Ce sacré Moby nous aura décidément tout fait. Plongé dans le punk rock le plus intransigeant dès son adolescence avec les groupes Vatican Commandos ou Ultra Vivid Scene, Moby se prend de passion dès la fin des années 80 pour la scène club new-yorkaise, où le hip-hop et la house se disputent la vedette, et n’a dès lors qu’un seul rêve : devenir DJ. Ce qu’il raconte parfaitement dans Porcelain, son autobiographie parue au printemps dernier : « Je voulais jouer devant un public en chair et en os. Je voulais être DJ dans les immenses boîtes noires et bondées de New York. J’avais vingt-trois ans, je faisais de la musique électronique, j’étais presque sans-abri, mon seul boulot payant était un job de DJ tous les lundis dans un minuscule bar du Port Chester, dans l’État de New York, et tous les samedis dans un club ouvert à tous les âges, aménagé dans une église de Greenwich. »
À voir également
Le mini-docu sur Moby dans le New York de 1989 à aujourd’hui
C’est au MARS, énorme club new-yorkais (concurrent des Red Zone, Limelight et autres Sound Factory) qu’il fait ses débuts derrière les platines, s’impose et devient l’un des DJ’s phare de la scène électro-rave naissante des 90, passe d’une soirée au Zanzibar Club de Tony Humphries à une fête privée avec Madonna qui débute sa carrière, d’un ball de voguing à une partouze pour banquiers fortunés, d’une rave illégale à ses premiers live en Europe, le tout dans une atmosphère qui mélange gros bras du hip-hop, club kids défoncés à la chimie, drag-queens en folie, ravers en baggy et t-shirt fluo en pleine montée d’ecstasy. Mais c’est surtout avec ses premières productions sur le tout jeune label Instinct que Moby va vite être considéré comme l’un des acteurs majeurs de la scène house naissante, avec une poignée de tubes underground qui vont devenir le carburant idéal de l’utopie rave qui commence à infiltrer la vieille Europe. Des désormais classiques comme « Mobility », « Next Is The E », « Thousand » et évidemment le « Go » qui fera planer l’esprit Twin Peaks au dessus des clubbers.
Moby – Next Is The E (Synth Mix)
Mais la chute est rude, comme une bonne descente, et fin des années 90, Moby a le blues. La scène techno est en mutation, l’éclectisme de ses sets n’a plus la côte, de jeunes DJ’s plus spé prennent peu à peu sa place et Moby ne se reconnaît plus dans l’utopie qu’il a contribué à créer. « C’était une époque de transition. La scène rave se transformait, de même que mes tournées européennes, explique-t-il dans sa bio, deux ans plus tôt tout était nouveau et réjouissant. Je sortais des disques de techno plein d’entrain pour un public dopé à l’ecstasy, et même si les voyages m’épuisaient, j’étais ravi de faire partie d’une scène fondée sur l’idée de joie. En 1993, les choses avaient évolué, la musique était de plus en plus sombre et les drogues de plus en plus dures. Les gens dansaient moins et avaient tendance à s’écrouler dans les coins. Les deux tubes du moment étaient « Trip II the Moon » d’Acen et « Rez » d’Underworld, deux disques que j’adorais, mais ils formaient ensemble la bande-son de cette invasion de la noirceur. La musique se nourrissait de la drogue et la drogue se nourrissait de la musique, chacune entraînant l’autre avec elle au fond du trou. »
Dans un ultime sursaut, et contre l’avis de sa maison de disque et de son manager, Moby décide en 1996 de revenir à sa première passion, le rock qui tâche, avec l’album Animal Rights (où il pose les bases de l’engagement de sa vie, la lutte contre la souffrance animale), mais le public qui attend de lui un album de techno fusion façon Prodigy, Fatboy Slim ou Chemical Brothers, ne comprend ni la musique, véritable tabassage en règle, ni le message. Et Moby, dans un dernier sursaut, abandonné par sa maison de disques, sort Play, casse du siècle, habile mélange de rythmiques électro et de vieux samples de blues, un disque qui s’écoulera à plus de 9 millions d’exemplaires vendus, et dont les titres dans leur totalité seront récupérés par la pub pour des synchros. Désormais Moby n’a plus rien à craindre, il est riche pour des générations, même si cette fortune soudaine et cette popularité mondiale ne changeront pas le mode de vie de ce végane acharné, chrétien décalé et abstinent alcoolique. « Les gens ne me reconnaissent pas car je suis la plupart du temps habillé comme un “clochard” » s’amuse-t-il à balancer en interview, comme une ultime provocation face à son compte en banque à six zéros.
Ces derniers temps, alors que le petit bonhomme chauve entame la cinquantaine, Moby n’a jamais été aussi présent et militant. Il a quitté New York et ses démons pour Los Angeles, a sorti au printemps dernier sa biographie Porcelain qui nous plonge avec délectation dans l’hystérie de la nuit new-yorkaise des années 90, il a balancé en téléchargement gratuit Long Ambients1: calm. sleep, sept titres de méditation synthétique parfaits pour faire son yoga ou se réconcilier avec ses voisins, et affirmé son militantisme pro-animal. Avec une ribambelle de projets militants dans son record bag : la création de Little Pine, un restaurant végan à LA, un nouveau projet musical où, accompagné d’un groupe tout neuf, The Void Pacific Choir, Moby explore une direction musicale qu’on ne lui connaissait pas encore, à savoir l’électro-rock, un manifeste coup de gueule à tous ceux qui détruisent la planète.
Moby – These Systems Are Failing
Sans oublier l’organisation de Circle V, un festival entièrement végan qui se tiendra le 23 octobre prochain et où on dansera en mangeant du quinoa. En bref, tout un kaléidoscope militant dont le quinqua expliquait sobrement la mission aux Inrocks : « Je suis un activiste depuis maintenant trente ans, et un végan depuis 29 ans. Au début, c’était simplement parce que j’aimais les animaux. Puis peu à peu, ce choix personnel a commencé à s’inscrire dans un raisonnement politique beaucoup plus global. Je me suis intéressé à des problèmes écologiques, sanitaires, liés à la famine, à la diffusion de maladies, à la déforestation, à l’effondrement de nos systèmes immunitaires, et encore une ribambelle de catastrophes à la source desquelles ont retrouve toujours la même cause : la viande et l’élevage industriel. Aujourd’hui, mon militantisme compte au moins autant pour moi que la musique. J’ai ouvert l’an dernier un resto végan dont l’intégralité des bénéfices est remise à des assos. L’organisation d’un festival était une façon de marquer le coup, de monter d’un cran. »
Moby & The Void Pacific Choir – I Wait For You (Trax premiere)
❖
Moby & The Void Pacific Choir – These Systems Are Falling [Because], sortie le 14 octobre 2016.
Moby, Porcelain (Editions du Seuil), 432 pages – 22 euros.
Tracklist de These Systems Are Failing :
01. Hey Hey
02. Break.Doubt
03. I Wait For You
04. Don’t Leave Me
05. Erupt + Matter
06. Are You Lost In The World Like Me?
07. A Simple Love
08. The Light Is Clear In My Eyes
09. And It Hurts