Ce Toulousain d’adoption, Parisien de naissance, vient déjà de sortir son quatrième EP, Hôtel du Nord, qui distille habilement références pointues au cinéma d’auteur français – sa deuxième passion – dont il étudie d’ailleurs les coutures en deuxième année de master. Issu d’un live qu’il a parfait tout au long de ses représentations, cet EP est un véritable melting-pot de sonorités mélodiques, aériennes, introspectives, mélancoliques et répétitives. Un artiste à surveiller de très près donc, puisqu’il s’est déjà attelé à la préparation de son premier album, prévu, “si tout va bien”, pour 2017. Rencontre, en musique.
1/ Peut-on revenir sur l’histoire de ce nom ? Un penchant pour la Renaissance ?
Ça vient d’un intérêt que j’ai depuis tout petit pour l’histoire de France. Je faisais une fixette sur les rois de France, et surtout ceux de la Renaissance. Pourquoi François Ier ? Parce que cette période relève d’un sacré essor artistique, premièrement, et on va dire qu’avec tous les peintres, sculpteurs et musiciens qu’il a ramenés, il n’est pas vraiment la figure monarchique la moins cohérente avec mon projet musical. Je vous rassure, je ne suis ni royaliste ni pour la restauration de la monarchie… Et puis bon, je m’appelle François.
2/ D’ailleurs, qui se cache derrière ? Dis-nous en un peu plus sur toi.
J’ai 25 ans, et je (sur)vis à Paris. Je fais de la musique depuis quatre ans et je sors mon quatrième EP le 13 mai prochain. Je suis étudiant en cinéma, en master 2. Pour subvenir à mes besoins, je compte sur les quelques dates que je fais et mon job de serveur à côté, parce que la musique ne suffit pas, bien sûr. Ça devient de plus en plus compliqué de combiner les trois, mais pour le moment, ça le fait, j’arrive à gérer ces trois activités sans pour autant négliger mes études ni ma musique, j’essaye d’accorder à chacun des deux le temps qu’il faut.
Crédits : Victor Calsou
3/ Qui d’autre gravite dans ta team ?
J’ai la chance de travailler exclusivement avec des potes, de plus ou moins longue date. La personne qui suit le projet depuis le début, c’est Antonin, celui qui a impulsé l’idée de Boussole Records.
Il est aussi, avec Gabriel, derrière Haut Cinq, le label sur lequel je vais sortir mon prochain EP le 13 mai. Contrairement à Boussole où l’on publie uniquement du contenu digital, sur SoundCloud, en téléchargement gratuit, le but de Haut Cinq est de faire des sorties soignées, le plus souvent physiques, qui peuvent s’inscrire dans un projet de live par la suite, et avec un véritable travail sur l’image (un clip, entre autres).
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Il y a bien sûr l’équipe de Bleu Citron, basée à Toulouse, qui se charge de mes bookings. Enfin, j’ai eu l’occasion de collaborer avec Mangabey, qui fait partie de Boussole et a un live vraiment chouette, et Joy!, que j’ai rencontré plus récemment à New York et avec qui je travaille un live que je vais présenter bientôt, en compagnie de Jacques.
4/ Ton parcours musical en quelques mots ou moments-clés ?
Avant de faire de la musique, j’en ai surtout écouté beaucoup. J’ai fait pas mal d’années de guitare mais ça ne m’a jamais branché d’intégrer un groupe, je préférais faire ça dans mon coin et essayer de composer quelques trucs. Je n’avais aucune envie particulière de me produire sur scène et j’étais beaucoup plus réservé que je ne le suis aujourd’hui. Même si j’aime bien collaborer avec quelqu’un, j’aime aussi pouvoir mener mon projet à mon rythme et ne pas être tributaire de l’emploi du temps et de l’humeur des autres.
Mon père, un gros consommateur de vinyles, m’y a sensibilisé depuis tout petit et m’a fait découvrir beaucoup d’horizons musicaux, qui sont des influences que je n’hésite pas à revendiquer aujourd’hui : krautrock, rock psychédélique, électronique aérienne… Can, Tangerine Dream, et Kraftwerk sont par exemple des artistes que j’ai découverts très jeune. Et j’oublie le jazz, la funk, la fusion, voire même le hip-hop.
La production m’a trotté dans la tête pendant longtemps, jusqu’à ce que je me décide à cracker un logiciel et à acheter un clavier premier prix. Il a donc fallu attendre vingt ans pour que je me lance là-dedans.
5/ Quand et comment tout a décollé pour toi ?
Ça a décollé depuis que je suis rentré de New York, il y a à peu près un an. Mes titres “1515” et “Neptune” avaient été pas mal relayés, notamment à Toulouse et Bordeaux.
À New York, j’ai pu travailler davantage ma musique et me pencher sur le live. J’ai eu l’occasion de faire mon premier là-bas avec Joy!, et quand je suis rentré à Toulouse avec le projet suffisamment développé pour être repris en main par Bleu Citron, j’ai commencé à avoir des dates intéressantes, pour finalement jouer aux Trans Musicales en décembre dernier, qui a été l’étape charnière pour la suite.
