Le surdoué Uffe se bat pour faire reconnaître la culture club danoise

Écrit par Paul Brinio
Le 18.10.2016, à 10h25
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Écrit par Paul Brinio
Briser les carcans entre les genres, c’est le credo de Uffe. Ce natif de la région de Copenhague est un véritable glouton de musique. Collectionneur de disques de dubstep, de jazz, de house ou de techno, il en devient un producteur amoureux de l’art du sampling. Alors que la scène danoise était quasi inexistante il y a une dizaine d’années, Uffe fait maintenant partie de cette culture club qui refuse de voir la Scandinavie se complaire dans sa torpeur. Avec son nouvel album No!, il entend « montrer qu’il faut savoir dire non, pour le meilleur et pour le pire ». En brisant les barrières entre les styles, le Danois fait souffler un vent nouveau sur une musique que l’on connaissait pourtant bien.

Comment en es-tu arrivé à devenir DJ ?

C’est assez cocasse. Quand j’étais encore enfant, mon cousin faisait parti d’un groupe de hip-hop. C’était lui qui scratchait et mixait, il était le DJ de la bande. Nous étions au tout début des 90’s. J’étais alors tout petit, et ce cousin était mon héros, mon modèle. C’est donc lui qui m’a fait découvrir les disques, le hip-hop, le scratch et tout ce qui s’apparente à cette culture du mix. J’avais seulement 10 ans à l’époque et ça m’a fasciné. Par mimétisme, je me suis très rapidement procuré des platines et une table de mixage et j’ai commencé à travailler tout seul. Dans un certain sens, on peut donc dire que j’ai toujours plus ou moins mixé. J’ai grandi entouré par les galettes. Cette culture du sample qui me vient du hip-hop a toujours été une part de moi. C’est dans mon sang depuis que je suis gamin.

Et puis un jour, ça a fini par prendre une tournure différente…

Il y a environ deux ans, j’ai commencé à véritablement m’intéresser à la dance music et à la culture club. Je me sentais concerné. Il a fallu se faire un nom. Pour tout te dire, je ne me rappelle pas de ma première prestation, c’était il y a quelques années déjà. C’était certainement lors d’un nouvel an dans ma ville d’origine (rire). Mais le premier DJ set en tant que “Uffe” dont je me souvienne était à Istanbul. Je jouais dans un fantastique petit club, aujourd’hui malheureusement fermé, qui s’appelait le Café Otto. À l’époque, je ne jouais quasiment qu’en live, avec un ordinateur, une boîte à effet et un micro, et j’ai réussi à être booké en Turquie. Je pouvais jouer pendant des heures et c’était une expérience incroyable, j’y ai pris énormément de plaisir.

Tu regrettes cette période ?

Non absolument pas, c’était simplement un autre moment de ma vie. Aujourd’hui c’est différent. Je suis passé à la production et je peux faire découvrir aux gens mon univers et mes humeurs. C’est une autre forme de liberté.

“Si tu produis de la techno, le public s’attend à ce que tu lui balances deux heures de techno. Ça ne m’intéresse pas.” 

Tu nous parlais de la culture du sample et du hip-hop. C’est une influence qu’on retrouve dans beaucoup de tes productions actuelles.

C’est ce qui me définit, c’est ce que je suis. Je produis encore tous mes morceaux comme s’il s’agissait de tracks de hip-hop, et j’en sample énormément. Que ce soit au niveau des voix ou des rythmiques, le sampling fait partie intégrante de mon processus créatif. C’est pour ça qu’on peut y entendre du jazz, du funk, du disco…

Justement, tes sons changent un peu de ce qu’on peut entendre actuellement en terme de house. On peut même dire que ça détonne, dans le bon sens du terme. Pourquoi avoir pris ce risque ?

(rire) Tu trouves que c’est un risque ?

En tout cas, c’est courageux.

