Au programme de cette fête qui s’étale sur 14 heures, plusieurs producteurs du label, dont Black Zone Myth Chant, Low Jack et Jean Carval, de la noise d’outre-tombe avec Opéra Mort et un live de Don’t DJ, qui vient de sortir l’excellent LP Musique Acéphale chez Berceuse Héroïque. Un plateau éclectique qui met à l’honneur la musique électronique qui s’épanouit dans les marges.
Black Zone Myth Chant – My Glory Will Be to Sing Eternal Law
C’est la seconde fois que Sport National pose ses machines à Asnières : le mois dernier, le collectif y avait déjà chapeauté une scène live expérimental à la soirée Co-Lab. Leur truc, c’est le “hors-club”, à commencer par une soirée en 2015 à l’usine Mozinor de Montreuil, haut lieu de la rave dans les années 90 reconverti en Fab lab dédié à l’éco-conception. Proche du collectif Le Pas-sage, le cofondateur Arnaud explique : “On veut replacer les musiques électroniques divergentes dans le contexte de la rave, de la teuf comme on la connaît, en montant des scènes dédiées à la musique expérimentale, noise, ambient, drone, abstract. […] On pense que les gens n’ont pas forcément besoin de kicks et de rythmes binaires pour pouvoir s’éclater, et on espère qu’en réinjectant ces musiques expérimentales, on ouvrira un peu certaines oreilles et qu’on replacera l’aspect “concert” au centre de la performance”
Événement Facebook
Afin de nous mettre en jambe, Jean Carval et Low Jack nous présentent le label Éditions Gravats et partagent une playlist abrasive qui fait chaud au cœur comme un pull en laine d’acier.
Jean Carval : Les Éditions Gravats sont… un label breton. La nation de la boue par excellence. Une région où tu apprends à écrire cirrhose les yeux fermés dès le CP et où des mecs au lycée, blindés d’aphtes en bouche le lundi matin te parlent avec émoi de Spiral Tribe, Perce~Oreille et d’Explore Toi. David Coquelin (PRR! PRR!) avec qui on échange pas mal de hardtek, adore particulièrement les production post-2000, méga digitales et surproduites qu’il peut se réapproprier et détourner grâce au cut-up. Il affectionne aussi le côté brutal coup de poing dans la gueule que semblent rechercher actuellement certains crews parisiens.
Pour notre part, c’est le même élan qui nous a amené à nous intéresser à l’indus, la noise ou la proto-techno, et qui nous guide au travers de la hardtek de la fin des 90’s. On aura tendance à prendre des labels dans leur globalité et à nous imprégner de morceaux que l’on peut décontextualiser et justement confondre avec des tracks d’indus, de proto-techno ou de noise. Privilégier cette lecture transversale des genres musicaux nous permet de nous écarter d’une l’histoire des musiques électroniques contée façon récit national par des limonadiers à carte cashless et autres ahuris qui ne pensent qu’au biff.
Éditions Gravats en six titres :
Breizh Sound System – Barca EP (Red Fish Records, 1998)
Il y a seulement une poignée d’EP sur ce label nantais. Des tracks pour la plupart métriques et massifs, adéquats pour égorger le cochon, excepté finalement ce track. Barré juste ce qu’il faut pour une loop druggy infernale accompagnée d’un kick. Rien de plus. On ne l’a pas mis dans la prochaine K7 Gravats mais on aurait pu. Une tape CARVAL TAREK, hommage autant à l’esprit qu’à la musique produite par tous ces mecs sur lesquels on achoppe depuis quatre ans. Elle va s’appeler NATION DE LA BOUE. Cela devait être une tape assez classique, du beatmatching pour clubs, et finalement Philippe a été chercher des nappes, des amorces de tracks et des sons abstraits pour les fondre en un mix de 40 minutes qui pourrait être un mix de noise / chaine de vélo, alors qu’amphet, c’est un mix de hardtek français.
Mindfuck – Artist Day Control (Explore Toi, 1996)
Difficile de catégoriser Explore Toi et ses multiples sous-labels en quelques mots. Mais à l’image de ce son, et bien que ça galope souvent frénétiquement à plus de 140 BPM, on retrouve pas mal chez eux cette idée de post-techno dubbée, infiltrée par des mecs comme Rabit, Mumdance, Logos et d’autres depuis deux trois ans. Une attention particulière offerte au son et au temps décomposé qu’ils exprimaient clairement en lien avec la cybernétique et la computer music. C’est hyper bien de revenir à ce genre de musique de 1996, ça t’apprend à mesurer ton emballement pour des trucs contemporains, malins certes, mais qui sont la musique de mecs qui ont fixé un rondin de bois posé au milieu d’une galerie d’art pendant 15 minutes, après s’être sustentés chez Cojean.
