Le Havre : comment la ville la plus punk de France s’ouvre à la techno

Écrit par Lucas Javelle
Photo de couverture : ©Dadu Jones
Le 29.09.2017, à 17h15
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©Dadu Jones
Écrit par Lucas Javelle
Photo de couverture : ©Dadu Jones
Absente du palmarès des villes fêtardes de France, Le Havre présente tout de même un beau potentiel avec son agglomération de 200 000 personnes. À l’occasion du festival Ouest Park, qui aura lieu du 6 au 8 octobre prochain en plein cœur de la Porte Océane, nous sommes allés questionner Franck Testaert, directeur dudit festival et du Tetris, Scène de Musiques Actuelles de France (Smac), sur la fête havraise.

Le Havre, c’est avant tout un esprit punk, qui n’aura jamais réellement disparu. Avec son décor industriel et sa zone portuaire, la ville aux mille cheminées n’est à première vue pas très réputée pour sa vie nocturne et ses activités culturelles dédiées à la musique électronique. Pourtant, avec un paysage pareil, on ne peut qu’imaginer des grosses teufs bien bourrines au milieu des containers.

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À quoi ressemble la vie nocturne au Havre ?

On a toujours vécu dedans. En 1992, on a monté un squat où sont présents aujourd’hui les bureaux de l’association Papa’s Production. Au fil des années, il y a eu un développement, sur tout le territoire français, des Smac. Il y a tout un emmerdement avec les concerts dans les bars, le bruit généré, l’alcool, sans aller jusqu’au point de la drogue… Ça s’est un petit peu crispé. Donc ce qu’on s’est dit, c’était : « OK, les squats sont interdits, faire des concerts dans les bars, ça devient compliqué… On va monter un festival. On va le créer, on va aller chercher des sous, on va payer des gens. » C’est comme ça qu’est né le festival Ouest Park. Et puis en parallèle, on a monté une radio hertzienne qui n’est pratiquement que musicale : Ouest Track Radio. Quand t’écoutes les émissions, tu te rends compte qu’il y a plein de gens au Havre qui sont branchés musique, peu importe son esthétique. Là, en ce moment, avec les 500 ans du Havre, ça a boosté un peu la vision que les gens ont de la ville, et ça nous a bien servis.

“On est des branleurs, faut qu’on parle fort, faut qu’on la ramène, qu’on ait toujours raison, que ça discute. C’est une ville vive, pas molle.”

Comment tu la définirais en un mot ?

« Vive ». Ou « punk ». Je l’aime bien pour ça, la vie nocturne au Havre. Quel que soit le style, elle est quand même bien punk. Il y a un truc un peu rude chez nous, lié à la zone portuaire, à la ville ouvrière. On est assez grande gueule au Havre. On est des branleurs, faut qu’on parle fort, faut qu’on la ramène, qu’on ait toujours raison, que ça discute. C’est une ville vive, pas molle. T’as des villes un peu bobo, un peu bourgeoises, que tu repères tout de suite. Ce n’est pas notre cas.

Quelle est la place de la musique électronique dans la ville ?

Ça ne fonctionne pas mal, même si on n’est pas aussi pointus que le Cargö à Caen par exemple. Dernièrement, on a fait un truc avec le NAME Festival. Sur des trucs électro comme Vitalic, on a fait complet aussi. Le problème des musiques électroniques, c’est que ça devient de plus en plus des usines à gaz. Moi j’adore, mais quand tu fais venir du Vitalic avec un échafaudage, ce n’est pas l’asso du coin qui peut le faire. Ils sont tous foufous ─ même dans le rap avec des artistes comme Nekfeu ─, ils arrivent avec des panneaux à LED, des trucs de dingue… Qui peut faire ça ici ? Donc quand ça tombe chez nous, on est content. Sur Le Havre, pour l’instant, il n’y a personne sur qui l’on puisse s’appuyer véritablement pour ce genre. Certains le font, mais il n’y a pas de grosse association ou de gros collectif qui peuvent venir te dire : « Bon OK, moi je te monte une méga teuf de 10 000 personnes. » Ceux qui programment, on les accueille, et on les pousse à aller vers une salle de 4 000, mais ça reste compliqué…

C’est un peu le rôle d’une Smac, non ?

Dans le cahier des charges des Smac, tu te dois d’être éclectique dans ta programmation. Tout le jeu, c’est d’aller chercher des trucs pointus ─ donc de qualité. Quand un groupe est bon, tout le monde est d’accord. Même si t’aimes pas la musique électronique, quand t’arrives aux Trans Musicales, si tu vois un vrai show, tout le monde se dit : « Ah putain ! » Nous, notre rôle, c’est de respecter ce boulot sur l’ensemble de l’esthétique actuelle. C’est-à-dire que toutes les musiques, sauf classique ou contemporaine, soient représentées. Après on essaye de travailler avec tout le monde. On peut passer d’une musique traditionnelle comme le biniou breton à une scène électronique hyper pointue berlinoise qui va faire venir dix personnes. Pareil pour le rap, pour le rock, la pop, etc. On essaye de balayer l’ensemble de ce qui se fait et de chercher les pépites à chaque endroit. De temps en temps, on fait de la grosse cavalerie, comme tout le monde. Mais le vrai travail, il est plus d’aller creuser. Quand on ne sait pas, on demande. Et c’est pareil pour tous les genres, on se réfère à ceux qui s’y connaissent le plus parce que nous, on ne peut pas tout connaître.