Je vois ce que tu veux dire. En définitive, quand tu fais partie de ce qu’on appelle la dance music, les gens s’attendent à ce que tu sortes la même chose que ce tu pourrais leur jouer en club. Si tu commences à faire de la techno, le public va s’attendre à ce que tu balances deux heures de techno. Cela ne m’intéresse pas. Pour moi, ce sont deux choses complètement différentes. La musique que je fais est parfois à l’opposé de ce que je peux jouer en soirée. Pour moi, c’est impossible de m’asseoir devant mon bureau et de me dire “Vas y, forces toi, commences à produire des morceaux de dance music“. Je trouve que ça donne très chose de très commun. Je pars du principe où, quand j’arrive dans un studio, je ne sais pas ce qu’il va se passer. Il ne faut pas rester figé sur un style. Si l’une de mes productions sonne un peu plus “dance” que d’habitude, c’est une pure coïncidence. Ce n’est pas non plus un choix si je fais quelque chose de différent. C’est simplement dû à mon humeur et à mes inspirations, en lien avec le moment où je l’ai composé.

Mais tu ne renies pas non plus la musique de club ?

Si je joue un dj set, je vais passer des morceaux dance, bien évidemment. C’est une source d’inspiration inépuisable. Beaucoup de ces genres m’inspirent, la dub, la disco, ou la techno, notamment ce qui sonne industriel. Pour moi, tout cela n’est qu’un tout. Mais je peux comprendre si ceux qui vont écouter l’album sont surpris.

“Il faut savoir répondre négativement de temps à autre pour que quelque chose de bien se produise.”

A ce propos, tu aimes bien aller à contre courant visiblement puisque ton dernier album s’appelle « No! ». Tu t’adresses à qui ?

Quand j’ai commencé à créer des sons pour cet EP, je voulais qu’ils soient tous tournés vers cette idée de dire « Non » aux choses de la vie. Après avoir vécu quatre ans à Amsterdam, je suis retourné vivre à Copenhague l’été dernier. J’ai donc dû dire « au revoir » et surtout « non » à de nombreuses choses qui constituaient ma vie à l’époque. C’est une longue histoire… Le fait de quitter une ville où tu as vécu quatre ans inclut de laisser beaucoup de choses derrière toi… Quoi qu’il en soit, j’avais aussi un autre sentiment. Dans notre société où les réseaux sociaux prennent de plus en plus de place, j’ai trouvé qu’il y avait de moins en moins de place pour l’honnêteté. Pour moi, paradoxalement, cette valeur est totalement occultée par les réseaux sociaux. Finalement, ce ne sont pas des lieux où les citoyens ont la possibilité de dire, de manière constructive, qu’ils n’aiment pas quelque chose. Ou vous aimez, ou vous ne dites rien.

On sent le vécu…

Dans ma vie personnelle, j’ai toujours essayé d’être honnête avec les gens, surtout dans ce que je leur disais. Cela m’a souvent porté préjudice. Ces gens me répondaient « ouais mais tu as juste l’air d’un idiot. On dirait que tu es quelqu’un de négatif. » Je suis souvent passé pour un hater. (rires). J’ai donc trouvé intéressant de travailler avec cette idée de dire « non », d’exprimer un point de vue différent, quitte à bousculer.

Uffe – I Can Show You High (w. The Beatrix Ruf)

C’est parfois plus facile de dire « oui » plutôt que « non ».

Exact, d’autant plus qu’il faut savoir répondre négativement de temps à autre pour que quelque chose de bien se produise. Toute la période de création de l’album correspond à ça. Savoir dire « non », pour le meilleur et pour le pire.

“Tout le monde sort des nouveaux sons tous les jours. Je trouve ça très stressant.”

Tu nous as beaucoup parlé de hip-hop, mais quelles sont tes inspirations principales ?

Ça c’est une question difficile. C’est un cercle vraiment très large. Je dirais que, pour le moment, je suis très intéressé par le dub, sous toutes ses formes de production. Et même si mes sons ne s’en approchent pas forcément, j’écoute beaucoup de musiques dites « club », à travers toutes les décennies. Pour moi, le dub est à l’origine de la musique qu’on écoute en boîte. C’est une musique faite pour les gros sound-systems. Mais ces derniers temps, il y a pas de Don Cherry, de free jazz ou de spiritual jazz qui tourne chez moi. Je suis aussi un gros fan de UK garage, et il y a une dizaine d’année, je collectionnais pas mal de disques de dubstep. Pour en revenir à mon inspiration, comme tu le vois, c’est un mélange de tout.

