Laurent Garnier : “Je trouve triste de penser qu’à partir du moment où ça ne sort pas en vinyle, c’est mauvais.”

Écrit par Trax Magazine
Le 16.02.2016, à 12h44
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Écrit par Trax Magazine
Avec la sortie de son bouquin mis à jour, on s’était mis à plus parler de Laurent Garnier pour ses faits d’armes historiques que pour sa musique. C’était sous estimer cet animal qui ne s’arrête jamais de créer. Un programme 2014 qui part sur les chapeaux de roues : un premier EP à Chicago, un troisième à Berlin, et un autre, entre les deux, encore mystérieux à l’heure d’écrire ces pages… Garnier c’est une histoire, un son, et une énergie folle qui n’arrêtera jamais de nous faire danser ! Propos recueillis par Antoine Buffard, en 2014

Note de la rédaction : Cet article, paru il a deux ans dans Trax, est l’objet depuis quelques jours d’un regain d’intérêt. Nous avons donc décidé de le republier dans son intégralité. laurent garnier

Ton prochain EP sort sur Still Music, c’est arrive par ton amitié avec Jerome Derradji ?

Oui complètement ! J’ai commencé à faire des morceaux extrêmement Chicago pour un EP virtuel sans du tout penser à Jerome et à Still Music. Je n’avais pas envie de me prendre la tête à bosser sur un album, je me suis plutôt dis que j’allais faire des maxis. A l’époque où je travaillais là dessus je suis parti jouer à Chicago. Jerome est un pote, je le connais depuis super longtemps. On a diné ensemble un soir, je lui ai expliqué ce que je faisais. Le soir même il est venu me voir quand je jouais un des track pour me demander ce que c’était, puis il a eu envie de le sortir.


“C’est quoi le but des DJs ? C’est de se branler et de jouer des vinyles pourraves parce qu’il y en a que 200 ? Ou alors est-ce que c’est de jouer la meilleure musique du monde et de foutre une gifle aux gens qui sont en face de toi.”

Ça s’est fait naturellement, comme toutes les sorties que j’ai faites dernièrement. Ça c’est passé de la même façon avec Pedro (Winter, ndlr. Je ne fais pas de shopping. Je fais de la musique sans me prendre la tête. Ensuite on a commencé à beaucoup en parler avec Jerome et ce que j’aime bien avec lui c’est qu’il est très réactif. Avec lui tu peux travailler vite et travailler bien. J’aime bien ce genre de relation là. On a avancé ensemble en discutant et en se faisant écouter des choses.


Je fais de la musique, je parle avec des gens et ensuite je rentre dans leur univers. Je m’adapte totalement, c’est ça une collaboration. Ce n’est pas toi qui arrive quelque par en disant « je veux prendre de la tune et vous faites comme j’ai envie, c’est moi l’artiste ». L’idée c’est d’aller dans des univers différents et travailler comme les gens ont l’habitude de travailler. C’est une forme de respect aussi de faire ce genre de choses, et c’est super excitant de faire partie de tout ça. Là on a signé sur trois labels différents et pas un ne travaille de la même façon.




J’adore l’album de Moderat. Ils sont très rigoureux, beaucoup plus que tous les autres. Le côté allemand. Par exemple, pour le deuxième EP les morceaux ne sont pas masterisés et les remixes pas terminés alors qu’il doit sortir fin février. Celui pour 50Weapons est masterisé depuis le mois de décembre. Il leur fallait les masters six mois avant, ça ne rigole pas du tout ! C’est vraiment une autre façon de travailler et j’aime bien ça. Tant que tu arrives à rentrer dans leur emploi du temps ça marche bien.

 
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Et la façon de travailler de Jerome Derradji c’est comment ?

J’adore travailler avec Jerome parce qu’on a une vraie relation, qu’il donne systématiquement des feedbacks. Avec Jerome, et avec Gernot de Modeselektor c’est un peu comme ça même si c’est plus fort avec Jerome, je lui envoie un mail à n’importe quel moment et en une heure j’ai une réponse. Il est toujours « on the case ». Il est super présent et tu as l’impression de travailler avec un mec qui surkiff. Il est tellement enthousiaste, c’est un grand bonheur de travailler avec des gens comme ça, ça fait un bien fou.