Quand je réécoute ce que je faisais il y a deux-trois ans, je relève un certain nombre de maladresses, comme quelqu’un qui découvre la production musicale. Il y a des choses que je trouve vraiment très évidentes dans ce que je faisais avant, et qui le sont un peu moins maintenant, mais je dirais probablement la même chose d’Hôtel du Nord quand je sortirai le prochain EP…
6/ Au lycée tu étais plutôt quel genre ? Et côté musique ?
J’étais un vrai hippie au lycée : j’avais les cheveux longs et je portais des boots ! Côté musique, ce n’est pas trop honteux, ce sont des trucs que j’écoute pour la plupart encore aujourd’hui. J’étais dans une vague très Woodstock, et tout ce qui était nouveau, ça ne me plaisait pas trop. En l’occurrence Janis Joplin, Pink Floyd, Velvet Underground…
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Je me suis mis à écouter de la musique électronique aussi à cette époque-là, mais plutôt des choses très orientées ambient, comme Brian Eno ou Laurie Anderson. Des trucs français aussi, comme Magma et Ange, ou d’autres plus pointus comme Van Der Graaf Generator. Dans “Ange” par exemple, j’adore le son de synthétiseur, il y a une espèce d’esthétique 70’s que j’essaye de retrouver dans la musique que je fais (notamment dans “From Roubaix”, au niveau de la mélodie un peu mélancolique).
7/ Justement, parle-moi de cet EP, Hôtel du Nord, qui vient de sortir.
C’est un EP sur lequel je travaille depuis un moment, presque un an et demi. Je joue les tracks depuis longtemps en live, et ils ont évolué au fur et à mesure, en fonction de la réaction du public.
Après des clins d’œil un peu balourds à mon pseudonyme sur l’EP 1515, ou à la thématique aquatique sur Neptune, j’ai voulu cette fois-ci en faire un à mes études de cinéma. J’ai choisi le nom Hôtel du Nord en rapport avec le film de Marcel Carné, mais il se trouve que c’est aussi un bâtiment qui n’est pas très loin de chez moi, ce qui fait sans doute écho au fait que c’est ma première année à Paris. Or, de la même manière que les sonorités sombres et les noms des tracks de Nyrmal rappellent la chambre que je louais à New York – qui était en fait une cave –, je suis en général assez sensible à l’environnement dans lequel je me trouve.
“From Roubaix”, c’est un clin d’œil à François de Roubaix (qui a composé de nombreuses musiques de films dans les années 60-70, ndlr), mais aussi à la ville du même nom qui possède une forte connotation cinématographique, notamment à travers les films d’Arnaud Desplechin. “Aurora” est une référence au film L’Aurore de Murnau, parce que j’aime énormément l’expressionnisme allemand. Et pour “Out of Africa”, c’est assez transparent.
8/Quand j’ai écouté Hôtel du Nord, j’ai encore retrouvé cette impression “sous-marine”, que tu avais développé dans l’EP Neptune. L’eau est un thème qui t’est cher ?
C’est un truc qui revient souvent, je ne m’en rends pas forcément compte quand on me dit “c’est aquatique”. Vous voulez dire “aérien” ? Qu’il y a de l’espace ? Moi, je vois plutôt ça comme une musique de grands espaces, spatiale.
9/ Si tu devais définir ton son aujourd’hui…
C’est une musique très progressive, aérienne et répétitive. C’est généralement les trois mots qui me viennent à l’esprit quand on me pose ce genre de questions. Mélodique aussi. Mais c’est surtout le côté répétitif qui est ancré dans ce que je fais, j’aime bien trouver LA boucle qui passe bien et que je n’aurai pas de problème à travailler par la suite. Il vaut mieux d’ailleurs pour moi que la boucle soit efficace et pas trop prise de tête.
10/ Il n’y a aucune voix dans cet EP. Pourquoi ?
Je trouve ma musique déjà assez chargée, je ne pense pas qu’elle puisse accueillir de voix. Je rechigne à utiliser des samples, je recherche vraiment du contenu inédit. Mais il n’est pas exclu que j’intègre des voix dans mes prochaines productions. Il y a par exemple des chœurs dans la musique de Brian Eno que je trouve absolument magnifiques.
Et dans le même temps, je me rends compte à quel point, vis-à-vis du public, la voix peut rapidement faire passer un morceau à un niveau supérieur, quand tu n’es pas sur un créneau techno en tout cas. Il faut que j’y réfléchisse, et surtout que je rencontre quelqu’un avec qui je souhaite vraiment travailler.
11/ C’est quoi ton set-up sur scène ?
J’ai un set-up extrêmement réduit sur scène. Je travaille avec Live et toutes mes pistes séparées (environ 25 par morceaux), que je gère grâce à un pad. Je n’ai rien d’analogique, même si je commence à m’en approcher un peu, grâce notamment à des potes qui ont accès à cette technologie. Sur les derniers morceaux que j’ai travaillés, j’ai par exemple utilisé la Tempest de mon pote de Joy!, et je dois reconnaître que la sonorité n’est pas du tout la même, il y a vachement plus de chaleur. Tu rajoutes à ça un clavier MIDI et une carte son, et c’est tout !