Gwakaï – Gwak 01 (No-Tek Records, 1998)
Un morceau de Gwakai dénommé “Gwak 01” et sorti sur une VA du label No-Tek Records. Pas grand-chose à en dire de plus, excepté qu’un CHEYENNE semble se broyer les couilles, pris entre la diffusion d’un live de Zoviet France et du footwork militaire. Parfait.
Jean-Marc F – Untitled (Just Listen Records, 1997)
Une musique métrique et mongole. Il y a un truc très rigoureux et un jusqu’au-boutisme assez fascinant qui se dégage de ses productions. Au premier abord, ses tracks ressemblent limite à de la grosse techno lambda. Bras en l’air, pumping et sensation d’être au cœur d’une rencontre impromptue de fans de Marco Carola. C’est hyper lisse et rond niveau production. Pourtant, à chaque seconde, le mec arrive à te prouver qu’il est con et généreux sans jamais être vulgaire. L’exercice du cut-up et la volonté de toujours vouloir perdre l’auditeur chez Jean-Marc F nous fait grave penser à notre pote David Coquelin. Un mec qui a lui aussi le malin plaisir en lui, en musique mais aussi dans le graphisme qu’il fait pour le label. C’est vraiment le troisième homme de Gravats, toujours malin et précis dans ses remarques. Il est ostensiblement con et fabuleux, et la musique de Jean-Marc F nous évoque la même. Jean-Marc F : ostensiblement con et fabuleux à jamais.
Various - Enregistrements Du Cavage 01 (Cavage, 1997)
On pourrait en écrire des tonnes sur Boris Domalain, l’homme derrière le label Cavage et ses multiples alias, mais on va seulement répéter plusieurs fois : Cavage, Cavage, Cavage, Cavage, Cavage ; histoire de bien marquer notre déférence à son égard. Le mec avait l’air assurément fou et c’est assurément un mec aussi versatile et brillant qu’Aphex Twin. Comme pour Yann Dub, Jean Marc F et tellement d’autres, l’intransigeance et le jusqu’au-boutisme ne semblent jamais l’avoir quitté. Ses disques valent que dalle et le mec a été incroyablement prolifique. Certains de ses tracks ressemblent à s’y méprendre aux tools ghetto house de chez L.I.E.S. des débuts, d’autres sont des tracks breakés mutants tellement sales, alors qu’il a aussi produit des morceaux de bruits qui pourraient sortir sur le label Tanzprocesz de Jo Tanz (Opéra Mort / Fusiller). Génie, voilà.
A.N.T.I. - Testimonium (Reverse Records, 2000)
Un Breton qui a notamment sorti ce disque sur le label Reverse Records de Yann Dub/Yann De Kéroullas, Breton lui aussi. Si on est complètement passés à côté à l’époque, on en était finalement pas si éloignés. Fin des années 1990 / début 2000 à Rennes, c’est l’époque où le festival des Trans Musicales occupait encore une place particulière en France, avant de virer world mondialisée et de devenir une pépinière à groupes de SMAC. Inconsciemment, ce festival a énormément compté pour nous, en cassant une lecture à papa de l’histoire de la musique par chapelles sans jamais être hautain sur les cultures urbaines (rap et électro), contrairement à beaucoup d’autres à l’époque. On avait alors la vingtaine et DJ Assault, Dizzee Rascal, Can Ox / El-P et tant d’autres débarquaient pour la première fois en France. Énormes claques. C’est aussi l’époque où Jason Forrest / Donna Summer vient défoncer la salle du Liberté et ce sentiment que tu peux ressentir sur sa musique, c’est le même que peut te mettre un morceau de ANTI. Une violence saine sur un océan de béatitude débile. Même instinct, même assurance, même bats les couilles qu’on avait l’occasion de goûter régulièrement à Rennes avec Otton Von Schirach, Kid606, Knifehandchop ou DJ /rupture, via le shop et label Switch / Peace Off. C’était parfois trop et les soirées étaient vénoss, mais après coup, c’est toujours plus inspirant que n’importe-quoi programmé en 2016 aux Trans Musicales.