Par Scan X
Il y a quatre grandes étapes dans le processus de production d’un morceau. D’abord la composition, où l’on cherche les sons, la mélodie. C’est l’étape créative par excellence, où il ne faut pas se donner de règles. Ensuite, vient l’arrangement, qu’on a tendance à oublier aujourd’hui en tant que musicien. Il permet de structurer le morceau et sa narration de manière logique et efficace, de n’en garder que l’essentiel. Par exemple, en pop, quand une guitare ou un saxophone entament un solo, le chanteur s’arrête pour leur laisser la place. C’est cette efficacité que l’on doit avoir en musique électronique. Tout ce qui est résolu durant cette étape ne sera pas à résoudre au mixage. C’est d’autant plus important que le cerveau est habitué à entendre quatre ou cinq instruments en même temps, pas quinze. En dernier viendra le mastering, qui est une « couche de peinture » pour corriger les petits défauts et surtout faire sonner le morceau selon les standards de volume du marché. Mais le mastering ne pourra jamais rattraper un mauvais mixage. Pour prendre une image, si un mur n’est pas construit droit, ce n’est pas le peintre qui pourra corriger cela. Chaque étape dépend en fait de la précédente !
Le mixage est un travail en amont qui permet de résoudre les conflits de fréquences. Il porte sur trois champs : le volume, qui amène à la notion de dynamique (une échelle que l’on peut réduire en compressant ou augmenter avec un expander par exemple) et l’égalisation. Le cerveau sait faire ce travail, mais le mixage lui permet de ne pas avoir à se poser de question lors de l’écoute. Un bon mixage lui permet d’être paresseux. Et plus il y aura d’éléments, plus ils devront être traités.
Le volume : nettoyer les pistes et faire de la place aux fréquences
Je commence donc par me demander quel moment du morceau est le plus chargé ou intense émotionnellement (les deux se rejoignent généralement). Je vais le travailler sur une boucle pour me concentrer sur les éléments essentiels : le plus souvent en musique électronique le kick, la basse et parfois la nappe ou mélodie. Je baisse tout le reste et je pars sur ces trois éléments, car c’est l’ADN du morceau. S’ils ne sonnent pas bien, le morceau entier ne fonctionnera pas.
Ensuite, je vais prendre toutes les pistes une par une, sauf les plus basses, et les nettoyer en enlevant le bas ou le bas-médium. Ça signifie que je ne touche pas au kick et à la basse, vu qu’ils sont justement dans le bas ou bas-médium. Mais toutes les autres pistes, je leur enlève ces fréquences, juste un peu plus qu’il ne faudrait. Pour cela, je mets les pistes en solo et, une par une, je les filtre avec un filtre passe-haut à 30 Hz par exemple, puis je fais monter la fréquence jusqu’à ce que le son commence à être grignoté. Puis je reviens un peu en arrière et je suis bon.
Il faut faire de la place pour les fréquences de chaque instrument : si l’on veut que la basse et le kick aient de l’impact, il ne faut pas que d’autres instruments jouent sur leur fréquence. Si tu prends un son de piano et que tu enlèves la fondamentale [ndlr : l’harmonique de premier rang] avec un égaliseur, le cerveau peut la reconstituer à partir des harmoniques [ndlr : fréquences qui composent le reste du son] grâce à un effet psychoacoustique, ce qui permet de faire de la place. C’est le rôle d’outils comme le sidechain : s’il agit sur la basse et qu’il est commandé par le kick, il va faire baisser le son de la basse dès que le kick va frapper pour obtenir un « effet de pompe ». Là, on va déjà avoir un mix un peu brut qui donne une idée du squelette de notre morceau.
L’égalisation : ajuster le niveau des sons
Ensuite, je vais ajuster le niveau des sons. Mon astuce est de baisser le niveau jusqu’à ce que ce soit trop faible, de marquer ce niveau, et de faire pareil en augmentant le niveau jusqu’à ce que le son soit trop fort. C’est important de le faire dans cet ordre, car le cerveau est frappé par les sons forts, ce qui fausse notre interprétation du son faible. Le bon niveau se trouve juste entre les deux. À ce moment-là, on peut déjà réécouter le morceau en entier et se demander si des éléments sont en conflit les uns avec les autres en terme de fréquences, car si deux sons au profils similaires arrivent au même moment, le cerveau ne saura pas sur quel élément porter son attention.
La stéréo : séparer les éléments
Outre le volume et l’égalisation, il y a un troisième champ d’action essentiel dans le mixage : la gestion de la stéréo, que les amateurs ont trop souvent tendance à délaisser. Il faut voir le son comme dans une boîte. Si deux éléments posent problème, il peut être possible de les séparer dans cet espace en 3D. Il existe plusieurs moyens de créer une image stéréo. Je peux par exemple utiliser l’effet Auto Pan d’Ableton dessus, que je synchronise au logiciel avec une vitesse choisie de manière esthétique, puis je duplique ma piste avec cette fois le même autopan en mode “invert”. Cela crée une très belle stéréo. Par contre, il faut veiller à garder les éléments importants (le kick, la basse…) au centre.
Il y a aussi d’autres règles auxquelles ont peut penser : pour une sortie sur vinyle, on évite d’avoir de la stéréo au dessous de 300 Hz, qui pourrait amener des problèmes lors de la gravure et « salir » le signal sonore. Et surtout, il faut toujours garder une compatibilité mono quand on mixe en stéréo ! Il faut bien garder à l’esprit que la plupart des sound-systems actuels restent mono, de même que les hauts parleurs de beaucoup de smartphones, et qu’une image stéréo mal faite peut amener à des problèmes de phases, qui peuvent faire disparaître certains sons du morceau ! Pour tester cette compatibilité mono, je mets le VST Utility d’Ableton sur le master. Je peux ainsi passer en mono de temps en temps afin de m’assurer que l’image stéréo créée n’enlève pas de patate au morceau.
Laisser la place aux imperfections
Tout ça peut paraître très académique, mais quand on mixe, il faut aussi savoir laisser des défauts. L’émotion doit primer avant la perfection technique. Le mixage, ce sont des choix et des stratégies pour clarifier ce qu’a voulu dire l’artiste, en mettant en avant les points forts du morceau. Il n’y a pas de mix parfait, il n’y a que des mix qui respectent ce qu’a voulu dire l’artiste.