Manu Le Malin : “Si je n’avais rien à dire, je ne le ferais pas”

Écrit par Sylvain Di Cristo
Le 21.05.2015, à 16h12
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Écrit par Sylvain Di Cristo
C’est de sa voix bourrue et d’un ton ferme que le chef de file du hardcore français Manu Le Malin nous annonce “qu’aujourd’hui est peut-être le moment”. Le moment de déballer, d’ouvrir sa gueule et de raconter son histoire à travers le prisme d’Astropolis, son chez lui, le château de Keriolet et sa famille musicale qui a rendu la fête possible de 1997 à 1999.

Cette histoire, c’est en vidéo qu’il aimerait nous la narrer, avec Mario Raulin (Sourdoreille) derrière la caméra. Mais pour ça, ils ont besoin de vous. Un Ulule (crowdfunding) a été mis en ligne afin de récolter la somme nécéssaire à la production de ce beau projet que Trax soutient à 100%. Pour le moment la collecte avance bien : la jauge est à moitié pleine, et il reste exactement 21 jours pour atteindre les 19 000 € nécessaires.

manu Nous, on passe à l’étape supérieure en vous présentant l’interview de Manu Le Malin et de son ami de longue date, Mario Raulin. On ne sait pas pour vous, mais ça donne franchement envie de voir le résultat final.

“Il va falloir que j’aille rechercher dans les moindres recoins de ma mémoire, et forcément, il y a des trucs qui grattent.”

manu (c) David Barthelemy

Entre toi et le château, il y a une véritable histoire d’amour. Comment ça a commencé ?

Le châtelain de Keriolet, sans qui Astro n'aurait pas été Astro.

Le châtelain de Keriolet, sans qui Astro n’aurait pas été Astro. (c) Télégramme

Manu : On est en 97, je fréquente déjà les mecs d’Astro depuis trois ans mais le festival ne se fait pas encore dans le château. Du coup, cette année-là, quand on débarque pour la première fois à Keriolet c’est… Bam, la claque quoi. Le lieu est fabuleux, il a un cachet incroyable. Il faut retenir qu’en France, à ce moment-là, on est plutôt dans des hangars cassés, des parkings, des salles aménagées ou des champs pour les free parties, pas des châteaux ! Mario : C’est l’énorme chance d’Astropolis parce que toutes les free ou raves galèrent pour trouver un lieu, et le châtelain arrive en disant le plus naturellement du monde : « Mais venez chez moi, c’est grand, il y a une cour, des jardins, on peut y mettre 1 000 personnes. » Le château est magnifique, même quand tu passes devant en journée, tu te demandes ce que c’est que ce truc de fou. C’est un bijou d’architecture.

manu Le château de Keriolet, lieu d’Astropolis de 1997 à 2000

Manu : Moi, je commence à prendre humainement ma place au sein de l’équipe et je prends en main la scène hardcore en y jouant et en donnant mes idées sur la programmation – on en discute, on échange. Vingt ans après, ça se passe toujours comme ça.

“Bien souvent pendant le démontage, je remontais des petites enceintes et des platines dans une autre salle.”

Mais à ce moment, j’ai 26 ans, je suis jeune et un peu chien fou. Sur les trois premières éditions, je leur ai foutu un bordel monstre, avant, pendant et après la fête, parce que j’arrivais souvent avec une bande de potes et une fois la fête terminée, je voulais qu’elle continue. Donc bien souvent, pendant le démontage, je remontais des petites enceintes et des platines dans une autre salle… Alors on ne me disait pas vraiment « oui tu peux le faire », mais comme je n’avais pas demandé, on ne me disait pas « non, tu ne peux pas » non plus. Et ça s’est toujours bien passé. Sur ces trois années, quand Astro se déroulait à Keriolet, combien de fois je me suis retrouvé pendant deux jours à faire le montage de la scène avec les mecs qui bossaient aussi dessus, à câbler, décâbler, à dormir dans un sac de couchage avec des potes dans l’une des salles, à aller chercher les artistes à l’aéroport dont j’avais moi-même booké le billet d’avion… Parfois, quand je prenais les platines, j’étais déjà rincé. J’en faisais plus que ce qu’on me demandait mais je voulais que ce soit carré, que tout le monde soit aux petits soins. Les mecs me faisaient confiance, et ça me donnait une sorte de responsabilité (que j’ai plutôt prise tout seul, j’avoue) sur le bon déroulement de ce festival. On fait partie d’une famille et tout le monde apporte sa pierre à un édifice qui tient encore debout.

