Sans eux, le mouvement techno ne serait pas ce qu’il est en France. Les Spiral Tribe, s’il faut encore les présenter, c’est cette tribu d’anars venue d’outre-Manche qui dans les années 90, fuyant la répression anti-rave lancée par Thatcher, s’est exilée dans le sud de la France avant d’essaimer le concept de teknival partout en Europe. TNT, Heretik, Troubles fêtes, Tomahawk, Infrabass, Nomads, Foxtanz et OQP : tous les rejetons des Spi.
Animés par des valeurs d’entre-aide, d’autogestion, d’indépendance et de respect, quelques ex-membres Spi, désormais affiliés au crew SP23, se lancent dans un projet humanitaire de grande ampleur en faveur des réfugiés. Révulsés par le sort qui leur est réservé (qu’ils soient Syriens, Libyens, Érythréens ou autres), les ex-Spi parcourent l’Europe depuis quelques mois pour leur venir en aide. Ils organisent le 1er novembre prochain un événement caritatif à Marseille, puis un autre à Paris, le 14 novembre, en plus de sortir un album sur Bandcamp.
C’est lors d’un gig, un soir d’août dans le sud de l’Italie, que Jeff23 et Simone Simmer, tous deux membres de SP23, sont confrontés pour la première fois au triste sort des réfugiés : l’organisateur de l’événement où ils se produisent bosse en parallèle pour une organisation de charité venant en aide aux réfugiés. Il leur raconte comment les réfugiés sont traités, (mal)menés d’un endroit à l’autre, comment ils transitent par des camps de détention, et finissent, dans le pire des cas, par se suicider.
“Quand on est rentrés de ce voyage en Italie, le sort des réfugiés hantait nos esprits, se souvient Simone. Il nous fallait aider ces gens. Au même moment, le monde était saturé d’images horribles, comme celle photo du petit garçon retrouvé mort sur une plage. Donc on a décidé de créer le groupe Facebook “Artists In Action” et Jeff a eu l’idée de sortir un album compilation avec nos amis artistes. À partir de ce groupe, on a reçu beaucoup de demandes de personnes qui voulaient s’investir.”

Depuis deux mois, ils ont déjà sillonné l’Italie, faisant par exemple halte à Vintimille : “Il y a beaucoup de réfugiés à la frontière franco-italienne, expliquent Simone et Jeff. Durant notre passage à Vintimille, toutes les personnes du convoi sont allées dans le centre où se rassemblent les réfugiés pour leur offrir de quoi manger et dormir chaque jour.” Tout ça, le plus naturellement du monde.
Pourtant, toutes ces aides s’effectuent alors toujours dans la précipitation. Les deux comprennent très vite qu’il faudra structurer cette aide, afin de gagner en efficacité : “On s’est mis à récolter autour de nous des denrées alimentaires, des vêtements, des tentes, des sacs de couchage. On a fait un voyage avec notre van rempli vers Vintimille, et on va certainement réitérer la semaine prochaine. La prochaine étape sera peut être la Grèce, on hésite encore…”
Deux concerts et un album
Et qui mieux que des ex-Spi pour rameuter le réseau de la teuf ? Besoin d’un lieu pour le concert caritatif du 14 novembre ? Jeff passe quelques coups de fil, et trouve le spot idéal. “Pour être depuis longtemps dans l’univers des free parties, on a pu développer un réseau de connaissances. Donc lorsqu’on a eu l’idée d’organiser des events, je me suis mis à contacter des orgas, qui ont tout de suite été séduits par l’idée. Ils ont trouvé ce lieu à deux pas de Paris, où d’ailleurs vivent beaucoup de réfugiés. Pouvoir réaliser une fête caritative à cet endroit est absolument parfait, ça fait sens.” Le lieu en question, c’est l’île de loisirs de Cergy, où sont installés depuis un mois une centaine de réfugiés syriens.
Le 14 novembre prochain marquera aussi le jour de la sortie d’un album, auquel Charlie Kane, Crystal Distortion, Max Volume, Asphalt Pirates, Mat Weasel, Jano Isotope, Doublscotch, Bad Girlz, 69DB, Mik Izif, Trackwasher et une vingtaine d’autres artistes bénévoles ont contribué.
En toute logique, l’album sortira exclusivement sur Bandcamp, la plus libre des plateformes : “On aurait pu faire un album qui serait sorti dans le commerce, mais il y aurait toujours eu une partie des bénéfices qui aurait fini dans la poche de tierces personnes.” La plateforme a même exonéré cette compilation de toute taxe, en vertu de son caractère caritatif.
L’effet boule de neige
Les concerts et l’album : ce n’est que le début. Forts d’un réseau réceptif à leur appel, les SP23 s’étonnent de l’engouement que suscite leur nouveau projet humanitaire. De l’Espagne à l’Italie, les soundsystems européens se sentent concernés et souhaitent apporter leur pierre à l’édifice. “Hier, on nous a proposé de faire une fête “Artists In Action” à Rome, dans un grand espace connu… Il y a quelques jours, un ami qui possède un domaine aux alentours de Barcelone nous a proposé de mettre cet endroit à profit pour y stocker des biens.”
Les orgas de teuf s’y mettent, et les teuffeurs aussi. Jeff et Simone constatent depuis quelques jours une recrudescence de demandes de bénévolat : “Le nombre de demandes de bénévolat a doublé en deux jours, alors qu’il n’y a même pas eu de communication autour du sujet !”
De nombreux bénévoles déjà acquis à leur cause rejoignent donc les rangs de l’ONG, mais le reste de la population – technophile ou pas – se sent-il vraiment concerné par la crise des migrants ? Selon les SP23, “la population semble divisée. Nous avons parlé à des gens carrément racistes qui ne voulaient pas du tout entendre parler du problème. D’autres semblent sensibles au problème mais sont paralysés par un sentiment d’impuissance. Je crois que la population est aussi divisée que le sont les politiques. On ne peut pas espérer convertir tout le monde à cette cause, bien sûr, mais je crois qu’il y a davantage de personnes qui désirent aider que de gens hermétiques au sujet.”
Qu’importe, ils foncent, mus par un indéfectible élan de solidarité. En ce moment même, les Spi ravitaillent un camion de 12 mètres de long, gracieusement mis à leur disposition : “La sœur d’un ami a proposé de nous prêter un incroyable camion, dans lequel ils ont l’intention d’habiter un jour. Ils voulaient juste accomplir quelque chose de positif…” La destination ? “Pour l’instant la situation est trop instable pour connaître la destination de la cargaison. Cependant nous avons quelques contacts dans le sud de l’Italie. Et c’est peut-être là-bas que nous irons finalement…”
Car si l’attention des médias est en ce moment portée sur la Grèce et les réfugiés Syriens, le sud de l’Italie représente bien évidemment une autre zone sensible. Des tas de migrants, libyens en majorité, s’échouent chaque jour sur les côtes italiennes, après avoir transité par l’île de Lampedusa. “Peut-être que nous dirigerons cette mission là-bas, conclut Simone. Nous avons des contacts solides sur place et il y a un réel besoin d’aider sur place.” La machine est lancée, et n’est pas prête de s’arrêter.