Méconnue, mal comprise, méprisée, moquée, maltraitée. Depuis son apparition, la pratique du tuning n’a eu de cesse de subir le regard contempteur des classes bourgeoises, jugeant une activité qui leur échappait, culturellement comme géographiquement.
Défini comme la transformation apportée à un véhicule, le tuning peut intervenir sur la carrosserie, le moteur ou encore l’intérieur de la voiture. Si les manières de s’adonner au tuning sont multiples selon le pays dans lequel on se trouve et les moyens dont on dispose, la philosophie DIY (Do It Yourself) demeure la colonne vertébrale du projet. La fierté du tuner se niche dans sa capacité à transformer son auto seul, comme une manière de s’opposer à la société de consommation. En effet, si l’on remonte à ses origines, dans les années 1930 aux États-Unis, le tuning était pour les classes les plus démunies, un moyen de rendre plus puissantes des voitures achetées à bas coûts. Un moyen donc, de refuser l’offre capitaliste et libérale de produits finis, en lui préférant la création d’un objet unique. « Le tuning rassemble tous ceux qui opposent à la production en série une forme d’arrangement individualiste en se ré-appropriant l’objet commun pour ainsi personnaliser leur véhicule devenu unique » écrit le chercheur Eric Darras dans l’article « Un lieu de mémoire ouvrière : le tuning », publié en 2012 dans la revue Sociologie de l’art. Retour sur un phénomène discret, mais résolument politique, du paysage sociologique français.
Du tuning aux Gilets Jaunes : une contre-culture politisée
« Drouet, c’est un produit médiatique. Un produit des réseaux sociaux » déclare Emmanuel Macron dans un entretien accordé au Point en 2019. Comprendre : Eric Drouet, l’un des représentants majeurs, si ce n’est la figure de proue, du mouvement des Gilets Jaunes. Mais Eric Drouet, c’est surtout le leader du Muster Crew, une équipe de tuning, avec laquelle il organise régulièrement des rassemblements (les « rassos ») de plusieurs centaines de voitures sur des parkings en Seine-et-Marne. Avec Maxime Nicolle (du groupe Facebook « Fly Rider Infos Blocage ») et Priscillia Ludosky (à l’initiative, en mai 2018, de la pétition sur la hausse de la taxe sur les carburants), il est très vite considéré comme l’un des instigateurs du mouvement des Gilets Jaunes, qui connait son point d’orgue en 2019.
Le tuning rassemble tous ceux qui opposent à la production en série une forme d’arrangement individualiste en se ré-appropriant l’objet commun
Eric Darras
Spécialiste de la pratique du tuning en France, le précédemment cité Eric Darras publie un nouvel article en 2020, intitulé « Du rassemblement de tuning au rond-point des Gilets jaunes » (publié dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales). En partant de l’exemple d’Eric Drouet, le sociologue analyse les « Gilets Jaunes » comme le témoignage des capacités d’agir, de l’autonomie relative, et de l’histoire politique de la classe populaire française « relativement protégée des regards dominants, dont ceux des intellectuels et autres politiques qui prétendent la représenter, la parler, voire la faire exister ». Dans ses précédents travaux, il esquissait déjà un portrait-type du tuner français, dont les caractérises peuvent se résumer ainsi : à l’aube des années 2000, le tuner est un homme d’environ 23 ans, résidant dans le Sud-Ouest de la France, intérimaire ou salarié, titulaire d’un CAP ou d’un BEP, fils d’ouvriers. C’est « le gars du coin », pour reprendre l’appellation de Nicolas Rehany, qui étudie les jeunesses populaires en milieu rural et post-industriel. Ces mêmes jeunes hommes sont volontiers catégorisés, par les médias généralistes, comme racistes, sexistes voire débiles.
Faire famille
Ennemi du bon goût, contre-culture née dans les milieux ouvriers… si le tuning existe bel et bien en France, celui-ci n’a jamais rencontré un succès aussi palpable qu’aux États-Unis ou au Japon. Sur le sol français, le tuning est bien plus réprimé, d’abord par le droit, mais surtout par les classes supérieures. « Beauf » ou « jacky » sont des qualificatifs qui reviennent souvent dans les discours liés au tuning. Pourtant, aux yeux de celui qui pratique la customisation (tuning n’est pas un terme adopté par la majorité en France), cette dernière est un moyen de perpétuer l’héritage ouvrier, soit un savoir-faire, un geste, un goût pour le travail bien fait – caractéristique des valeurs ouvrières. En outre, cette passion se partage, lors de rassemblements, où les amateurs comme les professionnels se rencontrent, présentent leur voiture, échangent des conseils et des connaissances. De nombreux tuners se fréquentent depuis l’enfance. En résultent de multiples supports médiatiques révélateurs du poids de cette contre-culture : EVO, GTI Mag, Maxi Tuning, Boost, NITRO…
Le tuning est donc, par essence, une pratique résolument collective. Elle repose sur l’échange et la circulation d’informations entre ses pratiquants. La présentation des véhicules sur des parkings en est un excellent exemple : elle incarne un moyen d’échanger un savoir-faire, une passion, une expérience lors de ce qui s’apparente à des concours de beauté aux critères exigeants. La voiture doit être propre, unique et cohérente malgré ses modifications qui sont parfois nombreuses. Ainsi, la customisation permet à ses amateurs d’affirmer leur individualité. La notion d’utilité n’est que secondaire, voire inexistante du processus de transformation.
Avec une Biennale de design dédiée au tuning en 2015 à Saint-Étienne, à l’apparition des codes du genre sur les podiums des défilés pendant la fashion week (comme avec la collection printemps-été 2015 de Etudes), le regard posé sur la pratique semble avoir changé. Avec le retour de mode des éléments associés aux décennies 90-2000 (la fameuse tendance « y2k »), il n’était qu’une question de temps avant que le tuning ne revienne à son tour dans l’ère du temps, et avec lui, le frisson de la vitesse, du danger et de la liberté. Tu nais, tuning, tu meurs.