Depuis juin dernier, le train-train de la nuit parisienne est rythmé par un nouveau lieu singulier. La Station, mise sur les rails par le collectif MU, s’est ouverte à un nouveau genre de voyageur nocturne exigeant, friand de soirée pas prise de tête, et surtout adepte d’un croisement à la cool entre salissures post-punk et fronde électro/techno plutôt dans l’air du temps. Ici, on peut ainsi assister sans crier gare à un set dark/techno de December ou s’enferrer dans le triage garage de JC Satan, s’embarquer dans un mix irradiant de Krikor ou Ricardo Tobar, et se refaire le plein d’émotions avec un concert tribal d’Headwar. « On est dans la continuité du travail accompli depuis plusieurs années au Garage Mu [le spot historique du Collectif Mu, situé rue Léon dans le 18e] », explique Eric Stil, DJ et programmateur musical des deux lieux. « On fait des choses pointues mais on veut rester accessibles. C’est ce qui plaît à notre public qui est très mélangé et plutôt bienveillant. Personne ne se la pète ici. On aime les choses de qualité mais on veut que ce soit relax. C’est notre marque de fabrique, on n’est pas élitistes. »
A l’heure où les discussions sur le Grand Paris vont bon train, le collectif MU, habitué des projets sonores hybrides – et notamment adepte des fameux parcours sonores géolocalisés comme Bande Originale, développées à partir d’applications originales comme Soundways – a donc choisi de pousser les murs de son garage en investissant un nouvel espace-frontière : une zone-tampon située porte d’Aubervilliers, sur le site d’une gare à charbon désaffectée et transformée en zone de création éphémère, dédiée aux scènes artistiques émergentes.
« Notre projet a été retenu suite à un appel à projets lancé dans le courant de l’été 2015 par la SNCF et proposant d’investir 16 lieux en friche répartis dans toute la France », explique Olivier Le Gal, cofondateur et coordinateur du collectif. « Le site de la Gare des Mines, porte d’Aubervilliers, a retenu notre attention à cause de sa situation d’interface Paris/banlieue, sa proximité avec le périphérique et le fait que le lieu hébergeait une ancienne boîte de nuit africaine jusqu’à il y a à peine deux ans : le Balafon. »
La Friche, c’est chic
Comme souvent dans ce type d’aventure, il a d’abord fallu pas mal d’huile de coude pour lancer la machine. « Nous avons réaménagé l’extérieur, nettoyé, aménagé car au début, il n’y avait rien : un pauvre terrain vague avec des tas de gravats », résume le chef de chantier Eric Stil. « Nous nous sommes fait aider par des collectifs amis comme Berlinons Paris et Hydropathes. » Le résultat s’avère des plus plaisants. Si la salle intérieure, à la fois cosy et dépouillée avec son côté est-allemand, est en mesure de recevoir son lot de fêtards, c’est le grand plateau extérieur qui constitue le cœur de chauffe de la locomotive, avec une capacité d’accueil d’environ 800 personnes. « C’est une zone industrielle. Nos plus proches voisins sont les Magasins Généraux qui ferment à 18-19h, ce qui nous donne un bon potentiel pour pouvoir envoyer du son en extérieur, chose rare à Paris. » En effet, depuis son démarrage, La Station a plusieurs fois battu le rappel des oreilles mais aussi des mollets les plus avertis. « On a pu envoyer du son pendant quatre mois en extérieur, avec un volume très agréable. Cette qualité sonore a beaucoup plu aux artistes. Une fois le lieu identifié, beaucoup sont venus vers nous avec l’envie de jouer à la Station pour toutes les conditions qui y sont réunies : une belle scène, de l’extérieur, du bon son ! »
À sa manière, la Station s’inscrit donc dans ce retour rafraîchissant à Paris à une certaine fête libre, ouverte et périphérique, héritière lissée des anciens squats et jouant les excroissances naturelles de ce qu’on peut trouver pas loin de là, Porte de la Villette, avec le Péripate et le Glazart. « Le public cherche des endroits atypiques, moins formatés, moins contrôlés et surtout moins vénaux », confirme Eric Stil. « Nous-mêmes, nous n’aimons pas trop les clubs et les salles aseptisées. Nous préférons les friches, les espaces éphémères. Mais pour cela, il faut un peu chercher, ne pas avoir peur de passer le périph’. C’est un mélange de culture squat et de culture rave, avec beaucoup d’exigence au niveau de la programmation. »
La Station sifflera encore (plus d’)une fois
La programmation justement, c’est l’argument de poids et la cheville ouvrière de la Station, avec des line-up toujours triés sur le volet et particulièrement francs du collier. « La Station est un lieu où Jesse Osborne-Lanthier peut faire un set électro expé/noise un samedi soir à minuit sans que personne ne vienne gueuler l’épouvantable “Alleeez !”. Idem, voir 800 personnes assister au festival du label le Turc Mécanique un même soir, ça fait chaud au cœur. Comme quoi, ce n’est pas parce qu’on est samedi soir qu’on doit servir de la soupe au public. » Parmi les meilleurs moments de la Station, on peut citer les performances diverses et variées de Cheveu, Vox Low, Pelada, Headwar, Los Headaches, Mykki Blanco, AZF, Svengalisghost, Guido Minisky, Warsawwasraw ou Noyades. Des grands écarts comme on les aime et qui donnent déjà le vertige quand on guette le week-end de clôture qui se tiendra du vendredi 28 au lundi 31 au matin, avec pas mal de guests et de surprises. « Il ne faudra pas louper la release party de nos amis de Dr(Dr)one vendredi », s’enthousiasme déjà Eric Stil. « Samedi, il y aura notamment Maestro, Iueke d’Antinote, La Mverte et Jessica 93. Le dimanche, ce sera un grand All Stars Friend, avec plein de collectifs invités et d’amis de la Station dont AZF, Guido… »
L’occasion d’une dernière révision technique et festive du lieu avant de penser à une suite déjà sur les rails. « Nous sommes en négociation avec la SNCF pour renouveler l’expérience pour une saison de plus, mais avec un projet élargi en termes de programmation et d’espaces », dévoile Olivier Le Gal. « Nous avons déjà commencé à diversifier notre programmation en organisant par exemple une série de projections de films en extérieur, des tournois de ping-pong et des espaces de création participative notamment pour les enfants », complète David Georges-François, le producteur et l’autre co-fondateur de Mu. « Nous accueillons aussi en résidence de jeunes collectifs comme Rouge Vinyle, Hydropathes ou encore Atelier Craft, un groupe d’architectes et designers qui a conçu la grande scène emblématique de la Station-Gare des Mines. Mais là, on proposera notamment l’ouverture au public des espaces intérieurs du site, que nous n’avons pas pu rendre accessibles faute de temps et de moyens. Nous devrions être fixés avec la SNCF d’ici deux semaines. On pense que c’est en bonne voie. »
L’event Facebook de la soirée de clôture