Ta discographie est très contrastée et explore un nombre de styles assez hallucinant : tu as composé aussi bien de l’abstract hip-hop que de l’acid techno ou encore de la house très mélodique… D’où viens-tu, musicalement parlant ?
Mes premières productions s’apparentaient à de la jungle, un peu comme sur Levitate. J’adorais ce style puisqu’on pouvait y incorporer de la mélodie et en même temps cette énergie propre aux raves – qu’au passage je n’ai pas connues car trop jeune à l’époque, on m’a juste refilé des cassettes de rave music quand j’étais gamin. C’est pour cette raison que j’ai commencé à copier ce genre de sons, et que j’ai découvert Aphex Twin, c’est de là que je viens. Le hip-hop est venu un peu plus tard, vers l’âge de 18-19 ans.
Après des mois à tourner dans les clubs et jouer de la house et de la techno, n’est-ce pas un peu dur de se remettre à composer du hip-hop ?
Au contraire, c’est presque un besoin de me mettre à composer autre chose. Quand j’ai passé plusieurs années sur un disque plutôt jungle, pour le suivant, j’ai envie de quelque chose de plus reposant. Par exemple, en ce moment j’ai très envie de me remettre à produire de la house dans sa forme la plus simpliste, ce qui n’est absolument pas le cas sur Levitate. C’est une sorte de réaction naturelle.
En interview, tu fais parfois référence au skate, une culture qui est encore considérée par certains comme une activité de gamin. Alors qu’on y retrouve plein de domaines artistiques : la photo, la vidéo, le graphisme, la musique… Qu’est-ce que ça t’a apporté ?
Je suis totalement d’accord, c’est une culture à part entière, n’est-ce pas ? Ça va des fringues que tu portes à la musique que tu écoutes, les endroits où tu traînes, les gens qui t’entourent… Tout ce qui fait une sous-culture, en fait. Ça a déterminé pas mal de choses pour moi, c’est sûr. C’est par le skate que j’ai découvert le hip-hop, beaucoup de choses artistiques que j’aime encore aujourd’hui viennent du skateboard… Regarde, j’ai 31 ans et je m’habille encore comme un skateur ! Mais au-delà de ça, je pense que ça m’a aussi appris ce qu’était une culture alternative, à assumer d’aimer autre chose que tous mes autres camarades à l’école… Bref, à être différent. Mes potes skateurs de l’époque ont tous fini par faire de la photo ou de la musique. D’ailleurs j’adorerais que ma musique soit utilisée pour une vidéo de skate, ce serait un juste retour des choses et ça rendrait le Lone de 15 ans très très heureux.
En promo pour Galaxy Garden (sorti en 2012) tu disais avoir été obsédé par le hardcore old school et les sons de rave, en composant cet album. On retrouve ces influences sur Levitate, tu as ressorti tes vieux disques au moment de le produire ?
Oui, le même genre de sons. Cette musique m’accompagne dans tout ce que je fais, bizarrement. Ce qui m’a vraiment influencé sur cet album, c’est l’aspect chelou de la jungle et du hardcore, des trucs qui sortaient à la fin des années 90, début des années 2000…. Aphex, Mu-ziq, Luke Vibert, Squarepusher, ce genre de musiciens qui reprenaient les codes de ces musiques pour ensuite les retourner complètement, en tiraient quelque chose de touchant et expérimental.
À l’époque où tu composais Lemurian, ton premier album, tu bossais dans un supermarché et vivais toujours chez ta mère. Quand as-tu commencé à vivre réellement de ta musique ?
Jusque très tard, je n’ai pas pu vivre de ma musique, je dirais que ça a commencé quand on a monté Magic Wire avec Sean (West, qui est aussi son manager, ndlr) et que j’ai sorti Pineapple Crush en 2010. À partir de là, on a reçu de plus en plus de demandes pour des live ou des DJ sets, et j’ai enfin pu me consacrer à plein temps à la musique. Cela dit, c’est complètement fou que tout ça me soit arrivé, et qu’encore aujourd’hui, je puisse en vivre !
D’ailleurs, comment “Pineapple Crush” a fini par servir d’instru pour une chanson d’Azealia Banks ?
C’était une fan des premières heures et elle écrivait déjà des lyrics sur mes productions avant même d’être signée. C’était donc très logique que ça se fasse, j’étais complètement d’accord. Entre-temps, elle a commencé à obtenir beaucoup de succès et le morceau est sorti bien après qu’elle m’a contacté, donc j’ai eu de la chance ! Beaucoup de ses fans m’ont ensuite écrit, j’imagine que ça a grandement aidé à exposer ma musique à un public que je n’aurais jamais touché si elle n’avait pas fait ce morceau.
Comment t’es-tu retrouvé sur R&S ? Qu’est-ce qui fait la particularité de ce label, pour toi ?
Quand j’ai commencé à sortir de la musique sur Magic Wire, l’album Emerald Fantasy Tracks, R&S m’a contacté pour me dire qu’ils voulaient sortir certains de mes morceaux sur le label. La proposition m’a tellement excité que j’ai directement sauté sur l’occasion. Le catalogue du label est tellement vaste, il explore tellement d’aspects de la musique électronique qu’il serait difficile pour moi de l’expliquer à quelqu’un qui ne connaît pas R&S. Je recommanderais tout simplement de se plonger dedans. En tout cas, ils m’ont toujours laissé travailler comme je voulais, et n’ont parfois pas hésité à me pousser à faire mon maximum, paradoxalement. Par exemple en 2013, je leur avais envoyé 8 ou 9 morceaux. Je voulais sortir un track qui ferait danser en club, une sorte de challenge que je me suis donné à l’époque. Ils m’ont dit : “C’est bien, mais tu pourrais faire mieux.” Je me suis donc remis au travail, et le résultat a été “Airglow Fires”, qui est de loin mon morceau le plus connu à ce jour. Au contraire, pour Levitate, je n’ai eu aucun contact avec eux, l’album est quasiment sorti tel que la version finale que je leur ai envoyée. Ce qui est assez fou, quand on y pense (rire).
Les sorties sur Magic Wire se suivent mais ne se ressemblent pas : la réédition de ton album Lemurian, la house de Project Pablo ou les EP très techno de Kommune1… Quelle est la suite ?
Bruce Trail, Gnork, Mark Grusane, pas mal de bonnes sorties à l’horizon… On essaye le plus possible de sortir de la musique de club, mais qui possède une chaleur particulière. Et qui ne se prend pas trop au sérieux non plus.