“Ce qui finira peut-être par poser problème pour le théâtre n’en posera pas pour la musique, dans dix ou quinze ans.”

Est-ce que vous recevez des aides en tant que Smac ?

Toutes les salles de concert labellisées Smac par l’État ont obligatoirement des subventions. Donc, la ville, qui est le premier pourvoyeur chez nous, nous donne un coup de main, puis le département et ensuite la région. On est très aidé aussi par le Centre Nationale de la Variété pour tout ce qui est résidence d’artistes. À chaque fois, on a des aides, parce que ce qu’on peut organiser dépasse notre budget. Déjà, il y a une obligation de payer les gens ─ ce qui est quand même la moindre des choses, et que tu ne retrouves pas dans les bars ─ et puis deuxièmement, on balaye un champ. On va avoir une ligne artistique qui permet de chercher le meilleur dans chaque niche et chaque courant musical, et de creuser. Et comme l’État comprend bien que c’est dur de remplir des salles, il nous dit : « Bon, comme vous faites preuve de qualité, et que votre modèle économique ne peut pas atteindre un équilibre, on vous aide. » Comme les opéras. Mais le budget Smac en France, c’est que dalle comparé au budget de la musique classique ou des scènes nationales de théâtre. Heureusement, on est quand même de plus en plus aidés, parce que la musique est un gros vecteur de communication pour les politiques, et ça ils l’ont bien compris. Ce qui finira peut-être par poser problème pour le théâtre n’en posera pas pour la musique, dans dix ou quinze ans.

Le Havre n’est pas une ville étudiante de réputation, alors que ce public est important pour ce genre musical. Ça se ressent ?

On est quand même une grosse ville, avec des petites villes autour. On est la 11e ville de France, donc 200 000 personnes. Si tu veux, rien que là, par rapport à Rouen et à Caen, on a quand même un gros bassin de jeunes. Et effectivement pas des masses d’étudiants. Même si cette culture est en train de se développer puisqu’on a récupéré Sciences Po. Le monde étudiant, on le travaille au corps, mais c’est un boulot compliqué. Là je te parle de ceux qui ont le bac, et qui sont en fac de droit, de médecine, Sciences Po, la marine marchande, management… On les incite à venir découvrir des trucs qu’ils n’écouteraient pas dans une playlist Spotify.

Le gros paysage industriel du Havre, ça ne vous donne pas envie de faire une grosse teuf techno en accord avec le décor ?

Si, si. On y pense. Le Tetris est tout neuf, on a à peine trois ans. Mais c’est mon rêve en fait : faire des mégas teufs. Je regarde vachement ce qui se fait sur Berlin, ou dans des festivals en pleine zone portuaire en travers des usines. Ça me brancherait bien. C’est un truc auquel on a pensé, mais c’est lourd financièrement, et c’est beaucoup de temps de travail. Pour l’instant, c’est dans un coin de la tête, on verra ce qui va se passer plus tard. Tout dépend aussi si Un Été au Havre continue. Pour le coup, on a quand même organisé quatre teufs électro dans les hangars du port. Je trouvais que l’idée était bien de faire des trucs techno dans ces lieux. On les aime bien nos usines, mine de rien. Je ne vais pas dire qu’une usine la nuit, c’est beau, mais cette zone imprègne vachement le cœur des Havrais, que ça soit les rockers des années 80 aux jeunes rappeurs qui sont là : tout le monde en parle.

Comment ça se passe depuis le départ du Maire, M. Édouard Philippe ?

Je pense que la culture au Havre s’est ancrée dans l’ADN des gens, y compris celui de la mairie. On verra ce que le nouveau maire va décider. Il va déjà falloir déterminer la suite après les 500 ans du Havre, qui s’arrêtent le 8 octobre avec Ouest Park. On clôture cette célébration, mais quid de 2018, 2019, 2020 ? Tout le monde est un peu tourné vers la mairie en mode « Eh monsieur le maire, il se passe quoi maintenant ? » Pareil sur le plan musique, est-ce que ce ne serait pas le moment de réfléchir ? Est-ce qu’on peut aller plus loin que le plan actuel ? Après, qu’Édouard Philippe soit devenu premier ministre, c’est très bien. Déjà, les éoliennes reviennent, et le canal qui relie Anvers et Rotterdam (Canal de l’Escaut au Rhin, NDLR) pour les péniches à Paris ─ qui avait un peu signé la mort du Havre ─ a été arrêté. Maintenant, localement, on attend tous de voir ce que ça va donner.

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