Les jambes sont lourdes, les oreilles bourdonnent et on a encore la banane : on revient de la quatrième édition du Bon Air, le festival électronique à présent incontournable dans la cité phocéenne. Incontournable d’abord pour les mêmes raisons que les années précédentes : son lieu, la Friche la Belle de Mai, ancienne usine de tabac devenue un phare culturel marseillais de 8 000 m2 avec son toit-terrasse gigantesque qui surplombe la ville (et ce coucher de soleil tarpin beau). Son parfum de liberté typique de ces agglomérations cassées mais dégourdies, désinvoltes, souveraines. Ses prix raisonnables au bar comme à la billetterie (64€ pour la totalité du festival, deux soirs et une après-midi). Le soin apporté aux infrastructures audiovisuelles, sound-system Funktion-One dans toutes les salles et scénographie futuriste. Enfin, sa programmation, plus pointue que jamais : « Le public marseillais commence à être de plus en plus curieux, on a donc cette volonté de dénicher les artistes de demain, en laissant une grande place aux femmes », expliquait l’un des programmateurs Olivier Kerdudo à 20 Minutes.
Incontournable aussi parce que cette année, Le Bon Air est passé de quatre à cinq scènes, délaissant le trop petit Cabaret Aléatoire pour une warehouse de 1 250m2, histoire de se mettre au diapason des grands raouts techno mondiaux ; et ouvrant une nouvelle sous le vaisseau spatial du GMEM-CNCM (Centre Nationale de Création Musicale), ornée d’une boule à facette monumentale. Ceux qui y étaient savent que c’est là-dessous que se sont déroulés certains des moments les plus magiques du festival, comme le set bordélique et hardcore du collectif local Paillettes aux messages toujours subtilement politiques (« niquez tous », « rien » pouvait-t-on lire sur leurs pancartes). Ou celui de DJ Marcelle, cette DJ hollandaise sexagénaire dont les disques disco, drum & bass, techno, afrobeat, et funk sont assez barrés pour que des hurlements d’hommes et de femmes sur une rythmique jungle n’étonnent plus personne au bout de quinze minutes de set.
Le dimanche aussi a été riche en démonstrations techniques. Boiler Room oblige, les quatre DJs programmés ont brillé par leur avant-gardisme électronique. Le mot d’ordre général de ces quatre heures ? Le breakbeat. L’amen break à tous les tempos avec des transitions au couteau. Et c’est peut-être ça que l’on va retenir de cette dernière édition: l’exigence dans la diversité, à la fois dans la programmation que dans les sets des artistes émergeants pour certains (Glitter, Miley Serious, DJ Malcolm, Shlagga et Vazy Julie du collectif marseillais Metaphore) confirmés pour d’autres (Djrum, David Vunk, Lena Willikens). On parle là d’un nouveau niveau de la pratique du DJing, avec une sélection très travaillée qui mettait Shazam à la rue, un mélange des genres et des tempos à contre-pied des canons berlinois encore très populaires dans les clubs français, des prises de risques voire carrément des sorties de piste qui donnaient du relief à l’ensemble de la bande sonore du festival ; avec ce sentiment d’avoir entraperçu les futures normes de la club music, celles qui prôneront la pluralité et rassasieront la boulimie musicale toujours plus importante de notre société. Saint-Etienne avec le Positive Education ou Lyon avec les Nuits Sonores avaient déjà franchi la ligne, Marseille avec Le Bon Air Festival à présent les rejoint.