Don Cherry – Organic Music Society (1972)

Et avec de telles inspirations, qu’est-ce que tu attends de la suite ?

Actuellement, je travaille sur la création d’un label. Ici, à Copenhague, je suis entouré par de nombreux DJ’s ou producteurs, tous très talentueux. Ce sont de véritables musiciens, qui produisent d’excellents sons. Mon but est donc de créer un label qui puisse tous nous réunir et de faire valoir toutes ces productions qui sortent actuellement à Copenhague. J’ai envie que le public entende et découvre ce qu’on fait chez nous. Un nouvel EP arrive bientôt et je compte le sortir sur mon propre label. C’est un EP beaucoup plus dance que ce que j’ai pu faire jusqu’à présent. Je ne t’en dis pas plus…

Uffe – Valentines Card

Quelle est la différence entre la scène de Copenhague et les autres scènes qu’on peut trouver en Europe ?

Je crois qu’il y existe une grande différence entre la scène du Danemark et les autres scènes européennes. Mais cela au même titre que les dissemblances qui existent entre scène française et anglaise. À Copenhague, il y a une très bonne scène mais la ville est très petite, un million de personnes y vivent. Ce n’est pas beaucoup, hein ? Comparé à Paris ou Londres. La scène est donc différente ici. C’est comme un petit village. Tout le monde se connaît.

On peut ressentir ça aussi dans les autres capitales mais sur une plus grande échelle, non ?

Je ne suis pas sûr. Je vais souvent à Londres et il y a tellement de gens qui font de la musique… Cela engendre beaucoup de compétition et donc beaucoup de pression. Tout le monde sort des nouveaux sons tous les jours. Je trouve ça très stressant. On peut y ajouter le fait que cela coûte cher d’y vivre et ça donne un environnement qui n’est pas forcément favorable à une création de qualité. À Copenhague, c’est beaucoup plus détendu. C’est un peu comme à Berlin. Il y a beaucoup moins de pression pour faire de la musique. On ne se force pas. Les gens prennent leur temps. On met beaucoup de temps à sortir un son et je trouve que cela se ressent dans la musique. Peut-être dans la qualité notamment. À l’inverse, on manque certainement d’agressivité et d’impulsivité.

“On doit tous travailler dur pour faire entendre l’underground ici”

Ça se ressent tant que ça ?

C’est une histoire différente. Il n’y a pas vraiment de culture club ici, à l’inverse de Paris ou Berlin par exemple. Du coup, cette culture est une communauté très underground. Tout le monde est vraiment sympa et on se supporte les uns les autres. C’est impératif car on doit tous travailler dur pour faire entendre l’underground ici. L’audience est vraiment restreinte. Mais je pense qu’elle grandit de jours en jours. C’est une très bonne période en ce moment.

Comment vois-tu cette scène danoise ou scandinave ?

Malheureusement, il n’y a beaucoup de discussion entre la scène norvégienne, suédoise ou danoise. Le public du reste de l’Europe pourrait penser le contraire, pourtant personne ne se parle. De très bonnes productions sortent quand même à Stockholm ou Oslo. Quand je suis arrivé à Copenhague il y a 10 ans, la musique électronique était absente. Aujourd’hui, je n’ai jamais vu une telle effervescence. Il y a tellement de personnes qui font des choses fantastiques. Des clubs comme le Jolene proposent une programmation exceptionnelle. C’est un tout petit club avec un sound-system hors du commun. Depuis quelques années, ce lieu change la scène danoise en profondeur. Tout le monde peut rentrer et il y a une ambiance surréaliste à l’intérieur. C’est le propre de la nouveauté. Et pour tout te dire, j’ai beaucoup d’espoir pour cette culture qui ne demande qu’à se développer chez nous.

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