Le duo Joy! (©Antoine Omerin)
11/ Quels sont tes projets à venir ?
À moyen terme, je suis en train de penser très sérieusement à un album. Hôtel du Nord est déjà le quatrième EP que je sors, et je pense avoir franchi un cap en réalisant une sortie physique, accompagné d’un clip, où je me suis chargé du visuel… J’essaye en tout cas d’endosser un maximum de casquettes, pour passer à la prochaine étape : l’album. Et pour le coup, je pense qu’il sera plus analogique et que ce ne sera pas uniquement une compilation de ce que j’ai pu produire précédemment.
12/ Tu es parti pour faire uniquement de la musique l’année prochaine ?
Il va falloir que je trouve un travail qui soit en rapport avec mes études. Dans le secteur du cinéma, ça s’annonce très compliqué. Mais je me suis spécialisé cette année dans la réalisation de documentaires, et en particulier le documentaire musical. Mon projet de fin d’études va justement faire office de carnet de bord de ma première année musicale à Paris, sur les secteurs que j’ai approchés, les différents collectifs que j’ai eu l’occasion de rencontrer, ainsi que mon implication dans certains de leurs projets.
13/ Et où est-ce que tu te vois dans dix ans ?
J’ai du mal à me reconnaître dans la part des artistes de musique électronique qui me touchent sur une longue durée. Je ne me verrai pas faire le DJ – ce que je ne fais déjà pas à l’heure actuelle – tous les weekends, à 35 piges. Je fais souvent référence au parcours de Para One, dans lequel j’aimerais bien me reconnaître, parce qu’il a aussi fait une école d’audiovisuel, qu’il est capable de sortir de super albums tout en faisant quelques DJ sets de temps en temps, de produire des bandes originales de films, et enfin d’avoir un projet de long-métrage comme celui qu’il est visiblement en train de bosser avec Céline Sciamma. Si dans dix ans, je pouvais avoir à peu près le même type de profil, je serais comblé.
Crédits : Victor Calsou
14/ Tu as souvent fait des soirées au Bikini à Toulouse ? C’était quoi ces soirées ? Et qu’est-ce que représente ce lieu pour toi ?
“C’est La Mecque, frère.” C’est assez particulier, le rapport que j’entretiens avec cette salle-là et ses programmateurs, son gérant… Toulouse est un microcosme, et le Bikini nous a donné la chance de faire des premières parties, à un moment où le niveau d’évolution de Boussole Records était proche de zéro. C’est l’endroit où j’ai le plus joué à l’heure actuelle, où j’ai présenté pour la première fois mon live, où l’on a fait quelques-unes de nos Boussole Party (on en a aussi fait au Connexion et à la Dynamo)…
Aujourd’hui, on a décidé de réduire un peu le nombre de soirées, de n’en faire plus qu’une tous les cinq mois, mais on arrive toujours à remplir le Bikini à chaque fois. Enfin, le programmateur du Bikini suit de très près mon projet, donc j’ai un rapport assez privilégié et intime avec lui.
15/ Quel regard portes-tu sur la scène toulousaine ? Il y a qui à suivre en ce moment selon toi ?
Il y a le live de Mangabey qu’il ne faut absolument pas rater. Il a récemment fait la première partie de la dernière tournée de Breakbot il y a quelques mois. Pour le coup, c’est vraiment un instrumentiste hors pair, avec un réel background musical, seize ans de piano derrière lui, et une formation jazz solide. De tous les musiciens que je connais, c’est celui qui a le plus d’aisance.
Le Toulousain Mangabey (©DR)
Il y a d’autres collectifs qui font des trucs très sympas, comme L’Ordre, ou l’équipe de Folklore, qui est plus dans un délire warehouse/vinyle, et plus sensible que nous à la culture du soundsystem. Il y a le festival des Siestes Électroniques, qui a une annexe à Paris. Dans tous les cas, il vaut mieux essayer de dénicher des soirées dans des petits spots, parfois clandestins, ou alors dans la cave d’un bar à la capacité réduite.
16/ Tu as prévu quoi pour ta prochaine date ? C’est quand d’ailleurs ?
J’ai une date à Lyon le 25 mai, puis à Paris les 20 et 21 juin prochain, pour les 36h de Saint-Eustache et un concert à la Flèche d’Or.
D’ailleurs, pour les 36h de Saint-Eustache, je dois faire une reprise de musique sacrée. C’est pas forcément évident, et je me suis fixé de reprendre François Couperin, un artiste baroque que j’aime bien (pour rester dans le thème des François).
17/ Si je regarde un peu ta playlist du moment, j’y trouve quoi ?
Brian Bennet – Solstice
Billy Cobham – Heather
Harold Budd & Brian Eno – Not Yet Remembered
Laurie Anderson – Big Science