La techno (re)découvre l’esprit hippie au festival Illusion de Montréal

Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Sarah De Ville Marie
Le 20.09.2017, à 17h06
05 MIN LI-
RE
©Sarah De Ville Marie
Écrit par Trax Magazine
Photo de couverture : ©Sarah De Ville Marie
Organisé par le collectif Co-Incidences et No Bass No Fun (NBNF), Illusion ─ dernier né des festivals de musique électronique québécois ─ a pour sa première édition investi la petite ville de Saint-Samuel, située à 1h30 de Montréal. Du 18 au 20 août, les 400 participants ont pu apprécier 48 heures de techno et de psytrance sans interruption, au cœur d’un site agricole bucolique bordé par un lac, une rivière et une forêt. Séduit par l’initiative, Trax était de la partie.


Par Elsa Fortant

Zepha, Urubu, Sara Dopstar, Maudite Machine, Kris Tin, Chiino, Rafa Pineda, Akibel… Les 45 DJ’s invités ─ avec une parité quasi respectée, précisons-le ─ sont tous issus de la scène locale québécoise (Montréal) et ontarienne (Toronto). « La programmation représente la multiculturalité de Montréal et de ses influences anglophone, francophone et hispanophone, explique Nicolas Beaudry, co-fondateur de NBNF. Illusion, c’est aussi le moyen de mettre en avant des artistes qui n’ont pas l’opportunité de jouer alors qu’ils le méritent. Je pense par exemple au collectif techno Power to the people dont fait partie Arkid-M. On essaye d’ouvrir la scène. » Et avec de la techno, de la psytrance, de la deep house ou encore de la drum’n’bass, l’ouverture est complète.

Illusion réussit le pari d’accompagner la scène locale en lui offrant une tribune sans tomber dans l’entre-soi ou bien se limiter à la musique. Ainsi les festivaliers ont pu découvrir le travail d’artistes québécois de tout poil : peintres sur toile et sur corps, danseurs, sculpteurs, créateurs de bijoux ou encore marionnettistes. Invitation à éveiller ses sens dans la yourte mongole avec des activités de groupe comme des cours de yoga, des ateliers autour du thé ou de techniques de massage… Hippie, me direz-vous ? « Dans l’esprit oui, mais le terme est un peu trop galvaudé, continue Nicolas. C’est une question de curiosité, d’ouverture d’esprit, d’échange, de partage, de découverte. C’est avec ces valeurs qu’on a construit le cadre du festival, après c’est aux gens de se prendre en main et de se créer leur expérience. »

illusion

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les organisateurs ont mis du cœur à l’ouvrage pour proposer cet environnement immersif unique. Les bénévoles ont passé plus de quatre mois sur le site à le défricher, le nettoyer, pour y créer un espace camping et des dancefloors praticables, ce qui leur a permis d’obtenir la location du terrain à moindre coût. Dans cet esprit DIY et de partage de compétences, ils font tout eux-mêmes, de la plus petite décoration à la construction du bar en passant par celle des structures qui abritent les stages. « On a monté une scène, des kiosques, planté des poteaux de 6m50 grâce à l’aide d’un ingénieur civil qui fait partie du collectif pour installer l’électricité, on a appris à monter une yourte mongole, fabriquer un toit, détaille Mokrane Ouzane, cofondateur de Co-Incidence, à l’initiative d’Illusion. On n’a pas de budget mais on a accès à du bois et des outils, on fait de la récupération, du troc, des fins de pots de peinture… » Du Système D pour un résultat impressionnant de professionnalisme.

