Les Trans Musicales font office, pour leur 40e édition, d’exception : si le pèlerinage automnal à Rennes semble être devenu une tradition pour le gratin médiatique musical parisien depuis bien des années, l’expérience du parc des expositions de Rennes (à Saint-Jacques de la Lande plus précisément, parce qu’on finit bien par retenir le nom à force d’allers et retours en navette tous les ans) n’a rien du charme estival d’un We Love Green — sans offense.
Pour cause, on peine à presser le pas, à force de slaloms entre les vomis et autres flaques douteuses, dans le froid du chemin qui sépare les halls aux murs de tôle. Loin des tentes aux toiles recyclées de l’évènement parisien, le festival breton est moins dans le paraître, et c’est peut-être, avec sa programmation, ce qui le distingue le plus dans le paysage événementiel musical français.
Justement, c’est ce que chaque report prend bien soin de rappeler dans son introduction : on parle de la dernière édition du mythique festival tremplin qui a vu défiler Daft Punk, Björk, Nirvana (et Noir Désir, mais on évite de le mentionner maintenant) à leurs débuts. On case une phrase sur Jean-Louis « papy » Brossard, programmateur de légende qu’on présente chaque année depuis 40 ans, avec une citation volée dans l’annuel portrait de Libé, en se demandant quand est-ce qu’il finira par lâcher le morceau. Et puis, après une anecdote marrante sur les déboires des festivaliers dans la navette — probablement une référence aux gilets jaunes cette année (de quoi rappeler que les membres de Nihiloxica en étaient tous vêtus) —, on parle musique.
Ici, impossible d’échapper au top 10 des concerts que vous avez manqués, ou de l’interview de l’artiste (réalisée à deux heures du matin dans un espace presse jonché de flûtes en plastique) qui sera programmé à Beauregard, aux Vieilles Charrues et à Rock en Seine en ouverture du premier jour cet été. Alors autant jouer les mélomanes et, parce que c’est probablement ce qui motive la lecture de cet article, parler des concerts que l’on a vus.
« Allez, le concert va commencer »
Première claque du festival : Nelson Beer. Imaginez une version queer (et suisse) de Paradis sous autotune, sur des intrus qui rappellent Toro y Moi, le tout dans une ambiance androgyne que ne renierait pas Christine & the Queens. Un concert qui aurait pu n’être que la caution pop de l’édition (comme l’était Voyou l’an dernier, la palme revenant cette année plutôt à Aloïse Sauvage), mais que le chanteur a su éviter en ponctuant son concert d’interludes instrumentaux, osant par moment inscrire sa musique dans des expérimentations downtempo du meilleur goût.
Puis vient le concert de Ben Lamar Gay, dont les expérimentations électroniques (à la Dust de Laurel Halo) et jazz (allez voir du côté de Thundercat ou Kamasi Washington) ne feraient pas tache chez le label indépendant Brainfeeder.
Autre immanquable : l’artiste autant choisi pour son personnage décalé que pour sa musique. Après Jacques, quintessence du genre, et Voiron l’an dernier, c’était au tour de Ouai Stéphane d’assurer le show, bénéficiant de la plus grande scène pour l’occasion. Si on s’attendait à voir un show dans la veine de Salut C’est Cool, c’est (presque) raté : à l’exception de ses samples de voix volontairement gênants (à base de « allez, le concert va commencer » et autres « ouais, c’est chouette »), Ouai Stéphane livre un set surprenant de par sa richesse, au sein duquel il n’hésite pas à aller explorer un maximum de registres différents, de transitions presque ambient à un final hardtek aussi réjouissant qu’une coupure d’eau chaude en pleine douche. Pour autant, on ne peut s’empêcher de constater que tous les artistes à caser dans ces catégories ne sont pas qu’une façade : leur musique, comme leurs concerts, ne jouent jamais que sur leur image « lol », et ont au moins le bénéfice d’être l’une des surprises les plus intéressantes de chaque édition.
Le monopole du mauvais goût
Difficile également de ne pas parler d’Atoem, par chauvinisme d’une part, mais aussi parce que les expérimentations des Rennais, en résidence à l’Ubu (salle mythique du centre de Rennes), ont été l’une des expériences les plus marquantes et relayées de cette édition. Il faut dire que leur musique fait mouche, ni trop ambitieuse, ni trop évidente, à mi-chemin entre les premiers albums de Moderat et Kiasmos, teintée d’influences de techno berlinoise. Avec un booth dont les kilomètres de câble rappellent celui de Rebotini, c’est le succès assuré.
Pêle-mêle, on regrette d’avoir raté la soirée du jeudi pour DJ Lag, l’autoproclamé « GQOMKing », en référence au gqom, forme de house tribale proche de l’afrobass, ainsi que, dans un autre registre, Disiz, venu présenter Disizilla, probablement plus par copinage avec Jean-Louis Brossard que dans un soucis d’identité musicale du festival, tant il a fait office de tête d’affiche — à la Stromaé, passé en 2013 au moment de son explosion.
Dans la nuit de samedi, les sets décousus des pourtant attendus La Fleur, Black Noi$e et Fabrizio Rat se sont succédé dans une relative indifférence générale, tous trop homogènes. Même X-Altera, dont on comptait sur la drum’n’bass pour venir réveiller un public trop vite endormi, n’a pas su relever le niveau. La faute à un set plus qu’oubliable, pas assez consistant et d’une qualité hétérogène. Pourtant la soirée était bien partie : Lyzza, aux platines de la Greenroom, se la jouait eurodance (rappelant, en moins industriel, les références pop de SOPHIE), n’ayant pas peur de mixer sur des tracks rap et invoquant même, en fin de concert, une version de « Macarena » croisée avec le « Rude Boy » de Rihanna ; efficace au prix du bon goût — mais Marcel Duchamp himself ne disait-il pas que « le grand ennemi de l’art c’est le bon goût » ?
Les Trans, prédicateur de tendances
De la même manière, Dox Martin et Gigsta ont fait passer de belles heures au public de la Greenroom le vendredi. Toujours aussi radine en basses, et ce malgré une belle acoustique, la scène a vu passer, en première partie de la nuit, un ancien producteur de Fela Kuti, plus venu pour se faire plaisir que pour travailler ses transitions, qu’il prend un malin plaisir à ne pas opérer. Ça valait bien un set plein de raretés, dont on n’arrive toujours pas à imaginer l’histoire qui se cache derrière chacune. Lui a succédé Gigsta, qu’on salue ici, également collaboratrice du magazine, venue présenter un set aux morceaux super texturés — en vinyle only s’il vous plaît — dont le dénominateur commun s’est vite révélé être la basse (un comble, dans le pire hall pour ça). À ajouter quelques tracks d’ambient qui permettent au set de respirer, et la Belge d’origine a conquis le public — ou du moins un des journalistes qui se trouvait dedans.
Alors, comme conclurait Luc Lagier, les Trans, c’est tout ça, et bien plus encore. On est sortis satisfaits de cette édition, et de toute façon on se voit mal en rentrer déçu, tant l’exhaustivité des styles qui y sont présentés permet à chacun de trouver son compte. Si tous les artistes ne peuvent pas se vanter d’avoir fait carton plein, il reste certain que le festival n’a rien perdu de sa superbe (mention spéciale, d’ailleurs, à la remarquable scénographie du hall 9). Même si avec le temps, on voit se dessiner une programmation électronique qu’on connaissait plus ambitieuse auparavant, on se voit mal tirer un trait sur l’évènement, tant il est un bon indicateur des tendances musicales.