par Vincent Le Nen
L’usage de la TR-808 est un de ces points de convergence entre hip-hop et électro. Omniprésente dans la trap music qui rayonne depuis une quasi-décennie, cette boîte à rythme a été conçue au début des 80’s comme un instrument de musique électronique. Les 808 furent très tôt utilisées par les compositeurs de rap tendance electro-funk, et notamment Egyptian Lover, père du son West Coast et influence de Dr. Dre lorsque ce dernier inventa un son qui bouleversa l’histoire du rap, au tournant des années 80 et 90, déplaçant son épicentre des rues de New York. Les sales gosses de l’Ouest chapeautés par Dre qu’étaient N.W.A, Snoop Dogg et consorts créèrent un mouvement, une tradition, suivis par nombre de porte-flambeaux, qui voient leur lignée poursuivie de nos jours par l’impressionnant Vince Staples.
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Celui qui affirme “If it was ‘88, I would have signed to Ruthless, ‘94 would’ve had ’em walking down Death Row“, en référence aux deux légendaires labels qui faisaient le rap californien pendant cet âge d’or, ne croit pas si bien dire. Tout simplement parce que ceux qui façonnaient le rap de LA et alentours, Dr. Dre en tête, étaient à l’écoute de la musique électronique, et ne voyaient aucun mal à la mêler à leurs compositions. Et que Vince Staples apprécie les instrus aux grosses sonorités electro, comme l’illustrent quelques-unes de ses dernières sorties. C’est ce qui l’incite à s’inviter sur le premier album du duo californien Good Times Ahead (GTA), pour un “Little Bit of This” tout en percussions, kick binaire à l’appui, laissant le garçon démontrer son aisance par un flow survitaminé. En certains points, sa musique inscrit totalement Vince Staples dans l’héritage de la Cité des anges. Et, du fait des emprunts de cette tradition à l’electro, rien ne choque l’auditeur de rap lorsqu’il écoute le mélancolique bonhomme poser sur des prods aussi énergiques.
GTA ft. Vince Staples – Little Bit of This
Enfant des ghettos de Long Beach et de Compton, devenu un ado malin mais fasciné par les gangs, il rejoint jeune les rangs des Naughty Nasty Gangsta Crips. À l’instar de ceux qui ont créé l’identité du rap West Coast de nombreuses années auparavant, Vincent Jamal Staples est un gosse du crime. Ayant baigné dans une famille de gangsters, bercé dans cet univers qui sert de terreau ensoleillé mais sanglant à tant de rappeurs depuis trente ans, il prolonge la tradition du gangsta rap, au sens propre.
Dès lors, il respecte ses prédécesseurs et leur rend parfois hommage. Ainsi, son oppressant EP Hell Can Wait (2014) donne l’occasion d’entendre des samples de Straight Outta Compton de N.W.A (sur “Screen Door”) ou de Bitches and Sh*t de Dr. Dre (sur le hit “Blue Suede”). Mais ce n’est qu’un détail, comparé à l’utilisation récurrente de sirènes et d’énormes synthés. Dès le début de sa carrière, alors qu’il traîne avec le rappeur-designer Tyler The Creator, pourtant bien loin de la G-funk, il offre en 2011 “Hostile” (sur la mixtape Shyne Coldchain Vol.1), un morceau totalement sous influence 90’s, du synthé rythmique jusqu’à l’emprunt de certains sons au jeune Snoop.
Vince Staples – Hostile
Sur Hell Can Wait, les sirènes hurlantes évoquent un tableau d’émeutes urbaines bouillonnantes, comme seule Los Angeles sait les offrir. Ces sirènes, les compositeurs avec lesquels Staples collabore s’y essaient également. Ainsi, Clams Casino, pionnier du cloud rap (sous-courant majeur poussé à l’origine par des rappeurs comme Lil B et A$AP Rocky) mais musicien polyvalent avant tout, est venu offrir sur Summer Time ‘06 (premier album de Vince Staples sorti l’année dernière) l’instrumental du frissonnant “Norf Norf“. Soit un morceau où l’on rentre dans la tête d’un jeune homme des ghettos de North Long Beach, à base de cynisme mortifère, de crainte de la police et d’hommage à Nate Dogg, sur fond d’énormes sirènes structurant le morceau, de kicks sonnant comme des marteaux et de basses discrètes – le tout rappelant le plus froid du gangsta rap de l’âge d’or. Tel est l’état d’esprit du nouveau prince de Los Angeles. Et sa musique se rapproche surtout en cela de celle d’Ice Cube, légendaire membre de N.W.A, par sa manière de raconter la vie et la mort sous la poussière tourbillonnante des étés californiens, cette conscience d’avoir été en passe de devenir un gamin de plus à quitter la vie avant l’âge de passer le permis, cette froide détresse des ghettos de LA et de son énorme banlieue.
Mais rassurez-vous, tout n’est pas que noirceur chez Vince Staples. Ainsi, il aime beaucoup parler de sapes, de son amour pour l’esprit de sa ville, sa culture si particulière. En véritable enfant du coin, il a hérité de cette fierté qu’ont les locaux pour la Cité des anges.
Forever Chuck: Chucks et la Culture LA avec Vince Staples
Si LA était un homme, il aurait ainsi forcément un white tee sur le torse et une paire de Converse Chuck Taylor aux pieds. “In LA, we wearing Chucks” disait Tupac dans “California Love”. Ces “Chucks” offrent l’occasion à Vince Staples de naviguer dans tout Los Angeles afin de faire parler les murs qui ont vu naître et rayonner le G-funk et le gangsta rap. Où ça ? Dans le reportage produit par Converse sur les liens qu’entretiennent la ville et les iconiques souliers, “Chucks and LA Hip Hop“. Il donne la parole à ceux qui, comme lui, ont utilisé leur talent pour s’élever et s’exprimer à LA, qu’il s’agisse du graffeur Spanto ou du meneur des Lakers Jordan Clarkson.
Écouter Vince Staples, c’est donc écouter le Los Angeles des Crips, des Bloods, des balles sous un soleil de plomb, de ceux qui ont grandi avec le crime comme norme et qui dorment un œil entrouvert. La même réalité que celle de ses aînés, les bandanas en plus, les chemises à carreaux en moins, les pantalons moins larges. Mais la même paire de Chuck Taylor aux pieds.
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