Le jour où le jazzman Sun Ra est revenu de Saturne pour préparer le peuple noir à « l’ère spatiale »

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©DR
Le 25.11.2022, à 12h25
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Via sa plateforme TV5MONDEplus, la chaîne propose une sélection de films, séries, documentaires ou programmes jeunesse à consulter en ligne gratuitement. Parmi eux, une série de podcasts RFI consacrée au mouvement afrofuturiste nous invite à retracer le parcours du pharaon du free-jazz Sun Ra. Rencontre avec un musicien très haut perché. 

Par Lucas Aubry

Lorsqu’il tombe nez à nez avec une dizaine d’extra-terrestres « avec des antennes qui leur sortent des yeux et des oreilles » dans les vestiaires de son université, le jeune Herman Blount – futur Sun Ra – est un peu surpris. Les aliens ne courent pas les rues à Huntsville, Alabama, en cette fin des années 30. Le gigantesque complexe de la NASA qui trône aujourd’hui sur la plaine n’a pas encore été construit et il y a fort à parier que la faune locale, une horde de hillbillies, de rednecks, de nazis et autres adeptes du Ku Klux Klan qui opposent aux minorités la ségrégation la plus rude du pays, n’accueillerait pas ces petits bonshommes venus d’ailleurs à bras ouverts. Et c’est certainement parce qu’il n’y a pas d’avantage de place pour lui dans ce sinistre paysage que le jeune afro-américain se laisse convaincre d’accompagner ses nouveaux amis sur Saturne, où une expérience mystique l’attend, au-delà des limites de l’imagination humaine. 

« Sun Ra n’est pas un personnage déconnant », tempère la chercheuse et artiste Mawena Yehouessi dans la série de podcasts Afrofuturismes, qui explore les confins de ce courant de pensée expérimental et émancipateur, « à partir du moment où l’on identifie que le réel est bouché, la fiction est un outil qui permet de retourner la réalité, de manière très concrète ». L’imagination au pouvoir, en somme. De retour sur Terre, Herman Blount quitte son Sud-Est natal pour Chicago et devient rapidement Sun Ra, le dieu soleil, le messager. Pianiste prodige, Ra se perd un temps dans les clubs de strip-tease, les bars à jazz de seconde zone et même, le pénitencier, avant de fonder le Sun Ra Arkestra. L’ensemble de cuivres et de claviers électroniques complètement barré ne se donne aucune limite et prêche l’existence d’une galaxie lointaine, où le racisme serait inopérant, lors de grandes messes free-jazz. Une curieuse alchimie passé-futur opère entre les sonorités gospel de leurs aînés et les trouvailles technologiques maison comme le « mellophone à dimension spatiale », « l’orgue à tonalité cosmique » ou la « harpe solaire ». Côté discours, d’innombrables références à l’Égypte ancienne cotoient la vision d’un paradis futuriste, technologique et égalitaire promis au peuple noir. 

La mythologie astrofuturiste du Sun Ra Arkestra rayonne bientôt sur les seventies. Désormais installée en communauté dans un appartement de l’East Village, à Manhattan – où les légendes du jazz Miles Davis et John Coltrane viennent régulièrement passer une tête – la troupe multiplie les albums, les conférences sur « la place de l’homme noir dans le cosmos » et les concerts à travers le monde, jusqu’au pied des pyramides de Gizeh. En 1974, le groupe donne même naissance à un thriller haut perché, Space Is the Place, qui met en scène l’extra-terrestre Sun Ra et son orchestre intergalactique déjouant les pièges de la NASA et du FBI pour organiser l’exode des Afro-Américains vers l’espace, hors des territoires de la domination blanche. 

« La science-fiction, ce n’est pas que des blancs qui se battent contre des aliens, être afrofuturiste, c’est avant tout concevoir un avenir inclusif, offrir un rôle aux personnes racisées », raconte la chanteuse Mélissa Laveaux dans l’épisode 3 du podcast, consacré à l’apport essentiel des artistes au mouvement. « Je me suis branchée assez tôt à la série Star Trek, où pour la première fois à la télévision on a une femme noire qui n’est pas une bonne ou une prostituée. Quand l’actrice, Nichelle Nichols, a voulu quitter la série, Martin Luther King en personne est venu la supplier de rester ». C’est dire l’importance du concept, véritable esthétique de l’émancipation revenue sur le devant de la scène à la sortie du blockbuster Black Panther en 2018. Si Sun Ra a définitivement quitté notre planète en 1993 et que son successeur, le saxophoniste Marshall Allen (qui a guidé le Sun Ra Arkestra jusqu’à ses 98 ans !), vient également de passer de l’autre côté, nombreux sont les artistes, chercheurs et philosophes qui continuent d’imaginer d’autres voies souhaitables pour le peuple africain et ses descendants. Comme le prophète du free-jazz en son temps, Afrofuturismes – au pluriel – nous ouvre les portes de cette galaxie aux multiples définitions. 

La série de podcasts Afrofuturismes, ainsi que le reste du catalogue, est à retrouver dès maintenant sur la plateforme TV5MONDEplus.

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