“Il est temps de tout réincorporer et de leur montrer qu’il y a aussi un côté obscur !”
Est-ce que tu sens qu’en ce moment, les gens s’ouvrent à nouveau aux sonorités hardcore ?
Oui, regarde le nouveau Diplo (le fameux morceau “Techno”, ndlr) ! C’est un kickdrum hardcore avec de la trap, il le sent lui aussi. Après, ça reste le mainstream de ce genre de musique, mais d’entendre ça et la façon dont la musique change… Tout se mélange ! Et la plupart de ces influences viennent de la musique hardcore. Aujourd’hui, surtout aux États-Unis, les oreilles se sont ouvertes pour tous les genres de musique électronique. Il est temps de tout réincorporer et de leur montrer qu’il y a aussi un côté obscur ! Cette autre scène retrouve de l’ampleur. On a signé 6 ou 7 nouveaux artistes ces dernières semaines.
Avec Industrial Strength, tu n’as jamais été séduit par le penchant commercial des productions hollandaises, du gabber au hardstyle…
Personne ne le sait, mais j’ai fait le mixage pour Beyonce, pour le Wu Tang Clan, du dubstep… Pendant cette période où j’ai été discret, je n’ai pas été silencieux. J’ai senti que la musique stagnait. Le son hollandais, même s’il y a de nouveau un beau travail sur la qualité des sons, c’est toujours le même style. Et Industrial Strength n’a jamais été une maison pour ça. J’ai décidé d’être fort, de faire ce en quoi je crois, des vrais sons hard et underground. Alors peut-être que nos artistes ne sont pas aussi bookés que les autres, peut-être que nous vendons moins, mais je reste fidèle à la musique, c’est ce que les gens attendent.
Avant Industrial Strength, tu étais déjà DJ, et l’un des pionniers de la musique électronique à New York. Tu peux revenir sur cette période, dans les années 80 ?
J’ai commencé avec des gars de Brooklyn, puis j’ai rencontré Frankie Bones sur la route. Comme moi, il voulait faire de la musique sans savoir comment. On mixait des choses de Chicago, notre propre musique, trouvant des morceaux en cours de route. À l’époque, il n’y avait que Derrick May et quelques types de Detroit, Frankie et moi ici, quelques autres à LA. Frankie et moi avons bossé sur Looney Tunes (1989). Mais la house à l’époque, c’était vraiment difficile à New York, personne n’en voulait. C’est grâce à Carl Cox et l’Angleterre que ça a décollé pour nous, puis c’est revenu aux USA. J’étais vraiment au sommet parmi les producteurs, mes compétences en tant que DJ progressaient. Et au tournant des années 90, j’ai commencé à mixer plus vite et plus dur.
Pourquoi aller vers ce style plus dur ?
Parce que je traversais tous les genres très vite ! Ce n’est pas parce que je voulais jouer hardcore, c’est juste ce que je ressentais. Dans les 90’s, tout le monde prenait de l’ecstasy, des acids, et je vais te le dire franchement, j’en prenais aussi ! J’allais toujours plus loin, jusqu’à ce que j’arrive aux sons hard. Et je me suis dit : “Ça y est, j’y suis.”
Je jouais tous les hard tracks que je trouvais, les faces B, un morceau ici ou là. Ce son a attiré l’attention du dirigeant du label R&S, Renaat. Et il m’a dit : “Écoute Lenny, ce que tu fais, personne d’autre ne le fait. Tu dois venir en Allemagne pour une fête.” C’est là que j’ai rencontré Marc Acardipane…
Tu peux nous raconter un peu cette rencontre ?
C’était à Francfort, dans un lieu qui s’appelait The Sound Factory, une usine abandonnée. Ils mettaient un genre de poppers directement dans la machine à fumée, et les gens prenaient de l’ecstasy avec ce truc qui défonçait toute cette foutue usine. Il y avait moi, Sven Väth, Mark Spoon, et j’ai croisé Marc qui m’a invité chez lui pour écouter quelques-uns de ses morceaux. On était complètement défoncés, et il a joué le “Mescalinum United” (Marc nous confiera que Lenny Dee est resté des heures à écouter le track en boucle, ndlr). Je montais un label et j’avais trouvé ma première sortie. Ça a été une explosion ! J’ai joué la première fois ce disque à Mayday 2 en 1992, juste après Jeff Mills. Et j’ai vu 10 000 personnes en train de flipper. J’ai senti ce truc en moi et je me suis dit : “C’est ça.” Et je pense que tous les gens dans la salle se sont dit la même chose. J’ai joué le “Mescalinum United” et “The Mover Final Sickness”, soit les deux tracks qui ont défini pour l’un le son hardcore et l’autre l’extension sombre de la techno.
Et tu n’es jamais redescendu du hardcore…
J’étais passé par tous les styles de musique depuis le début, par tant de succès, en étant un peu pionnier pour chacun mais en ne restant jamais assez pour le mener jusqu’à la fin. Avec le hardcore, j’avais trouvé ma voie. Je me suis dit : “Je suis jeune, tous les gamins de mon âge vont adorer, on prend des drogues, c’est notre moment. Et je vais le mener jusqu’à son extrême.” On a commencé à faire du speedcore, du terror, de l’expérimental, le frenchcore en a découlé. Puis les Hollandais s’y sont mis. J’ai perdu de l’argent, j’ai fait de l’argent, mais je suis toujours là, avec mon intuition.
J’ai toujours été DJ depuis mes 17 ans, c’est le seul job que j’ai eu. Ça fait partie de moi, et spécialement le hardcore, parce que je crois que j’ai poussé cette musique plus que quiconque ! Désormais, je m’en fous, j’ai fait tout ce que j’ai pu faire, je veux donner aux artistes ce que j’ai appris, leur offrir une maison pour bien bosser, faire ma musique, peu importe le style. Et quand j’ai la chance de jouer en France, j’en profite pour leur faire écouter quelque chose de neuf. Même si on attend de nouveaux artistes français, ils ont eu une influence pendant trop longtemps pour que je dise une seule chose négative sur eux. J’ai vu la scène hardcore française grandir depuis Manu, Liza, Laurent Hô, même DJ Kraft. Et même les Daft Punk ! Nous avons signé le premier Daft Punk* avec Manu sur IST et regarde où ils en sont !
* Manu le Malin, 12.02 (Black Day), sorti en 1995 sur IST. Seconde sortie des Daft donc, ils avaient signé un premier single l’année précédente sur Soma Records.