manu

C’est beau parce que l’amour que tu portes à Astropolis, beaucoup d’autres le partagent aussi. Ce festival est considéré comme le meilleur festival de musique électronique en France et les gens semblent profondément l’aimer, ils s’en sentent proches. Pourquoi un tel engouement ?

Mario : Déjà parce que c’est le plus vieux. Manu : Et c’est 20 ans. 20 ans avec une évolution musicale. Dans la programmation, il y a des découvertes, mais aussi toujours des pierres angulaires de la musique électronique (des Hawtin, Garnier, Mills…), et elle découle de leur propre culture, c’est ce qu’ils aiment !

“On fait partie d’une famille et tout le monde apporte sa pierre à un édifice qui tient encore debout.”

Mario : C’est le premier vrai festival de musiques électroniques françaises. Il y a quelque chose d’intéressant ici, et que Manu symbolise bien, c’est que lorsque tu fais Astro aujourd’hui, il y a des gens de 45-50 ans – voire même plus parfois – mais aussi des kids entre 16 et 22 ans qui ne sont pas seulement là pour s’éclater, mais bien plus pour leur culture. Dans le cas de Manu, son public hardcore est toujours présent, mais il arrive à le lier à cette nouvelle base de jeunes fans qui découvrent The Driver, son alias techno. Astropolis fait ce trait d’union entre tous ces publics et c’est une des particularités de ce festival. Manu : Il y a toujours cette même sincérité qu’il y avait dès le début en 94. Et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’y suis toujours.

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Nous l’avions dit dans notre numéro spécial hardcore, en novembre, au sein duquel tu tenais une tribune : tu as un parcours musical atypique, unique. Ce long-format a, pour la première fois, l’ambition de le raconter dans sa totalité, de tes origines hardcore à la techno de The Driver d’aujourd’hui. C’est une mise à nu pour toi (littéralement, on va te voir torse nu) ? Aura-t-on l’occasion de voir le « core » de Manu Le Malin ? Tu vas te livrer à 100% ?

Manu : Je suis comme ça dans la vie de tous les jours : soit tu le fais à fond, soit tu ne le fais pas. Ça ne me gêne pas d’aller au-delà du politiquement correct. C’est une mise à nu oui, comme tous mes projets. Quand j’ai pris le micro sur le projet Palindrome, c’était une mise à nu. À chaque fois que je monte sur scène, que parfois je pète un cable derrière mes platines, c’est une mise à nu. C’est rock’n’roll tout ça. Pour moi, c’est la même approche, sauf que là, il va falloir que j’aille rechercher dans les moindres recoins de ma mémoire, et forcément, il y a des trucs qui grattent.

“Ça ne me gêne pas d’aller au-delà du politiquement correct.”

Mario : Manu a une image, certaines personnes le voient comme ci ou comme ça, et nous, on va essayer de tout découper, d’y foutre le bordel et de rendre ensuite un portrait qui soit le plus fidèle possible, portrait qui en montrera toutes ses facettes.

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Est-ce qu’avant que Mario ne vienne te parler du projet, tu avais envie de raconter ton histoire ?

Manu : Non. Comme je l’ai déjà dit, c’est la musique qui m’a rendu sociable ; j’entends par là que ce que j’ai à dire, je le dis au travers de la musique. Tous les week-ends, je me mets déjà en scène derrière les platines. Certaines personnes m’avaient déjà demandé de faire un portrait de moi, je leur ai répondu : « Mais pourquoi faire ? » Je ne suis personne. Si un jour, on peut interviewer la Culture elle-même, ou même la culture du hardcore, c’est fort, mais je pense qu’elle ne se personnifie pas. Or là, avec Mario, c’est différent, je lui fais confiance et son approche est surtout humaine. Il m’a fait reconsidérer mon jugement, et je me dis que, peut-être, aujourd’hui, c’est le moment. Et si je considérais que je n’avais vraiment rien à dire, eh bien je ne le ferai pas. Ce sera à lui de me poser les bonnes questions.

Mario : Dans ce film, je veux lui laisser une place importante, celle de raconter sa vie comme il l’entend. On peut dire que ce film sera comme une photo de Manu à un instant T dans le château de Keriolet, avec des zones nettes et des zones floues.

“Ce qui intéresse Mario, ce n’est pas tant mon implication dans un courant musical que ce que je suis vraiment.”

Manu : Ce qui intéresse Mario, ce n’est pas tant mon implication dans un courant musical que ce que je suis vraiment, parce que c’est ça qui constitue ma musique, qui a ensuite pu avoir une influence sur un courant musical. Et c’est parce qu’il vient avec cet angle-là que je me laisse faire.

Des anecdotes sur ce qu’il s’est passé à Astro ?

Manu : Je peux t’en dire une mais il y en a plein d’autres que l’on compte bien dévoiler dans le film. Ils avaient organisé un after près de l’Odet, la petite rivière pas loin du château. Je descends pour aller y jouer avec Jack de Marseille et je vois une file d’attente pas possible avec, au bout, une fouille des sacs et un PAF de 5 francs. Il faisait beau, le soleil tapait déjà et la musique aussi, j’ai dit : « Non mais ça suffit là, y’a pas de fouille des sacs, pas de 5 frs qui tiennent, on y va ! » J’ai ouvert les barrières. Il n’y a eu aucun souci évidemment et les mecs de la sécurité m’ont regardé style « Mais Manu… », j’ai répondu : « Quoi ? Tu préfères que les gens restent là pendant deux heures ? Là, il va y avoir un problème ! »

KERIOLET

L’esprit d’Astro est tellement beau qu’il ne peut pas y avoir de problème. C’était peut-être naïf de ma part, mais passé une certaine heure, ouais, je suis naïf. Et j’ouvre les barrières.

“Passé une certaine heure, ouais, je suis naïf. Et j’ouvre les barrières.”

Je vois également que tu vas faire le sound design et la bande-son du film avec Torgull…

Manu : Torgull n’était même pas encore au courant. Il m’a demandé : « Tu le fais ? » J’ai répondu : « Carrément ! » Du coup, on va se retrouver à faire des morceaux inédits et du sound design. Et d’ici mai 2016, mon studio sera en branle et je compte bien avoir refait de la musique tout seul et avec lui. Mario : Au niveau du son, on a prévu quatre choses : la partie live enregistrée, c’est-à-dire le set spécial de Manu dans la cour du château, qui balaiera toute sa carrière ; les morceaux inédits qu’il va produire avec Torgull ; une sélection de morceaux studio d’artistes qui ont marqué l’histoire de Keriolet ; et le sound design, soit une banque de sons inexpliqués que Manu va créer, comme des virgules sonores qui se raccorderont avec les images.

[TEASER 2/4] SOUS LE DONJON DE MANU LE MALIN : TORGULL from Sous le donjon de Manu Le Malin on Vimeo.

[TEASER 1/4] SOUS LE DONJON DE MANU LE MALIN : LE CHATELAIN from Sous le donjon de Manu Le Malin on Vimeo. [TEASER 3/4] SOUS LE DONJON DE MANU LE MALIN : PCP from Sous le donjon de Manu Le Malin on Vimeo. [TEASER 4/4] SOUS LE DONJON DE MANU LE MALIN : L’AFTER from Sous le donjon de Manu Le Malin on Vimeo.

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