Le label Skryptöm est-il la plus belle histoire de famille de la techno française ?

Écrit par Thomas Guichard
Photo de couverture : ©@ Astropolis Booking
Le 25.06.2018, à 12h55
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©@ Astropolis Booking
Écrit par Thomas Guichard
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En attendant Nördik Impakt… L’écurie Skryptöm ouvre une nouvelle page de la techno française. Pour son chef de file, Electric Rescue, « si la techno a existé un jour, c’est qu’il y a eu de l’échange et du partage entre différentes musiques ». Autopsie d’un label familial qui se tourne vers l’avenir, sans peur.


Début juin, toute la meute du label Skryptöm se retrouve à Caen pour une semaine de résidence organisée par le festival normand : ateliers avec des jeunes, conférences et échanges avec la dizaine de producteurs que compte le label, soirée de clôture au Cargö… Du 4 au 9 juin, avec ces rencontres intitulées En attendant Nördik Impakt, Electric Rescue et sa bande ont balayé Caen d’un vent de fraîcheur polaire, comme un prélude au festival qui se tiendra du 24 au 27 octobre prochains.

Elec­tric Rescue, Maxime Dangles, Paul Naz­ca, Scan X, Kmyle, Mote­ka, Leghau, She­kon, Wlderz… Chacun d’entre eux a ses projets, ses dates à gauche à droite. Pour Antoine (aka Electric Rescue) « le premier objectif de cette semaine était d’arriver à rassembler les artistes » pour composer des morceaux tous ensemble, et former des duos, trios ou quatuor inédits. Prévus pour être éphémères, ces regroupements devraient perdurer « tellement les artistes ont été excités par le fait de jouer ensemble » s’enthousiaste Electric Rescue au téléphone. Interrogé lui aussi par Trax, Maxime Dangles confirme qu’il « [n’avait] pas autant rigolé depuis bien longtemps. On a chacun nos caractères bien trempés, mais avec une passion commune et un énorme respect les uns des autres ». Ainsi Wlderz, Leghau et Shekon devraient continuer leur live à huit mains dans les prochains mois, reprenant le même chemin que celui qui a fait le succès du trio Möd3rn depuis quelques années. Composé d’Electric Rescue, de Maxime Dangles et de Kmyle (remplaçant de Traumer qui se concentre désormais sur sa carrière solo) depuis 2013, Möd3rn assène un live techno, qui en quelques sorties s’est imposé comme l’une des meilleurs réponses françaises à la vague de DJ’s élevés dans les artères du Berghain. Une sorte de French Touch aux sonorités berlinoises d’Ostgut Ton.

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« C’était une expérience extraordinaire ! » témoignent Cyril et Jérémy (aka le duo Wlderz), « nous n’avions jamais bossé avec d’autres artistes de cette façon, en total jam. Pour Leghau et Shekon, c’était leur première expérience en live. Mais il y a eu un truc vraiment magique entre nous, chacun a su trouver sa place très vite, donc naturellement on a eu envie de prolonger l’expérience » confirment-ils, avec déjà un nom pour ce nouveau projet : 4rbre
.

L’année dernière, l’écurie fondée par Electric Rescue passe le cap d’une décennie d’existence et fête ça en conviant de prestigieux invités autour d’une compilation anniversaire, de Laurent Garnier à Inigo Kennedy, Zadig ou encore Johannes Heil. « Dix ans c’est bien, c’est un premier cycle pour Skryptöm. Je voulais entamer quelque chose de neuf… Et avec la super ambiance au sein du label, on s’est dit avec Maxime [Dangles] qu’il fallait nous rassembler pour un gros bœuf. Bien au-delà de mes espérances, nous y avons composé une vingtaine de morceaux ». Une nouvelle division de Skryptöm, intitulée Collective, devrait être ouverte pour l’occasion d’ici la fin de l’année. Dédié aux projets inédits et aux alliances passagères, ce sous-label s’accompagnera d’une tournée de l’équipe dans toute la France. « On a commencé à contacter des villes, mais il fallait un premier lieu pour qu’il y ait une étincelle. L’étincelle est venue de Caen ». Proche de l’équipe du festival brestois Astropolis, la bande traîne dans les cercles de l’association qui organise Nordik Impakt, le rendez-vous électronique caennais. Après ce premier test, plusieurs lieux en France devraient les accueillir dans les prochains mois, « Grenoble, Marseille, Nantes, Toulouse… Nous sommes aussi en discussion avec le Rex Club… L’idée n’est pas de faire des événements Skryptöm Collective trop souvent non-plus, deux fois par an ce serait l’idéal : ça nous permettrait de sortir des disques pour une année complète sur ce sous-label ».

