La musique électronique, reine des jeux vidéo ?

Écrit par Thomas Guichard
Photo de couverture : ©Amplitude Studios / Thomas du Crest
Le 17.07.2018, à 12h21
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©Amplitude Studios / Thomas du Crest
Écrit par Thomas Guichard
Photo de couverture : ©Amplitude Studios / Thomas du Crest
Dans le cinéma, les compositeurs de bandes originales sont reconnus comme des artistes et la musique y a toute son importance (et ses trophées). Le jeu vidéo a-t-il droit aux mêmes attentions ? Trax a discuté avec le Français FlybyNo des enjeux de la musique contemporaine de jeux vidéo. Celui qui a signé la plage sonore d’Endless Space 2 est affirmatif : « la musique de jeux vidéo est devenue un travail d’auteur ».


Depuis les débuts du jeu vidéo dans les années 60-70, les développeurs ont cherché à rendre le contenu généré accrocheur. Et quel meilleur moyen de rendre addict le joueur qu’une petite musique répétitive qui tourne en boucle pendant que nos yeux sont concentrés à sauver une princesse, à accélérer sur un circuit de F1 ou à tirer contre de méchants aliens ? Mais depuis les « tut-tut » de Pong (1972), les moyens de productions électroniques ont explosé, offrant une palette d’explorations sans fin. D’un contenu simple et addictif, la musique de jeux vidéo est devenue un travail d’auteur. Décryptage avec Arnaud Roy — alias FlybyNo — derrière la bande originale d’Endless Space 2, qui sort sur disques vinyles dans quelques semaines.

Comment es-tu arrivé jusqu’au jeu vidéo ? 

J’ai fait une formation de musicien au conservatoire — je joue de la harpe. Après mes études, je suis devenu ingénieur du son. L’objectif était de créer des bande-sons dans leur intégralité : faire à la fois la musique, le sound design… Je suis d’abord passé par l’animation et les dessins animés pendant six ans.  En parallèle j’ai fait une école de jeux vidéo, et j’ai commencé à faire les musiques de jeux sur Nintendo DS. Un jour, par le biais de G4F Records [son éditeur, agent et distributeur, ndlr] j’ai été propulsé chez Amplitude, un jeune studio indépendant de jeux vidéo. Je suis devenu directeur audio là-bas et je leur ai proposé mes services en tant que musicien. C’était en 2012. Depuis, je ne bosse plus qu’avec eux.

Et cela ne t-a pas tenté de produire de manière plus traditionnelle, en sortant des albums ?

À vrai dire, je me suis formé comme ça. La musique c’était, au départ, quelque chose d’un peu inaccessible parce qu’il est très difficile de percer en tant que musicien. Je bossais surtout comme ingénieur son et pendant mon temps libre je composais des albums. Je faisais tout, la prise de son, l’enregistrement. Avant d’arriver dans le jeu vidéo, j’ai fais cinq albums, dont trois avec des collectifs de musiciens et deux avec des groupes de rock. C’est ce qui m’a appris à faire de la musique. 

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Tu as aussi bossé à la télévision et dans le cinéma… Quelles sont les différences avec le jeu vidéo ? 

L’animation, le jeu vidéo, le cinéma, ce sont des boulots qui ont beaucoup de choses en commun dans l’aspect créatif, mais pas du tout les mêmes caractéristiques techniques. La principale différence entre le jeu vidéo et le reste est la non-linéarité du jeu vidéo. Il faut pouvoir prévoir toutes les possibilités que le joueur aura et adapter les bruitages et les musiques en conséquence de cette interactivité. La bande-son du jeu vidéo est intimement liée au gameplay.

Quelles sont tes influences électroniques ?

Je suis né en 1980, donc j’ai baigné dès mon adolescence dans les débuts de la musique électronique, Plaid, Aphex Twin, Autechre, Squarepusher, … mais aussi dans le post-rock, avec des groupes comme Tortoise. Beaucoup de références des années 90 : une musique assez répétitive, des mélodies reconnaissables, avec un côté pop, un côté jazzy, un côté expérimental qui se retrouvent dans la musique d’Endless Space 2. J’utilise aussi des codes classiques : vendredi je vais enregistrer de la flûte basse par exemple. J’utilise des instruments de l’orchestre pour donner une couleur organique à cette bande-son électronique.

Pourquoi sortir la bande-son d’Endless Space 2 sur vinyle ? Est-ce que l’imaginaire du gamer n’est pas virtuel plutôt que physique ?

C’est évident pour tout le monde qu’il y a un engouement pour ce médium. C’est un objet de collection : le fait que la musique soit dématérialisée donne envie aux gens de revenir à du concret, une grosse galette. Les gamers n’échappent pas à cette tendance. Ce que la production a choisi pour le vinyle, c’est vraiment un format luxueux : le vinyle coûte 40€, mais c’est le plus bel objet possible.

Seuls les geeks sont visés par cette sortie, ou est-ce que la musique de jeux vidéo est écoutée par un public large ?

