Du 6 au 13 mai 2018, la 16e édition de Nuits sonores propose une nouvelle fois un programme débordant, entre le fil rouge de ses Nuits sur le dancefloor, ses Days qui donnent carte blanche aux artistes, ses conférences, ses innombrables événements off… Dans l’équipe depuis la toute première édition de Nuits sonores, Pierre-Marie Oullion (également directeur artistique du célèbre club lyonnais Le Sucre) accompagne le développement international du festival, pousse ce projet vers l’exigence et la qualité, et cherche à établir un véritable dialogue entre les acteurs culturels d’aujourd’hui et les enjeux démocratiques de demain.
La programmation de Nuits sonores s’inscrit dans un spectre de genres et de performances très large tout en maintenant harmonie et cohérence. Quelle vision du festival vous inspire un tel line-up ?
La programmation cristallise une tentative d’avoir un projet ambitieux et populaire, très attaché à la ville. On essaie donc d’établir un dialogue historique et prospectif, tout en entrant en résonance avec les problématiques actuelles sociales, politiques, ou écologiques qui nous touchent. Nuits sonores incarne la conception selon laquelle la culture peut être le moteur de l’articulation entre société d’aujourd’hui et de demain. En ces périodes de repli sur soi, on essaie d’ouvrir les perspectives au maximum et de faire transparaître dans notre programmation cette ouverture d’esprit et l’éclectisme dont on voudrait être témoin dans la société.
Le réseau d’événements We Are Europe (dans lequel s’inscrit Nuits sonores) animera pendant le festival des conférences sur les enjeux d’urbanisme, d’écologie, de politique culturelle… Comment ces problématiques influencent-elles l’orientation de la programmation ?
On a monté le European Lab il y a 7 ans, parce qu’on souhaitait mettre notre filtre de décryptage socioculturel au service non pas que du monde de la performance, mais aussi du débat démocratique européen, et étendre à plus grande échelle cette vision de la culture comme moteur démocratique et de citoyenneté européenne. Nous faisons le même travail avec la programmation de Nuits sonores. We Are Europe est un projet qui nous permet d’accroître la dimension européenne que possède le festival. Pour nous, ce qui fait l’Europe, c’est avant tout les échanges qu’il y a entre les acteurs culturels, artistes et médias. Quelque part, notre programmation est médiatique dans le sens où elle reflète ce qu’il se passe dans la société, un peu comme le ferait un journal avec des éditoriaux très forts.
Si l’édition de l’année dernière était plus portée sur le grime anglais, cette année fait la place belle au hip-hop.
C’est un choix bien raisonné : aujourd’hui, le rap tient une place culturelle intéressante. Il touche les jeunes générations et donc se retrouve au coeur de la révolution culturelle actuelle. Il est en train de remplacer une forme de musique pop, voire de variété, avec des choses qui se rapproche de nous. On a donc trouvé pertinent de déplacer cette année nos têtes d’affiche – dont l’une des plus grosses est Action Bronson – vers ce milieu-là, tout en restant dans un univers indépendant. De plus, on entretient une relation très forte avec la ville de Bruxelles, puisque l’on est en train de préparer la deuxième édition de Nuits sonores là-bas. On trouvait donc important, en matière d’éditorialisation, de représenter ce phénomène de rap francophone belge qui a explosé en 2017.
Nuits sonores peut être perçu comme un véritable tremplin pour les artistes qui y jouent. Y a-t-il, dans votre démarche, la volonté de lancer certains artistes ?
On ne se situe pas au niveau du « festival tremplin » qui crée volontairement une rencontre entre professionnels et artistes. Même si c’est une composante du festival, ce n’est pas une volonté première dans notre travail de programmation. Mais au fil du temps, on a essayé de faire de Nuits sonores un festival exigeant, ce qui donne à l’artiste qui y joue une certaine légitimité. D’une part, c’est un festival qui a une histoire, des principes, des valeurs, et certains artistes s’y associent. D’autre part, on essaie de décrypter au sein du monde de la musique les phénomènes de mouvement esthétique ou populaire. C’est la raison pour laquelle on se situe à la base d’un phénomène au moment où il va exploser : on essaie d’avoir un côté prospectif et de trouver ces artistes qui peuvent mettre du temps à connaître un certain essor. Ce travail traduit aussi d’une volonté de faire des paris sur des personnalités dont on apprécie le travail et qu’on suit, notamment grâce à la programmation annuelle du Sucre. Ça nous permet de travailler avec des artistes émergents et de construire avec eux quelque chose de plus long, de les emmener jusqu’à ce point d’orgue qu’est Nuits sonores. C’est plus une stratégie d’accompagnement des artistes que de tremplin.
Comment se fait l’articulation entre la programmation des journées et des nuits et le choix des quatre curaters ?
Ces curaters sont choisis parce qu’ils connaissent bien le festival et qu’on a une histoire plus ou moins longue avec eux. On pense qu’ils sont à même de proposer quelque chose de très singulier à Nuits sonores. On est plutôt sur un travail de programmation collaborative, et c’était donc intéressant d’étendre l’équipe artistique aux artistes eux-mêmes. Ces quatre artistes ont choisi une programmation ultra pointue et exigeante, et sont sans doute allés plus loin que là où nous aurions pu aller. Ils deviennent en quelque sorte des intervenants dans notre équipe à qui l’on confie entièrement la programmation des journées. Sur le travail de nuit, on a cherché à travailler sur chaque scène pour y créer un éditorial propre, une histoire : il y a par exemple une scène le mercredi, très axée sur les relations entretenues entre l’Afrique du Sud et les artistes occidentaux ; une autre scène plus autour de la question de l’EBM le samedi… Globalement, les jours sont un peu construits comme les nuits, avec des éditoriaux très forts, mais ce ne sont pas les mêmes intervenants sur les programmations.
Cette année le festival s’étend sur une période de 8 jours. Comment maintenir l’intérêt du public sur une période aussi longue et le séduire, y compris en semaine ?
Nuits sonores se situe sur une période qui couvre l’ascension, et cette année un deuxième jour férié (le mardi 8 mai, NDLR) nous a permis de proposer un festival d’une semaine. Plutôt que d’étendre la programmation, on a préféré distiller les événements dans la semaine pour créer une dynamique longue. On essaie également de proposer une sorte de panorama de la représentation scénique assez large. On revendique depuis notre première édition l’aspect expérimental de ce festival. On conçoit l’expérience avant tout comme un moteur de rencontre artistique. On a toute une multitude de dispositifs qui permettent de composer, à la façon d’un festival-menu, son parcours et de vivre une expérience unique.
Dans un programme aussi chargé et intense, de quoi serait-il dommage de passer à côté ?
Effectivement, on ne peut pas tout voir et on loupe toujours des événements. Cette année mon coup de cœur sera le live de Kamasi Washington à l’auditorium. C’est une première pour nous – pour ce concert spécial sur lequel on a toujours fait jouer des artistes historiques – d’avoir quelqu’un d’aussi jeune sur scène. On a choisi de faire le pari d’un jeune artiste qui signe un peu le renouveau du jazz. Puis, les trois nuits du festival cette année ont un éditorial assez inédit. Pour moi, ce sont des points de passage obligés pour comprendre le travail qui a été fait sur la programmation… Il y a par exemple des performances très attendues comme celle d’Action Bronson ; cette scène très intéressante du vendredi (la halle 3) dont je parlais, qui travaille un sens de l’esthétique et du rythme africain repris par des artistes ou projets comme Young Wolf ou Ifriqiyya. Et, bien sûr, le closing du festival, qu’on a étendu à la journée entière, avec un back-to-back entre Laurent Garnier et The Black Madonna, la carte blanche aux dix ans de Motor City Drum Ensemble Records, les cinq heures de live de KiNK… Globalement, il y a beaucoup de choses à faire, et tout le monde peut y trouver son compte.
Pour profiter de l’éclectisme et l’expérience Nuits sonores, rendez-vous du 6 au 13 mai prochains à Lyon. Pour plus d’informations, on vous invite à vous rendre sur le site de l’évènement.