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Derrière ce Collective, Electric Rescue entend créer une boule d’énergie positive pour les artistes, mais pas seulement : « il faut faire voyager ce concept, partager notre état d’esprit avec les gens, avec les enfants » ajoute-t-il. C’est dans cette optique que les artistes, entre deux compositions, se sont relayés toute la semaine à Caen pour faire part de leur expérience dans des masterclass sur le développement d’une carrière dans la musique électronique, sur le modulaire, sur le mastering… Autant de sujets que ces techniciens aux bagages bien remplis dans le milieu de la musique maîtrisent sur le bout des doigts. « Et puis l’équipe de Nordik nous a proposé d’intervenir dans un collège ! On s’est éclaté pendant deux heures avec une classe de troisième, c’était top ». Maxime Dangles raconte : « Pendant cette rencontre, un garçon a eu des étoiles dans les yeux quand on l’a mis devant un synthétiseur et une boîte à rythme. Il nous a posé dix milles questions ! Là on a eu la sensation d’avoir réussi à partager notre passion ». Et d’ajouter humblement : « c’est le minimum qu’on puisse faire étant donné la chance qu’on a de vivre à travers la musique, transmettre ». Même objectif pour les deux membres de Wlderz, qui insistent sur la transmission comme « quelque chose de très important pour permettre à cette génération de découvrir autre chose que les émissions de TV merdiques, et que la musique électronique, ce n’est pas seulement l’EDM qui passent à la radio… Et si ça peut permettre à des jeunes de se découvrir une passion, c’est incroyable ». Un regard en arrière et les yeux rivés vers l’avenir — entre transmission et innovation, voilà les deux mots clés de cette nouvelle ère qui s’ouvre à Electric Rescue et à sa famille de chez Skryptöm. 

« Autant tu as des labels qui sont protectionnistes et renfermés sur eux-mêmes, autant nous sommes plutôt à l’autre extrémité : on s’enrichit en partageant. C’est important de transmettre aux autres, aux jeunes ». Ce n’est pas la première fois que les gars de Skryptöm contribuent à former la jeunesse : foi en la pédagogie et la transmission, quelques-uns des Maxime Dangles et autres Scan X ont organisé plusieurs workshops ces dernières années, lors des éditions hiver d’Astropolis, à la Carène à Brest ou encore à Oscillations, il y a un an. « Ça peut créer des envies, de nouvelles révélations. Si la techno a existé un jour, c’est qu’il y a eu de l’échange et de la fusion entre différentes musiques… Si chacun était resté dans son coin, il n’y aurait rien eu ! En gardant tout enfermé dans ton univers, tu finis par imploser.  Et que tu échanges ou non, il y aura toujours des connards qui voudront te piquer quelque chose, il faut vivre avec. Faut arrêter d’avoir peur, les gens ont peur aujourd’hui… » conclut-il avec sagesse, et un brin d’humour.

C’est l’esprit d’équipe, version rave, qui circule dans les veines du label. « On se connaissait tous virtuellement, sur internet, et avec un peu de chance parfois on arrivait à se croiser sur quelques dates. Mais là, c’est la première fois qu’on arrive à être au même endroit au même moment » ajoute Maxime. Et la rencontre a été fructueuse entre eux, semble t-il. Electric Rescue prévient que « Skryptöm n’est jamais fermé ». Deux nouveaux noms devraient les rejoindre sur la saison 2018-2019, dont un duo originaire de Toulouse, Dyspal. Évitant de communiquer sur les alias de ses pairs, Electric Rescue assure qu’« il y en a un autre, mais… je n’ai pas envie de parler de sa première vie dans la musique. J’aime prendre des artistes qui recommencent presque de zéro, qui partent sur un nouveau projet. Kmyle, par exemple, a eu une première vie techno sur laquelle nous n’avons jamais communiqué parce que nous voulions laisser une chance à ce nouveau projet ».

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Cette pudeur, il l’a tient de sa longue expérience personnelle, d’une carrière d’une vingtaine d’années. « Quand on commence on fait pas mal de conneries, j’en ai fait énormément et j’essaie d’aider les jeunes pour qu’ils évitent de les faire. Et puis on est là pour s’entraider. Par exemple, Shekon n’a pas eu d’actualité musicale depuis un moment, donc je lui fais faire un remix pour Dyspal. Il y a toute une énergie qui te pousse au cul quand tu rentres chez nous. Il faut provoquer la chance, provoquer le destin ». Le franc-parler d’Electric Rescue, cette manière d’aller à l’essentiel, c’est un mélange de passion et de simplicité : « on se prend pas la quiche chez nous, on est normaux, on n’a pas de problème d’ego ». Skryptöm offre un vent de fraîcheur sur la sphère techno, dont la figure du DJ est trop souvent surmontée d’un piédestal.

Sur la complicité au sein de Skryptöm, Antoine émet une nuance : « pour l’instant il n’y a que des mecs, c’est un peut chiant ». Après dix ans, il n’y a toujours pas de quoi s’ennuyer chez Skryptöm, un label qui a su se réinventer sans cesse tout en gardant ses mêmes nuances de techno et son âme résolument familiale.

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