Les musiciens et les artistes, voire les scientifiques, sont communément perçus comme étant particulièrement exposés aux troubles mentaux. On conçoit même souvent le succès dans ces disciplines comme étant associé à ces maladies, comme si le génie et la folie étaient les deux faces d’une même pièce.
« La rhétorique romantique du musicien torturé est enracinée dans l’histoire occidentale de la musique populaire, cela va des compositeurs classiques comme Schumann, Mahler et Rachmaninov jusqu’au mythe persistant des rock stars tragiques telles que Janis Joplin, Kurt Cobain et Hendrix. » confirment Sally Anne Gross et George Musgrave dans l’introduction à l’étude qu’ils ont menée pour Help Musicians UK, une association fondée en 1921 qui assiste les musiciens dans leur vie professionnelle par le conseil et la mise en relation avec des partenaires.
Intitulée Can Music Make You Sick ? (la musique peut-elle vous rendre malade ?), l’enquête a été conduite via un questionnaire à remplir en ligne entre mai et juin 2016. 2 211 musiciens et professionnels de la musique y ont répondu, ce qui en fait à ce jour la plus importante étude académique consacrée à la santé mentale des acteurs de l’industrie musicale au Royaume-Uni.

Je ne dirais pas que c’est la musique qui me rend malade. C’est le manque de support auquel on est confronté lorsque l’on fait quelque chose qui n’est pas considéré comme du ‘vrai travail’
Candidat à l’étude
Deux chiffres clés ressortent de l’étude : 71 % des personnes interrogées pensent avoir souffert de crises d’angoisse ou d’attaques de panique, tandis que 65 % disent avoir souffert de dépression. Des chiffres à rapprocher de ceux de l’Office for National Statistics, qui annonçait en 2013 que 19 % de la population anglaise (de plus de 16 ans) présentait des signes d’anxiété et de dépression.
66,2 % des personnes interrogées par Help Musicians UK ont entre 18 et 35 ans, et 39 % se considèrent comme musiciens, officiant dans tous les styles de musique.
« Je ne dirais pas que c’est la musique qui me rend malade. C’est l’absence de choses que je considérerais comme des succès. C’est le manque de support auquel on est confronté lorsque l’on fait quelque chose qui n’est pas considéré comme du “vrai travail” », commente l’une des personnes interrogées. Selon l’étude, ce sont les conditions de travail de l’industrie de la musique qui sont responsables de ces maux : la précarité économique, les heures de travail aberrantes, l’épuisement et la difficulté de planifier son futur.
Contrairement à certains clichés, ces troubles ne semblent pas provenir d’une mauvaise hygiène de vie : près de 90 % des personnes interrogées pratiquent de l’exercice, 63 % ne fument pas, seulement 10 % boivent quotidiennement ou prennent régulièrement de la drogue.
Un service d’accompagnement psychologique pour les professionnels de la musique
L’étude n’est pas pour autant dénuée de faiblesses méthodiques, ce que les auteurs reconnaissent eux-mêmes : « il y a un biais d’autosélection, dans le sens où les répondants souffrant [de troubles mentaux] étaient plus susceptibles de répondre ». On remarque aussi que 50,8 % des personnes interrogées ayant demandé de l’aide pour faire face à leurs problèmes s’étaient tournées vers Help Musicians UK, ce qui a pu les inciter à répondre.
Mais l’étude n’a pas vocation à être définitive : il ne s’agit que de la première étape d’un travail plus ambitieux qui se prolongera en 2017 et affiche pour but de mettre en place un service d’accompagnement psychologique dédié aux professionnels de la musique. Les recherches à venir se baseront sur les résultats de cette première enquête et se focaliseront sur « le lien entre la structure compositionnelle de l’industrie musicale et la santé mentale de ceux qui y travaillent » et « l’éventail de solutions qui pourraient être offertes aux musiciens et aux autres travailleurs de l’industrie pour mieux gérer les vicissitudes d’une industrie précaire ».
En musique électronique, les exemples qui illustrent les résultats de l’étude ne manquent pas. En 2013, le producteur de dubstep Benga se retirait de la scène au annonçant être devenu bipolaire et schizophrène à seulement 28 ans. Plus récemment, la superstar de l’EDM Avicii annonçait qu’il prenait sa retraite à 26 ans, ne supportant plus son rythme de vie. Côté presse, The Guardian et Thump publiaient cette année chacun un article traitant de la santé mentale des musiciens de la scène électro, recueillant notamment les témoignages de Moby et de Louisahhh, tandis que xlr8r publiait sous couvert d’anonymat le long récit d’un DJ souffrant de dépression.