MCDE : “Les DJ’s ont remplacé les groupes, et c’est quelque chose qu’il faut combattre”

Écrit par Anne-Claire Simon
Photo de couverture : ©Motor City Drum Ensemble et Leroy Burgess Malte Seidel
Le 16.02.2018, à 12h25
06 MIN LI-
RE
©Motor City Drum Ensemble et Leroy Burgess Malte Seidel
Écrit par Anne-Claire Simon
Photo de couverture : ©Motor City Drum Ensemble et Leroy Burgess Malte Seidel
Revenir aux origines de la musique disco qui « doit » être jouée en live, avec un full band, un groupe de musiciens. C’est la volonté de Motor City Drum Ensemble lorsqu’il invite en 2016 Leroy Burgess à monter sur scène à Nuits Sonores, dans le cadre de sa carte blanche A Day With. Depuis, les deux compères sont partis sur la route pour une série de dates. Trax les a rencontrés à Paris, pour discuter de leur projet commun, du star-système des DJ’s et de l’importance du live.

En tant que producteur et DJ house, fan de soul et de disco, Danilo Plessow (plus connu sous son alias Motor City Drum Ensemble) en connait un rayon sur les piliers du genre. Son idole Leroy Burgess est de celles-ci : claviériste, compositeur et chanteur prolifique depuis les 70’s, il collabore avec l’iconique producteur Patrick Adams et passe par les formations Black Ivory, Inner Life, Phreek et Dazzle. Des groupes à tubes, mais qui n’ont jamais eu vocation à se produire en live. À l’invitation de MCDE, c’est seulement pour la troisième fois que Burgess se retrouve, à 60 ans passés, entouré d’un groupe (“le meilleur”, selon lui) pour recréer dans toute sa richesse le son des studios de New York. Et à les entendre fustiger avec verve et de concert tout ce qui profane la sacralité de la musique, on se dit que ces deux-là étaient faits pour se rencontrer.

Propos recueillis par Lucien Rieul.

Retournons en 2016. Danilo, lorsque tu as invité Leroy à se produire en live pour ta “carte blanche”, était-ce la première fois que vous vous rencontriez ?

Danilo : Oui, c’était la première fois que je rencontrais Leroy. Bien sûr, ça n’était pas mon premier contact avec sa musique, car j’ai toujours été un grand fan. Depuis vingt ans !

Quel a été le premier titre que tu as écouté de Leroy ?

Danilo : Probablement le remix de “Ain’t No Mountain High Enough”.

Leroy : J’avais travaillé avec Patrick Adams sur ce remix, la production n’est pas de moi. Patrick est mon réel mentor et m’avait justement invité à travailler là-dessus. C’était en 1968, avant notre premier disque avec les Black Ivory en 1969. Ensuite, j’ai eu besoin de me concentrer sur ma propre identité. Je suis revenu vers Patrick en 1977-1978 et il a commencé à me programmer des concerts et des séances d’enregistrements.

Danilo : Donc voilà, c’est ce titre-là que j’ai entendu de lui pour la première fois, puis j’ai découvert Black Ivory, Logg, Dazzle et plein d’autres projets qu’il a faits. L’idée derrière cette rencontre/réunion, c’était pour moi, en tant que DJ qui joue beaucoup de titres disco et soul qui ont été créés par des artistes des années 70 ou 80, de revenir aux bases, à la musique live en groupe. Et c’était très important pour moi de créer une plateforme pour le live, car j’ai l’impression que l’on s’éloigne de plus en plus de ces formations. Tony Allen avait déjà accepté mon invitation pour Nuits Sonores et j’étais à la recherche d’une autre personne. Je n’étais pas sûr que Leroy accepterait, car je pensais qu’il ne travaillait plus vraiment. Mais il a toujours été mon plus grand “héros”, celui qui m’a fait découvrir la musique soul et le disco, alors j’ai tout de même tenté le coup.

Leroy : Et voilà, il m’a contacté !

“La jeune génération ne semble pas comprendre ce que coute réellement la différence entre un DJ set préenregistré et un groupe complet en live”

Et que faisiez-vous à ce moment-là ?

Leroy : J’étais chez moi à Harlem, dans mon Bronx natal. On s’est donc rencontré et je suis venu au Sucre à Lyon pour la première fois. Ils avaient rassemblé un vrai groupe de musiciens qui venaient tous de Lyon et on a joué ensemble.

Danilo : C’était très important de pouvoir réunir un groupe entier pour interpréter cette musique live, car ça n’a pas la même saveur si on réduit les couts en prenant moins de musiciens. On ne peut pas transmettre le même feeling. Si tu n’as que deux ou trois personnes qui essaient de jouer du disco, ça ne fonctionne pas, car il y a eu beaucoup plus de personnes qui ont travaillé sur ces titres en studio.

Leroy : Ces personnes étaient formidables, on s’est bien marré ensemble.

Danilo : La jeune génération ne semble parfois pas comprendre ce que coute réellement la différence entre un DJ set préenregistré et un live complet d’un groupe. Il y a des DJ’s qui demandent tellement d’argent pour un soir… Et à côté de ça, les gens sont hésitants et frileux à payer pour un bon concert live qui couterait entre 20 et 35 euros. En réalité, ils ne se demandent pas pourquoi ça a couté autant.

