Trax Magazine s’intéresse à la cité phocéenne à l’occasion de la sortie de son numéro 228 consacré au rappeur JuL. En 2018, Trax rencontrait Julie Raineri, membre du Metaphore Collectif.
Ils naissent dans toute la France, comme une réponse à l’aseptisation des programmations et du public des clubs. Les collectifs émergeants proposant des expériences nocturnes alternatives au clubbing, dans sa dimension la plus populaire, se font de plus en plus nombreux. En contrant des logiques commerciales étouffantes, pour proposer des soirées aux line-up surprenants et au public plus restreint, des associations française se font un nom. Parmi elles, l’immanquable Metaphore Collectif, dont l’une des dirigeantes, Julie Raineri, revient sur le fier parcours.
Propos recueillis par Jean-Paul Deniaud
Qui êtes-vous Metaphore Collectif ?
Metaphore Collectif, c’est Rafael, Simon, Ugo, Nicolas, Emilie, Chloé, Pauline, Seraphine, Sacha et moi. Nous sommes une famille avant tout, on représente un état d’esprit. Des amis regroupés autour du désir de dépoussiérer la scène alternative marseillaise. Ça fait huit ans (en 2018, ndlr) qu’on organise des évènements, que ce soit en club ou dans des lieux plus informels. Avant 2016, notre activité principale se résumait à être une plateforme de diffusion d’artistes locaux et un promoteur évènementiel. Il y a deux ans, nous avons investi notre local associatif, le Meta. Nous venons aussi de lancer un label, Metaphore Industrie, sur lequel sortira le premier EP d’Empire State, un groupe d’indus marseillais membre du collectif.
Pourquoi avoir investi ce bâtiment ?
D’abord dans une volonté de se libérer de la tutelle écrasante des clubs. On a toujours prôné la musique avant la fête, alors parfois ça provoquait des incohérences quand on organisait des soirées en club… À Marseille, on a toujours eu cette image de mouton noir de la musique, on ne voulait pas rentrer dans les cases imposées, ça nous étouffait. La plupart des clubs s’attendaient à être remplis, à ce que les gens consomment, et c’est une réalité économique dont on ne peut pas les blâmer, mais on a pas les mêmes attentes. On a voulu s’émanciper, en donnant plus de liberté à notre public et prendre davantage de risques dans nos programmations. Aujourd’hui avec le Meta, on a de compte à rendre à personne.
Et ça marche ?
Oui, mieux qu’on ne l’espérait ! Ça fait un an et demi qu’on y est, et on y organise régulièrement des évènements réservés aux membres de l’association, qui sont tout le temps complets. Dans le public, on retrouve beaucoup d’habitués de nos soirées, mais aussi de nouvelles têtes. Il s’est créé une communauté super fidèle et engagée autour du projet. Au fil des évènements, on voit défiler des personnes de tous horizons, aux profils super variés, la plupart du temps vraiment en accord avec l’esprit de Metaphore. Ça me fait chaud au cœur de voir qu’on est pas les seuls à militer en faveur de la valorisation artistique du territoire, pour la liberté de consommation artistique, la mixité sur tous les plans et la revalorisation de l’humain dans le monde de la nuit…
Vous êtes donc plus libres d’organiser ce que vous voulez. Mais avec un public fidélisé et votre notoriété grimpante, vous arrivez toujours à garder votre esprit ?
On y travaille activement, mais honnêtement, c’est pas toujours facile de jongler entre notre activité et ce qui se dit de notre activité. Vous voyez la nuance ? On porte un message, des valeurs, on veut vraiment être accessible à tous, démocratique et populaire… Mais en même temps, on ne veut pas trop bénéficier d’exposition médiatique, pour ne pas trahir le propos de base, de faire les choses simplement tout en laissant la musique garder un aval sur tout le reste. Pourtant, diffuser ce propos dans les médias est devenu nécessaire, pour qu’il ait un poids en dehors de Marseille. Avec le succès de nos soirées, et le fait que quelques beaux noms soient passés chez nous, le bouche-à-oreille a fait son effet. Du coup, beaucoup de gens se jettent sur nos propositions, sans forcément savoir où ils mettent les pieds, et on retourne un peu à notre problème de départ.
Mais la majorité des gens savent où ils sont… Leur présence a quand même un impact sur l’ambiance ?
De manière générale, les gens sont hyper responsables et très respectueux, on n’a jamais eu de problème. Ils ont conscience de ce à quoi ils participent, ça crée une forme de bienveillance générale : je leur répète toujours qu’ils ne sont pas clients, mais membres de l’association, et pour la plupart, ils se comportent en tant que tels. Mais justement, ça nous demande beaucoup de pédagogie et de transparence. Rafael, Simon et moi, on doit être un miroir pour notre public : notre comportement en soirée, la façon dont on appréhende ce lieu – avec beaucoup de légèreté mais aussi une grande rigueur, c’est ce qui va induire le comportement des gens quand ils mettent les pieds chez nous. C’est pour ça que quand certains arrivent sans connaître les codes, ça devient vite compliqué, même si on a pris la décision de placer la confiance au centre de notre engagement… C’est une problématique qui nous fait pas mal réfléchir.
Ça se sent, vos prix sont volontairement bas et vos soirées se veulent accessibles.
Il faut rappeler qu’on n’est pas un club. C’est tout le contraire, même. Le Meta, c’est un local associatif qui fonctionne sur un système d’adhésion et de buvette, où rien ne dépasse les 3€. De toute façon, Metaphore Collectif n’a pas vocation à être lucratif : l’argent récolté à chaque soirée sert à organiser la prochaine, et notre travail est bénévole. Par contre, malgré nos petits moyens, on met un point d’honneur à accueillir chaleureusement nos artistes, comme le public et les bénévoles !
Et historiquement, elles ont beaucoup évolué vos soirées ?
Depuis 2010, oui ! Il y a eu plusieurs étapes : d’abord, on a tâté le terrain en club, ça a été chouette pendant longtemps. On continue d’ailleurs de s’exporter au Cabaret Aléatoire et dans d’autres lieux marseillais qui nous font confiance.
Ensuite, on a organisé des évènements dans des lieux plus informels, comme la soirée Amour au Cargo, dans un sauna gay à Noailles, un quartier populaire du centre-ville. Puis il y a eu le Meta, et là, on a vraiment pris conscience de ce qui nous excitait dans l’organisation évènementielle : la liberté. Quand on a investi le local, on voulait en faire un espace culturel pluridisciplinaire. Mais naturellement, on a commencé par ce qu’on savait faire de mieux : des soirées. Par manque de temps et de moyens, on a du se résoudre à l’idée qu’on ne pourrait pas tout faire. On aimerait beaucoup travailler avec des spécialistes d’autres disciplines, en dehors du domaine musical, pour organiser des expositions, des performances, ou des conférences, mais c’est compliqué. Mettre en place quelque chose de qualitatif, ça demande énormément d’énergie. Depuis septembre, on travaille avec un super collectif marseillais, Champs Döner, qui s’occupe de la programmation pour des résidences live et concerts le dimanche en journée, et on est très heureux du résultat. À terme, on aimerait poursuivre dans cette voie et s’associer avec d’autres collectifs de confiance pour développer d’autres branches d’activité, et proposer à notre public une expérience culturelle plus étoffée.
Justement, vous privilégiez le live pour vos soirées. C’est un critère de sélection de vos artistes ?
Deux des piliers de Métaphore, les programmateurs, sont aussi artistes : Shlagga et Israfil. Au départ, l’idée était de ne programmer que des artistes locaux, en DJ set. On n’avait pas les moyens de penser à autre chose. Au final, pas mal d’artistes intéressés par notre initiative nous ont démarché, et ça l’a fait. Donc on fonctionne beaucoup par rencontres, et au feeling. Ça nous a permis d’avoir Coni, qui a été le premier à venir, puis December, avec qui on s’est vraiment lié d’amitié, AZF, Ron Morelli, fondateur du label L.I.E.S, ou encore Entro Senestre, de Bank Records, Low Jack, Volition Immanent, Crave, et beaucoup d’autres.
Le samedi, on est principalement sur du DJ set, et le dimanche, sur du live. On reste dans des teintes très indus’. On fait attention avec le terme techno, parce qu’on propose une véritable transversalité dans les genres, on veut sortir la musique des cases qui l’enferment.
Vous cherchez à vous en démarquer ?
On n’est pas fermés, on a commencé par la techno, mais aujourd’hui, on n’a pas envie d’avoir cette étiquette. Dans leur musique, Israfil et Shlagga sont très influencés par toute la vague post-punk, EBM, krautrock… Et Shlagga est aussi un grand fan de metal et de dub, alors je te laisse imaginer ce que ça peut donner en terme de programmation… Si demain, ils découvrent un artiste au style indéfini mais qui leur parle, ils ne se demanderont pas dans quelle case placer cette musique. Le collectif s’est justement donné pour mission d’élargir les champs de la musique électronique en France, tout en s’affranchissant des frontières entre musiques « extrêmes » et musiques de club. On est vraiment dans la démarche de proposer à notre public toute une palette de musiques qualitatives et cathartiques.
D’autant plus qu’à Marseille, on ne trouve pas beaucoup de line-up électroniques aussi pointus…
Ça dépend, d’un côté certains collectifs se décarcassent vraiment, mais de l’autre, la majorité des clubs programment les mêmes artistes depuis cinq ans, c’est super frustrant ! Nous, on s’est réunis il y a huit ans pour faire tourner des artistes qu’on ne voyait jamais passer. Ça a pris du temps, mais ça a fini par fonctionner.
Et en terme de scénographie, vous vous organisez comment ?
Toute la scéno a été travaillée par Chloé, qui est au ciel depuis un an tout pile. C’était une vraie petite fée, elle était très douée pour faire d’un simple bloc de béton un espace chaleureux et familial. On a fait le choix de rester très brut, pour privilégier le son sans que rien ne le parasite. Donc il y a simplement un cube en parpaings, avec un DJ booth dessus. À l’étage, des canapés pour chiller, et tous les meubles ont été construits par nous. Il y a aussi des éléments industriels récupérés à droite à gauche, et un petit drapeau de l’OM qui surplombe l’escalier. Le dimanche par contre, on essaie de briser la barrière artiste/public en déplaçant le booth au centre, pour laisser les gens prendre l’espace autour. Sinon, on bricole l’espace en fonction du besoin des artistes, ou selon nos humeurs.
Le collectif Mataphore sera à Petit Bain le 6 mars prochain, étape de leur grande tournée d’anniversaire fêtant leurs dix ans. Toutes les informations sont à retrouver sur la page Facebook de l’événement.
Pour en savoir plus sur les nouvelles scènes marseillaises et la façon dont elles s’emparent des icônes rap, rendez-vous dans les pages du numéro 228 de Trax Magazine, disponible en kiosques et sur le store en ligne.
