Pour célébrer l’ouverture de l’exposition Electro : de Kraftwerk à Daft Punk , qui se tenait à la Philharmonie de Paris du 9 avril au 11 août, Jean-Yves Leloup, commissaire de l’exposition, a convié deux grands artistes du genre : Jeff Mills et Laurent Garnier. L’idée de Mills n’était pas de faire une master class, mais plutôt de proposer une discussion amicale. « Quand deux DJs sont ensemble », dit-il en préambule, « ils ne parlent pas comme à la presse. La conversation est plus détendue », invitant par ailleurs le public à participer à tout moment. Toute la discussion s’est tenue en français, l’interprète Xavier Combe faisant la transition vers et depuis l’anglais pour Jeff Mills. Les deux artistes ont échangé leurs visions durant 1h30, en totale décontraction, provoquant parfois des rires et ouvrant de nombreuses pistes de réflexion.
Après une courte présentation des artistes, Leloup propose directement un premier thème : que représente la techno ? Laurent Garnier remarque tout d’abord qu’il préfère ce terme à celui d’électro, certes plus spécifique, mais aussi plus « politiquement correct ». Pour lui, cette musique a toujours porté un imaginaire futuriste, tourné vers les nouvelles machines. Mills va plus loin. Selon lui, il est encore trop tôt pour offrir une définition de la techno, car c’est un style est pleine effervescence dont les fondateurs sont toujours actifs. Pour lui, il s’agit véritablement d’un état d’esprit consistant à se tourner vers le futur. « Il y en a des traces dans des groupes de funk des années 70/80 comme Earth, Wind and Fire. La musique était différente, mais leur état d’esprit était ce que j’appelle techno ».
Après une courte présentation des artistes, Leloup propose directement un premier thème : que représente la techno ? Laurent Garnier remarque tout Rythmée par les différences, mais aussi une certaine complémentarité entre les deux artistes, la discussion s’oriente vers leurs parcours respectifs. Mills insiste notamment sur le contexte particulier de Detroit. Durant sa jeunesse, raconte t-il, il y avait un énorme réseau de distribution. « On ne recevait pas certains 45 tours, on les recevait tous. Plus tard, Detroit a décliné, et cette distribution aussi. Mais sans le savoir, dès notre enfance, on était devenus des collectionneurs ». En arrivant en France dans les années 80, Mills a constaté un décalage. Demandant à Laurent Garnier qui étaient les anciennes générations de DJ, le pionnier français lui avait alors répondu qu’il n’y en avait pas : ils étaient les premiers.
Subitement, Jeff Mills interroge son confrère : « Qu’est-ce qui fait un master DJ ? ». D’abord surpris et touché, Laurent Garnier apporte cette réponse : « C’est beaucoup d’observation. La base de notre métier, c’est de regarder les gens, les sourires, de comprendre sa piste, l’endroit, l’heure, le son. Avec tout ça, il faut essayer de raconter une jolie histoire où les gens vont complètement s’abandonner. C’est ça le truc de la danse : c’est d’aller dans un lieu, et d’oublier tout ce qui se passe ailleurs. Il faut toujours essayer de choper ce moment pour réussir à faire basculer la salle. Et c’est jamais gagné ».
Garnier explique ensuite ce qui le différencie de Mills. Si ce dernier, après un set moins bon qu’à l’accoutumée, passe très vite à autre chose, « moi ça me pourrit une semaine », confie t-il. Rieur, The Wizard nuance : il sait que de toute façon, quelqu’un trouvera toujours quelque chose à redire. « L’important, c’est d’être à l’aise. Si on se sent obligé de faire telle ou telle chose pour plaire au public, ça peut être une prison. Je sentais ça au début de ma carrière. Au fil du temps, je me suis senti de plus en plus à l’aise. On ne fait pas un travail de précision : notre travail, c’est de vous faire sentir bien pendant un moment, pour que vous changiez d’état pendant quelques secondes ». Garnier résume en quelques mots : « l’important, c’est la sincérité ».
Autre décalage entre la France et États-Unis : la techno n’a pas vraiment été prophète en son pays, Jeff Mills s’étonnant que cette musique n’ait que très peu séduit les afro-américains. « Avec Mad Mike, on avait envoyé deux-cents lettres et échantillons de notre musique à des magazines, en expliquant ce qu’on faisait. Et on n’a eu absolument aucune réponse. Mais l’Amérique a une histoire compliquée avec la musique, ce n’est pas la première chose étrange qui s’y est passée, et ce ne sera sûrement pas la dernière, donc on est passé à autre chose ». Dans la même veine, Laurent Garnier s’amuse des fantasmes français. « Je me rappelle très bien quand on avait fait venir Lil’ Louis au Rex : FG avait joué de la musique de Chicago toute la journée tellement c’était un événement. Et en fait, là-bas, il ne se passait pas grand-chose, le maire avait fermé les clubs très rapidement ». Jean-Yves Leloup confirme : « Quand je suis allé à Detroit pour préparer l’exposition, je n’ai trouvé presque aucun club ».
La discussion bifurque lorsqu’un membre du public s’interroge sur la pertinence d’amener la musique électronique dans un musée. Les deux artistes, d’une seule voix, réfutent : ils ont toujours voulu porter la techno ailleurs que sur la piste de danse pour mieux la diffuser. Pour Leloup, « l’exposition est juste une manière d’exprimer l’électro autre que la rave, tout en puisant dans cette énergie ».
Jeff Mills voit cela comme une expansion. « Chaque fois que je confronte la musique électronique à autre chose, j’apprends quelque chose. Par exemple si j’écoute un orchestre, je vais essayer d’imiter cette façon de jouer de la flûte ou du basson avec mes machines. Et chaque fois que tu fais ce contact, tu enrichis, tu agrandis la musique électronique. Et tu dois le faire : si tu fais toujours les mêmes choses, avec les mêmes machines, dans les mêmes clubs, tu perds. Mais si tu y parviens, les possibilités sont infinies ». S’ensuit alors une réflexion sur le futur de l’électro. Laurent Garnier a un regret : « J’ai l’impression de connaître tous les codes de ce que j’écoute aujourd’hui. Il y a des nouveaux disques que j’aime beaucoup, mais rien de fondamentalement nouveau. Il faudrait peut-être changer de machines, ce serait intéressant d’entendre des textures nouvelles. »
Jeff Mills ne peut qu’acquiescer. « J’adorerai pouvoir ouvrir la porte d’un club et ne pas reconnaître la musique que j’entends. La musique devrait être plus exotique. Les gens aussi d’ailleurs. À l’heure actuelle, on ne gagne pas en se démarquant, mais en étant similaire. Mais j’ai bon espoir, je pense que les choses vont changer radicalement pour le meilleur. On ne vivra peut-être pas ça à notre époque, mais j’espère que ça sera dans un futur proche. »
C’est sur cette note pleine d’espoir que s’achève une discussion peut-être trop brève, tant ces artistes ont à apporter sur le sujet.