Comment ça se passe pour eux à Chicago ? On a toujours l’impression, vu de France, que ces artistes qui sont des stars ici, là bas vivent dans une ambiance très ghetto, possession de drogues, d’armes, etc.

laurent garnier

Ils sont tous un peu barjots ! Jerome c’est un français super cool. Je pense que c’est un des seuls là bas qui arrive à rendre une espèce d’unité entre tout le monde. Il va voir tout le monde et arrive à sortir des compilations avec des vieux morceaux. Même s’il est français et pas black, les gens lui font assez confiance. Il se démerde comme un chef avec sa gentillesse et son enthousiasme. Il vient de sortir le Westbrook de Bam Bam et DJ Armando. Chapeau parce que personne n’y arrive ou personne ne le fait. Ou alors les gens lâchent en chemin parce que c’est trop compliqué. Les gens là-bas ne font pas non plus de grands efforts pour se mélanger avec les autres. Il y a un coté très hardcore américain ; ils nous regardent un peu comme des ennemis ou des poules au œufs d’or avec qui ils vont pouvoir prendre des tunes et rentrer chez eux.


La rencontre avec le public à Chicago se fait différemment ?

J’ai du y jouer huit ou neuf fois. Dont six soirées de merde, une pas mal et une bien la dernière fois. J’y retourne au mois d’avril et a mon avis dans le bon club, le Smart Bar. De toute façon aux Etats Unis, ils n’ont pas du tout la même culture que nous de la nuit. Ça n’a rien à voir. Entre les Anglais, les Français, les Belges, les Espagnols et tout, on a un peu plus l’habitude de la nuit. Il y a une culture beaucoup développée la nuit. Là-bas ils sortent pour chopper des meufs. Il y a pas longtemps tu, les voyais encore faire du break dancing dans les clubs techno.

Tu as connu l’époque où c’était une lutte pour convaincre le public. Même en Europe les gens dansaient du rock sur de la techno…

Tu peux encore connaître ça aujourd’hui si tu te retrouves avec un DJ d’EDM. J’ai eu l’expérience ces dernières années sur deux évènements bien pourris. C’est impossible de jouer après ce genre de set. Je me retrouve avec Martin Garrix la semaine prochaine… Dans ces cas là, je joue avant où je ne joue pas. Et je vais prendre un malin plaisir à jouer des trucs qui vont bien les faire chier. Des trucs bien crados et bien zarbis. Parfois tu te retrouves devant le fait accompli et c’est trop tard pour dire non.


Par Flavien Prioreau

Ces derniers temps on voit que tu prends un grand plaisir à jouer en France, tu parlais de ton expérience de la Machine dans notre numéro de novembre et tu allais jouer à Concrete. Ça s’est passé comment ?

C’était incroyable, je me suis éclaté. Et je pense que les gens se sont éclatés. Aujourd’hui la fête est en train de ré-exploser. Par contre, il y a toujours des espèces d’ayatollahs super fermés d’esprit. Qui quand tu fais presser tes vinyles en plus de 300 exemplaires trouvent que ce n’est plus assez underground. Tu as envie de leur dire « mais est-ce que vous avez bien compris l’histoire de ce qui s’est passé ? ». Ils vont trouver que Derrick May c’est underground alors que son truc à lui c’était de vendre le plus de disques pour gagner le plus de pognon possible ! Ils ne connaissent même pas l’histoire des gens qu’ils vénèrent.

C’est quoi le but des DJs ? C’est de se branler et de jouer des vinyles pourraves parce qu’il y en a que 200 ? Ou alors est-ce que c’est de jouer la meilleure musique du monde et de foutre une gifle aux gens qui sont en face de toi. Je trouve aussi extrêmement triste de penser qu’à partir du moment où ça ne sort pas en vinyle c’est mauvais. Il faut qu’ils se réveillent les mecs, parce qu’il y a des millions de trucs qui déboitent et qui ne sortent pas en vinyles. La chance qu’on a aujourd’hui c’est de pouvoir écouter tellement de choses. Moi j’achète du vinyle, j’achète de tout. J’achète tout ce qui me plait. Quand j’achète un morceau qui me plait, qui n’existe qu’en vinyle et que je le transpose sur ma clé USB, le morceau devient mauvais alors ? C’est intéressant comme point de vue… On s’est quand même battu pendant quinze ans pour la liberté, pour faire comprendre aux gens qu’on pouvait faire de la musique en utilisant autre chose que des instruments de musique, c’est à dire des ordinateurs ou des choses comme ça, ça a été notre grande baston, et aujourd’hui les mecs sont en train de se ré-enfermer. Ils régressent complètement ! Je comprends que le vinyle soit excitant pour un gamin de vingt ans aujourd’hui qui n’en a peut être jamais eu chez lui mais moi j’en ai trimballé pendant vingt ans, j’ai 55000 vinyles à la maison, je n’ai aucune envie de continuer de me dire que je peux les perdre dans l’avion. La technologie me permet d’emmener l’équivalent de ma collection sans me casser le dos. Je veux juste jouer de la musique et j’en fais beaucoup en ce moment. Je suis en studio et je m’amuse.

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