L’esprit communautaire qui plane sur cet événement se retrouve à plusieurs niveaux. Notamment dans la volonté de réunir des profils de publics qui n’ont pas l’habitude de se croiser. « C’est l’idée qu’au même endroit peuvent se retrouver tant le technoïde, le fan du Stereo (mythique club d’afterhours montréalais, ndlr) que l’aficionado de psytrance, développe Mokrane. Il n’y a pas vraiment de festival qui réunit tout le monde, même si AIM se diversifie, Totem a une crowd techno très Canada et Eclipse est plus orienté psy et pioche un peu dans la scène locale techno. On voulait mélanger tout ce monde-là, c’était une manière de rassembler nos potes. » 

illusion

Au-delà de la qualité du line-up et de la beauté du site, ce qui fait la force d’Illusion, c’est sa forme. Participer à ce rassemblement, c’est entrer dans un espace de liberté, flirtant parfois avec le libertaire, qui encourage l’autonomie et l’autogestion du public. Concrètement, les festivaliers sont encouragés à découvrir le site par eux-mêmes, à s’y perdre, à se baigner si bon leur semble. La sécurité est bien évidemment présente mais pas oppressante. L’absence d’éclairages entre le camping et le site amène une dynamique différente, plus propice à la rencontre de l’inconnu à la lampe frontale. Autant d’éléments qui rappellent à la génération free party présente sur place de beaux souvenirs de jeunesse.

Sans verser dans le cliché, il apparaît évident que les artistes, organisateurs et autres personnes impliquées dans le projet sont animés par la passion et l’envie de partager. Bien loin d’une logique commerciale aujourd’hui banalisée, la plupart des DJ’s ont naturellement proposé de baisser leurs cachets. L’alcool est autorisé sur le site, les places se vendent entre $50 et $90 maximum et le troc est encouragé. « Faire de l’argent n’est pas notre but premier, affirme Mokrane, et si on en fait, la somme sera réinvestie dans l’édition 2018. » Des libertés que le collectif peut se permettre puisque Co-Incidence, en s’autofinançant grâce aux cotisations de ses membres, ne subit aucune pression monétaire de la part de commanditaires. Pas de subvention non plus, juste de la créativité, de la motivation et de l’huile de coude. Vu l’efficacité de la formule, on attend Illusion 2018 avec impatience !

Nos coups de coeur du festival

Zepha

Zepha, c’est un concentré d’énergie positive qui passe autant par ses tracklists (toujours en accord avec l’environnement de la soirée, quelle que soit l’heure) que son attitude. À seulement 23 ans, la montréalaise est déjà une habituée des festivals locaux avec Igloofest cet hiver, Future Forest, Eclipse, Timeless ou encore Ancient Future. On note chez elle un penchant pour les ambiances deep et minimal, bien illustré par “Let Me Do It“.

Urubu

Inspiré par la techno berlinoise et le cinéma, le jeune producteur utilise ses propres enregistrements pour construire un univers relativement sombre. Etudiant en musique numérique spécialisé en composition électro-acoustique, Lucas Fiorelli se plait à expérimenter les possibilités offertes par le sound design sur la base rigide et classique de la techno. La preuve avec “Dig, sorti chez le label new-yorkais Key+Needle.

Maudite Machine

Après avoir exploré la hard techno et la drum and bass en France, Mickaël Sanchez s’est installé à Montréal en 2008 et s’est dirigé vers la minimale. Invité au Piknic Electronique Montréal et à celui du Mans aux côtés de Carl Craig, le bidouilleur (qui porte bien son nom) est aussi membre d’un collectif local, 8Day. De son expérience québécoise et de ses influences est née le très bon Montreal Calling, non sans rappeler Berlin Calling de Paul Kalkbrenner et Star Guitar des Chemical Brothers.

Kris Tin

Grâce à sa technique et ses sélections au poil, la montréalaise d’origine libanaise a su, en l’espace de deux ans, conquérir tant les esgourdes du public que celle des promoteurs. Outre les clubs montréalais, elle est une figure régulière des festivals, ce qui lui a notamment permis d’ouvrir pour Carl Cox lors de l’Igloofest 2017, un set que les quelques 10 000 festivaliers ont gardé en mémoire.

Newsletter

Les actus à ne pas manquer toutes les semaines dans votre boîte mail

article suivant