Leroy : Il n’y a rien de comparable avec le concert d’un “live band”. Il n’y a rien de semblable, car ce qu’il y a dans un live, et qui est essentiel, c’est la spontanéité et l’interaction entre les musiciens. Lorsqu’il y a des petites erreurs pendant une performance live, on continue quand même à jouer tous ensemble et c’est comme ça que ça marche. Herbie Hancock disait que, lorsqu’il jouait avec Miles Davis et qu’ils étaient engagés dans une phrase qui commençait à être un peu trop longue peut-être, Miles le regardait et tenait encore plus la note, car “Il n’y a rien qui ressemble à une mauvaise note, il n’y a rien qui ressemble à une mauvaise progression.Tout dépend comment tu la fais fonctionner et comment tu la fais évoluer dans un contexte.” Les jeunes générations habituées aux DJ’s, aux chanteurs seuls, à la musique jouée sans groupe n’ont plus l’occasion d’assister cette interaction, de vivre l’énergie qui en résulte. Ici, vous avez huit musiciens, qui font quelque chose ensemble, et il n’existe rien de semblable. C’est peut-être plus cher, mais en fin de compte, ce qu’ils fournissent au public en vaut vraiment la peine.

Et vous trouvez donc que les DJ’s s’éloignent de tout ça ?

Danilo : Je vois parfois la musique électronique comme une sorte d’excuse pour réduire les coûts, pour faire des choses “cheap” et simple, particulièrement aux Etats-Unis avec l’EDM. C’est un mécanisme néolibéraliste, où l’on capitalise sur un DJ qui prend un vol et reste dans un hôtel, tout en recevant les ovations du public. C’est quelque chose que l’on doit combattre, car ça s’est fait au détriment des groupes.

Leroy : Oui, “cheap” est le mot adéquat. Beaucoup de producteurs qui veulent se faire de l’argent avec un show préfèrent engager un artiste seul plutôt que de prendre tout un groupe. Et je comprends ça, vraiment je comprends, car c’est plus couteux. Seulement, ça nuit à l’expérience musicale, alors qu’écouter un joueur de clavier, un joueur de basse et un chanteur, ça vaut largement plus. C’est lors de ces performances et ces expériences-là que vous pouvez comprendre quels éléments composent la musique. Tout ça vient de l’expérience éducative et musicale que l’on se construit.

Avez-vous souvent vécu cette expérience complète du live ? Car on sait qu’une grande partie du travail pour lequel vous êtes célèbre a été enregistré avec des ” studio bands ” qui n’avaient pas vocation à partir en tournée.

Leroy : Oui, ce fut assez rare c’est vrai. C’est pour cela que j’étais assez surpris lorsqu’ils m’ont proposé de jouer à nouveau avec autant de personnes en live. C’est le meilleur band avec lequel j’ai travaillé !

Danilo : Le disco a été le premier genre musical produit entièrement en studio, censé n’être pressé que sur des disques, et pas nécessairement interprété en live. Aujourd’hui il y a un tel renouveau du disco, et il faut rendre justice à une “vraie expérience musicale”. C’est quelque chose de trop rare. Si vous n’êtes pas allé au Paradise Garage dans les années 80, il y a des chances que vous n’y ayez jamais été confronté.

Leroy : Et même là-bas ! J’ai joué dans la plupart de ces clubs new-yorkais, et ils nous demandaient généralement de venir jouer seulement avec le “noyau” du groupe, sans le reste des musiciens.

Danilo : Les gens disent parfois que je suis trop pessimiste, mais je sens que le néolibéralisme s’insère dans tous les aspects de notre société aujourd’hui. La musique a été une chose sacrée et exclue de ces logiques pendant des années, mais aujourd’hui, même les cercles dit “underground” sont envahis par les grosses marques, tout est racheté ! C’est pour que cela qu’il est important de faire quelque chose qui s’oppose à ces logiques sans valeur, pour apporter une expérience qui a de la valeur au public.

Pour un DJ comme toi qui bénéficie, peut-être malgré lui, de ce star-système et de la visibilité qu’il apporte, est-ce que la prochaine étape, après la sélection de disques, devient la sélection d’artistes ?

Danilo : C’est vrai que j’ai cette opportunité, d’avoir une certaine base de fans, un public intéressé. Mais j’ai été DJ pendant 15 ans sans voir un sou, alors je ne peux pas concevoir cette passion sans donner en retour. Après, je ne me considère pas comme un “curator”, c’est juste le dernier terme à la mode, mais en réalité cela relève d’une logique de “branding”, de vente d’un produit. Nous devons aider à financer des artistes, mais cela doit surtout venir du cœur.

Leroy : Un type normal et une fille normale, qui font juste leur truc et jouent en live : c’est ça la vérité de la musique, et ça a de la valeur. ça mérite d’être vu et apprécié en concert. Je pense qu’il y a vraiment de la place pour tout le monde : DJ’s et formations live… À condition qu’aucun des deux ne devienne trop gourmand, car sinon l’un prend le dessus et essaie de dévaloriser l’autre. La musique est meilleure quand elle est inclusive !

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant