À Berlin, Plus1 (être sur la liste d’un club berlinois, reverser au moins un euro pour les réfugiés) vient par exemple d’annoncer en avril avoir récolté plus de 40 000 euros pour le soutien de différentes associations engagées pour les réfugiés.
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De son côté, le Schwuz (raccourci de Schwulen Zentrum ou centre des homos) organise mi-mai une seconde édition de sa soirée Refugees Welcome. Nous en avons profité pour contacter les instances du premier club alternatif gay de Berlin, fondé en 1977, et qui vient de déménager de ses locaux situés à Mehringdamm pour le quartier de Neukölln. Très politique, le club, après avoir accédé à notre requête pour un entretien, nous a fait parvenir le Welcome to Schwuz!, manifeste dans lequel est décrit comment l’organisation s’évertue depuis trente ans à créer un forum non-discriminatoire, où tout dénigrement est proscrit.
Quelques jours plus tard c’est dans leurs locaux que nous avons une discussion avec Laura, jeune femme en charge des relations presse, et LCavaliero, directeur artistique du club spécialiste des questions queers et artiste engagé, afin de comprendre comment ce symbole de la communauté homosexuelle agit et réagit sur la question des immigrés à Berlin.
Vous avez organisé en 2015 la première Refugees Welcome, avez-vous pu rencontrer de nombreux réfugiés dans le club depuis cette action ?
LCavaliero : À notre connaissance il y a un nombre important de réfugiés syriens et arabes qui visitent le club régulièrement. Bien entendu il y en a probablement qui viennent de Russie ou d’Afrique. Ils viennent au club pour différentes raisons, soit en simples visiteurs, soit en interprètes. Nous avons par exemple tenu un débat sur la question “comment la solidarité peut-être organisée par des non-réfugiés”, et de nombreux réfugiés ont pu intervenir.
Vous organisez des ateliers ?
LCavaliero : C’était une discussion au club, avant une soirée. Tout était encadré par la Diskriminierungsfreien Szene für Alle (scènes sans discrimination pour tous). C’est un réseau qui regroupe différentes organisations, des clubs, et beaucoup d’autres structures. L’approche est de rendre les espaces plus accessibles pour tous. Le Schwuz a organisé une “longue nuit” pour ce projet et a proposé cette discussion aux activistes. Nous avions été contactés il y a deux ans par les activistes du camp situé à la Oranien Platz (camp de réfugiés démantelé depuis, au cœur du quartier de Kreuzberg à Berlin). Ils ont voulu créer du lien avec la scène queer pour trouver du soutien et devenir un mouvement plus fort. Nous leur avons alors offert notre espace.
Laura : C’était ouvrir une porte, un acte de bienvenue dans un sens. Ce n’est pas qu’à destination des réfugiés, nous essayons en permanence de faire en sorte que tout le monde se sente le bienvenu au Schwuz.
“Il y a un nombre important de réfugiés syriens et arabes qui visitent le club régulièrement.”
Vous trouvez qu’il y a une résonance entre les problématiques liées aux réfugiés et celles de la scène queer ?
LCavaliero : Je pense qu’il n’y a pas assez de regroupements entre les communautés opprimées. L’approche du Schwuz depuis que nous sommes arrivés dans le quartier de Neukölln est de montrer que nous sommes ouverts à tous, du moment que les gens ne sont pas des imbéciles. Nous essayons de rendre le club le plus accessible pour tout le monde.
Laura : Nous avons clairement un agenda politique.
LCavaliero : Sinon, pour revenir à la résonance entre nos combats, bien entendu on ne peut pas déconnecter les différents niveaux d’oppression. On ne peut pas s’engager contre le sexisme sans penser au racisme. Nous sommes un club où les gens doivent s’amuser et nous ne pouvons pas différencier les gens.
Comment réagissent ces groupes de réfugiés lorsqu’ils découvrent que Gloria Viagra (célèbre drag-queen berlinoise) est leur plus féroce défenseur ? Il n’y a pas de choc culturel ?
Laura : C’est très dur à dire. Ce n’est pas comme si nous nous tenions dans le club en train de regarder si quelqu’un est un réfugié. Nous ne sommes pas en mission de reconnaissance en train de les repérer. (rires)
LCavaliero : Lors de l’anniversaire de Partysane, la soirée où c’est elle la reine de la nuit, c’était sympa car il y avait un show et il se trouvait qu’un des artistes est un réfugié. Il y a toujours une donation pendant Partysane pour Sea Watch (initiative privée qui organise des missions pour sécuriser le passage de réfugiés en mer). Elle a chauffé la salle et a crié : “Je veux tout particulièrement dire bienvenue à tous les réfugiés”. Une quarantaine de personnes ont commencé alors à crier.
J’ai pu rencontrer un DJ originaire de Syrie qui s’est enfuit à cause de son orientation sexuelle. Ils avaient des soirées là-bas, cela peut surprendre mais je ne crois pas que ce soit un choc.
Nous avons aussi ces évènements artistiques où de nombreux hétérosexuels viennent, nous recevons des réactions très différentes. Une personne est queer, une autre non. Il est important de faire attention avant de grouper les gens et les sensibilités. J’espère qu’ils sentent qu’ils sont les bienvenus. Nous faisons des choses pour tout rendre plus accessible, au niveau du langage notamment. Nous essayons de traduire les textes en arabe et dans d’autres langues.
“Elle a chauffé la salle et a crié : “Je veux tout particulièrement dire bienvenue à tous les réfugiés”. Une quarantaine de personnes ont commencé alors à crier.”
Est-ce qu’on peut voir votre manifeste dans différents endroits du club ?
Laura : Dans les toilettes, ce qui est bien car les gens y ont alors accès pendant un certain temps, et aussi ailleurs. Nous le postons en ligne, je pense que beaucoup de gens sont au courant désormais.
LCavaliero : Chaque artiste invité le reçoit, tous nos partenaires, comme vous. C’est un peu comme dire bonjour, nous voulons vous rencontrer et voici notre texte de bienvenue. Nous avons des soirées différentes, certaines sont plus orientées pour les lesbiennes, d’autres plus politiques, ou d’autres avec des artistes de la scène electro internationale. J’aime l’idée d’offrir un lieu pour des gens différents et, dans le meilleur des cas, ils se mélangent. Lors de la Refugees Welcome, cela a très bien marché et beaucoup de scènes qui ne se côtoient pas d’habitude étaient présentes. L’extrême-gauche, la scène anarchiste, les homosexuels mainstream, les réfugiés syriens, tout le monde dansait avec des drag-queens… C’est cela que nous voulons, c’est notre vision en quelque sorte.
“L’approche du Schwuz depuis que nous sommes arrivés dans le quartier de Neukölln est de montrer que nous sommes ouverts à tous, du moment que les gens ne sont pas des imbéciles.”
C’est intéressant que votre implication avec les réfugiés ait attiré une foule un peu inattendue.
Laura : C’est aussi très lié à l’histoire du Schwuz. Le Schwuz n’a pas commencé en tant que club, mais plus en tant que forum politique. Il y a ces racines politiques qui datent des années 70 et la culture club a été ajoutée. Si je peux l’exprimer ainsi, le Schwuz a toujours été un peu plus loin que simplement faire la fête.
Même un clubber lambda, dans le sens parfaitement apolitique, est au courant que cela fait partie de votre histoire ?
Laura : Nous n’envoyons pas tout cela à la face des gens. Les informations sont là et si cela vous intéresse, nous serons heureux de vous y donner accès. Nous ne nous voyons pas comme des autorités morales qui tentent d’éduquer. Nous avons un point de vue que nous essayons de partager et discuter. C’est beaucoup plus un dialogue qu’une leçon.
LCavaliero : Lorsque nous avons tenu notre première Refugees Welcome, je suis allé sur scène pour dire qu’aucune personne n’est illégale, que nous devons agir. Mais ce n’est pas à chaque soirée comme ça. Je viens d’un mouvement queer féministe indépendant, et j’ai beaucoup appris en arrivant au Schwuz sur le dialogue. Nous avons cette base minimale, ce texte de bienvenue, mais le plus important est que les gens en parlent.
Toujours cette idée de forum.
Laura : Une centaine de personnes travaillent au Schwuz, il n’y a pas qu’une voix. C’est intéressant car il y a en permanence des opinions différentes et le besoin de négocier.
LCavaliero : Nous avons ce meeting chaque mois avec tout le monde. Il y a toujours ces sujets politiques, à propos de la direction du Schwuz. Je pense que la plupart des gens qui travaillent ici sont là car c’est un projet dans lequel on peut faire ça, participer, être entendu.
Lorsque j’ai vu votre requête pour une interview, ça m’a fait penser que le Schwuz appellerait probablement cette soirée “tout le monde est le bienvenu” si la situation politique était moins extrême. Je pense qu’il est important d’être actif et c’est pour cette raison que nous organisons la seconde Refugees Welcome.
Qui sont vos partenaires principaux ?
LCavaliero : Le Schwulenberatung est une autre organisation avec laquelle nous travaillons. Ils ouvrent un foyer pour les réfugiés queers à Treptow et ont reçu une grande partie de la donation de la première soirée. Women in Exile a aussi reçu une partie de l’argent, ils luttent contre le sexisme et la violence contre les femmes.
Un autre exemple est notre travail avec LesMigraS (projet du Centre de conseil pour lesbiennes de Berlin consacré à la lutte contre les discriminations et les violences), une organisation qui nous aide à trouver des solutions pour améliorer notre accessibilité notamment au niveau des barrières de langage. Il y en a beaucoup, et nous donnons aussi beaucoup d’invitations pour venir au club gratuitement à différents organismes qui travaillent avec des réfugiés ou d’autres groupes marginalisés.
“Nous ne nous voyons pas comme des autorités morales qui tentent d’éduquer. Nous avons un point de vue que nous essayons de partager et discuter. C’est beaucoup plus un dialogue qu’une leçon.”
Vous recevez un soutien de la ville ou de l’État ? Êtes-vous encouragés et sont-ils intéressés par votre travail ?
Laura : Un soutien institutionnel, non. Nous ne sommes pas financés par l’État et ne recevons pas d’aide. Nous n’avons jamais reçu d’appréciation directe. Mais peut-être que ça viendra un jour ?
Est-ce que vous rencontrez parfois des problèmes ou des menaces, ou les extrémistes vous laissent-ils en paix ?
LCavaliero : Nous recevons parfois des courriers de fondamentalistes chrétiens : “Vous brûlerez tous dans les flammes de l’enfer” (il mime ensuite une longue liste de péchés avant d’éclater de rire).
La prochaine soirée Refugees Welcome arrive, vous avez d’autres plans ?
LCavaliero : C’est une question complexe, il y a de nombreuses choses qui sont très importantes pour nous. Lorsque nous avons déménagé nous sommes devenus plus gros, notre but principal est de structurer et sauver le club afin de garder la possibilité pour différentes communautés de venir ici et de faire la fête. À partir de cette base, nous restons ouverts aux opportunités que les gens nous apportent.
Laura : Réduire les barrières en tout genre. Un sujet vaste !
LCavaliero : Nous avons aussi l’idée de créer une sorte de coffret de bienvenue.
“Le Schwuz appellerait probablement cette soirée “tout le monde est le bienvenu” si la situation politique était moins extrême.”
Vous prévoyez de mettre quoi dedans ?
LCavaliero : Nous en parlons, mais une chose est certaine, il y aura des invitations pour des clubs ou évènements. C’est bien de collecter et distribuer des vêtements, mais maintenant qu’ils sont ici, ils ont besoin de savoir qu’ils peuvent sortir et vivre l’inclusion.
C’est vraiment une lutte contre la ségrégation, à l’opposé de ce qu’il se passe à Berlin avec la construction de ces camps de réfugiés (à Tempelhof entre autres) par exemple. En tant que club vous pouvez vraiment vous saisir de cette problématique.
LCavaliero : Ce sont aussi les petites choses qui fonctionnent. Nous avons installé un petit stand avec de nombreux flyers de projets politiques et d’organisations qui sont disponibles dans de nombreuses langues. Je souhaite aussi écrire le mot bienvenue dans différentes langues et le rendre visible dans plus plusieurs endroits dans le club.
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“La Culture est un service public qui a une mission aussi importante que l’Éducation nationale. Un besoin humain aussi fondamental que la qualité de l’air, les forêts, etc…” a déclaré le fondateur d’Arte Jérôme Clément. Au Schwuz, elle devient un fabuleux médium d’intégration.