer. Le temps de se préparer pour le grand final : pour consoler les festivaliers de l’absence de Blawan, Jeff Mills a promis un set de trois heures. Comme à son habitude, la musique est prenante, presque angoissante et toujours aussi pointue. Les plus braves danseront les pieds dans l’eau jusqu’au premières lueurs du jour. Nous conclurons ce week-end de rêve avec un after qui se fera sur le toit du riad, au son du premier appel à la prière, accompagnée d’une chicha et d’un thé à la menthe.
Pour conclure, s’il ne fallait retenir qu’une chose de ces trois jours, ce serait le public. On voit rarement plus convivial et bienveillant : jamais un mot plus haut que l’autre, pas un seul coup d’épaule qui ne soit pas suivi d’une profusion d’excuses et nombre de cigarettes offertes. Le mélange d’amateurs marocains de musiques électroniques et d’étrangers le temps d’un week-end est une formule gagnante. On pourrait, tout de même, reprocher le prix du ticket (150 €) et le sentiment d’une authenticité un peu sacrifiée, mais ce serait faire preuve d’une rigueur un peu injuste envers le festival. L’événement demeure un des piliers du développement de la culture électronique marocaine.