Les jeux que l’on fait avec Amplitude sont des jeux de niche, de stratégie, et pour un public adulte. Même si ce sont des milliers d’exemplaires vendus, on cible des gens qui sont déjà dans une certaine esthétique, une recherche… On ne peut pas dire que ce soit du très grand public… Cependant, il y a de plus en plus de monde qui écoute la musique en dehors du jeu. C’est une tendance très nette qui m’a surpris quand j’ai commencé à bosser avec Amplitude : les gens écoutent cette musique chez eux, pour travailler, pour faire pleins d’autres choses. Si jamais un artiste commence à percer par la musique de jeux vidéo, certains vont aller écouter ses productions, sans forcément être joueurs. Il y a un engouement très clair pour les musiques de jeu : elles sont très riches et diverses, avec d’excellents compositeurs.

Est-ce que l’on est frustré de faire de la musique sur une ambiance graphique déjà existante ? Te sens-tu parfois limité dans ton processus créatif ?

J’ai un unique référent : le directeur créatif. C’est lui qui détermine la cohérence artistique de l’ensemble du projet. En tant que directeur audio, je suis en charge de la cohérence sonore. Évidemment, la musique est liée à un propos de gameplay — elle est contrainte par l’univers du jeu. Par exemple, dans Endless Space 2 il y a des factions (guerrières, scientifiques, etc) : les caractères, les mentalités et le graphisme de chaque faction va influencer les morceaux. Comme dans Pierre et le Loup [conte musical composé en 1936 par Sergueï Prokofiev, ndlr] chaque faction a un instrument soliste qui lui donne sa couleur. J’ai pu y donner quelque chose de personnel à chaque fois parce que le directeur créatif m’a fait confiance. En effet, la musique de commande est trop souvent clichée, ou alors on demande de faire comme un tel. Mais avec l’apparition de plus en plus d’auteurs dans le jeu vidéo — que ce soit dans le game design, dans les graphismes ou dans la musique — on peut aller vers plus d’originalité. Moi j’ai la chance de pouvoir faire ce que j’ai envie de faire, je n’ai aucune frustration, et j’arrive à m’exprimer pleinement dans ce médium-là par exemple.


Quand on pense à jeu vidéo, on pense aux musiques de Mario Bros. et pas forcément à des créations plus complexes et expérimentales… 

Il y a dans l’inconscient collectif, surtout chez les personnes plus âgées, l’idée que le jeu vidéo c’est Pacman. Le jeu vidéo a une histoire très récente, et la plupart des gens sont restés sur l’esthétique typée du MIDI. À la base il y avait cette petite puce à l’intérieur de la console qui générait les sons ; les jeux étaient juste des partitions. C’est intéressant de voir que ces sons-là ont été repris par des artistes électroniques sans qu’il n’aient de rapport au monde du jeu vidéo. D’un autre côté, avec les moyens techniques qui ont évolué, on a de contraintes dans cette musique : on peut travailler avec des orchestres, faire ce qu’on veut… L’imaginaire collectif est réducteur parce que si l’on se penche dans l’univers des jeux vidéo, on se rend compte qu’il y a beaucoup de jeux indépendants qui sont des merveilles graphiques et musicales. Comme le cinéma d’auteur, il y a des jeux vidéo d’auteur.

Que penses-tu du métier de compositeur de musiques de jeux vidéo ?

J’ai une chance inouïe de pouvoir m’exprimer sur ce format et d’en vivre… C’est donné à très peu de monde d’avoir une si grande audience. Si j’avais continué à faire ma musique en solo, aussi bien qu’elle puisse être, personne ne l’aurait entendue ! On est reconnu comme musicien de jeux vidéo, mais en soit l’on est musicien avant tout. L’enjeu aujourd’hui pour ce métier, c’est d’arriver à proposer de nouvelles choses et de continuer à produire autant de musiques que les besoins du jeu. Le jeu vidéo est très gourmand : pour chaque jeu, c’est deux à trois heures de musique. Une heure et demi à sa sortie, puis avec les contenus supplémentaires, de nouvelles musiques s’y ajoutent. Il faut donc que je réussisse à produire, en qualité et en grande quantité. Aujourd’hui, entre les anciens et ceux que nous n’avons pas sorti, je travaille en tuilage sur trois projets. Il faut toujours trouver de nouveaux instruments, de nouvelles manières de faire ; le renouvellement est crucial…

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Renouvellement de genres, mais aussi de techniques : tu as réalisé cette bande originale en quadriphonie à la base. Est-ce indispensable aujourd’hui de spatialiser le son ?

Ce n’est pas indispensable : il n’y a (en moyenne) qu’un pour-cent du public qui va écouter la bande-son en quadriphonie. C’est un standard pour la télévision, avec par exemple le Dolby 5.1. Pour les premiers jeux avec Amplitude, nous n’avions ni le temps, ni les moyens pour faire autre chose que des sons en stéréo. Pour Endless Space 2, j’ai récupéré la réverbération utilisée dans Blade Runner [film de Ridley Scott de 1982, ndlr], la Lexicon 224. Cette réverb’ de la fin des années 70 produit des sons magnifiques, et en quadriphonie. Cette technique de mixage est donc très simple et n’alourdit par mon temps de production. Les synthétiseurs analogiques et tous ces vieux appareils apportent un peu de vie à mes compositions.

Plus d’informations sur la sortie vinyle de la bande originale d’Endless Space 2 sur le site internet de G4F Records. Le reste du travail de FlybyNo est à retrouver sur sa page.

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