Le jour où Carl Craig a sorti un édit de Laurent Garnier sans lui demander son accord

Écrit par Alexis Tytelman
Photo de couverture : ©D.R.
Le 14.03.2019, à 10h27
04 MIN LI-
RE
©D.R.
Écrit par Alexis Tytelman
Photo de couverture : ©D.R.
Ping Pong, agence artistique légendaire créée en 1998 et rendue célèbre par ses collaborations avec le label Ninja Tune, fête ses 20 ans à La Bellevilloise ce vendredi 15 mars. Retour sur vingt années de musiques électroniques à travers cinq anecdotes racontées par le fondateur Jaïs Elalouf, plus connu sous son nom de scène DJ Oof Cinémix.

Fondée en 1998, l’agence de marketing culturel Ping Pong est devenue le partenaire de route de labels comme Ninja Tune, et a contribué au succès d’artistes tels que Bonobo, Gotan Project, Birdy Nam Nam, Gilles Peterson et Santigold. À l’occasion du vingtième anniversaire de l’agence – qui soufflera ses bougies à La Bellevilloise vendredi 15 mars –, Jaïs Elalouf, fondateur de l’agence, accompagnateur d’artistes, mais aussi DJ (et pionnier du VJing en France grâce à ses “Cinémix”), revient en cinq anecdotes exclusives sur 20 années de musique électronique en France. Vendredi 15 mars, l’agence fêtera son vingtième anniversaire à La Bellevilloise en compagnie de DJ Food, CloZee, Nickodemusroscius, et autres lives, performances et expositions…

Carl Craig et Laurent Garnier sur Cinémix

En 2003, on avait ce projet chez Ping Pong de sortir une compilation à partir des plus grandes bandes originales de films remixées. En tant que producteur exécutif pour Universal Jazz, j’étais chargé de contacter pleins d’artistes électro qui me paraissaient cohérent avec ces BO monstrueuses : Michel Magne, Ennio Morricone, Gainsbourg…. Que les plus grands. Cinémix est devenu un projet tellement pharaonique que j’ai dû refuser un remix de Laurent Garnier. Ça paraît surprenant comme ça, mais je ne le trouvais pas adapté à cette époque-là. Je ne m’attendais pas à ce qu’il m’envoie un morceau downtempo/lounge. Il me fallait quelque chose de plus clash. J’ai essayé d’explorer plusieurs esthétiques : il y avait de l’électro-clash, j’avais même invité DJ Patife, un des boss de la drum’n’bass brésilienne ! Ce que m’a envoyé Garnier n’allait pas avec ce que je voulais à l’époque, c’était trop calme. Il a fini par le sortir dans son album The Cloud Making Machine (2005). Dans ce même cadre, Carl Craig m’envoie un remix génial utilisant le sample de Louis de Funès faisant du judo dans L’homme-orchestre. Garnier, qui avait l’habitude de passer à notre bureau chercher des kilos de vinyles, est resté bouche bée en l’écoutant.  Il m’a supplié de lui donner le remix pour en faire un edit. Deux semaines plus tard il m’annonce que c’est énorme, que les gens sont hystériques quand ils l’écoutent en club. Je lui dis de passer au Rex voir Carl Craig qui lui confie que c’est le meilleur titre qu’il ait fait. Deux jours après, je reçois un nouveau remix de Carl Craig beaucoup moins bien, mais il décide de le sortir un mois après avec l’édit de Garnier, sans même lui en parler. Ça deviendra « Très Demented », un des plus gros tubes techno de cette année-là. 

Folie au Pulp avec Peaches

Quand on a sorti le disque The Teaches of Peaches (2000) de Peaches, on a eu la chance d’avoir un article élogieux dans Le Monde. On en a profité pour la connecter avec la communauté LGBT parisienne et elle est venue jouer cet album au Pulp, le mythique club lesbien du boulevard Poissonnière. J’étais à la soirée, et toute le public LGBT de l’époque – qui y allait le mercredi soir – était archi-fan ! Ce qui plaisait, je crois, c’était le coté provoc’ poussé à fond. Elle jetait des boissons (et des tampons) dans le public, se frottait à tout le monde, faisait du stage-diving à poil alors qu’il n’y avait pas de hauteur de plafond et qu’il faisait 50 degrés, hurlait au micro…C’était un peu l’électro clash avant l’heure. Une soirée inoubliable.

Ellen Allien et Modeselektor 

Pour moi ces deux artistes sont très liés. Je m’occupais du label d’Ellen – Bpitch Control – pendant assez longtemps. On s’occupait notamment de sortir les premiers disques de Paul Karlkbrenner au moment où personne ne voulait le produire. Un peu comme Kamasi Washington avec Ninja Tune au début. J’ai dû les supplier de bosser cet album. En tout cas, Ellen et moi avions un super feeling et, quand Modeselektor est arrivé, on a tout de suite adoré. C’était frais et différent de ce qui sortait. On a vite sympathisé, d’ailleurs les gars TTC, qui bossaient déjà avec nous, étaient super fan d’eux… et inversement. Tout ça s’est donc goupillé très naturellement. Ils ont fait des titres ensembles sur leurs premiers albums. Pour moi, ces artistes méritent plus de succès qu’ils n’en ont déjà. Leur musique est intemporelle.

Amon Tobin à l’acousmonium du GRM

C’est un de nos artistes les plus célèbres mais on n’a jamais réussi à le faire passer en radio. Dans ce genre de cas, on trouve des astuces. Vers 2007, on a donc organisé une écoute à la Maison de la Radio, dans l’acousmonium du GRM. À l’époque, il était adulé par les gens des free parties alors que sa musique n’avait rien à voir avec la teuf. Il a touché un autre public grâce à cette écoute. On a eu toute la presse, même Le Monde était là ! Ça a été un tournant entre le Amon Tobin très drum’n’bass et la coqueluche des médias que l’on connait. C’était grandiose. Pour l’anecdote, il y avait un petit cocktail où j’exposais tous mes vinyles d’Amon. On me les a tous volé ! Et nous n’étions qu’entre journalistes…

Concert volcanique avec Roots Manuva 

Tout le monde connait Roots Manuva en tant que rappeur, et on oublie un peu vite le côté très électro de ses productions, et ce depuisses débuts. Si on enlève le rap, c’est de l’électro très avant-gardiste. Quand il a cartonné en Angleterre, on l’a bien boosté en France. Je me suis occupé de tous ses albums, ça en fait un paquet. Il en sort à peu près un par an, et ils sont tous bons, constants dans la qualité. Pour les 10 ans de Ping Pong, j’avais organisé deux soirées Ninja Tune au Bataclan. Tout le monde attendait Roots. Un photographe assez connu m’a raconté qu’au début du concert, la température du lieu est montée de 10 degrés en 5 mn, si bien qu’il ne pouvait même plus prendre de photos à cause de l’humidité sur l’objectif. À 4 heures du matin, le climax de la soirée, le rappeur spoken-word Mike Ladd arrive. Il devait jouer pendant une demi-heure. Au bout de dix minutes, il a tourné le dos au public et a mis de la musique hyper-expérimentale, l’exact inverse de Roots et, finalement, tout ce qu’il ne faut pas faire, comme s’il avait fait exprès. Il a vidé la salle en 20 minutes et je n’ai jamais compris pourquoi il avait fait ça. Peut-être qu’il était déprimé où qu’il a juste pété les plombs, qui sait ?

Toutes les informations sur la soirée d’anniversaire de Ping Pong sont à retrouver sur la page facebook de l’évènement.

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant