James Blake en bande-son d’un ballet de l’Opéra Garnier, étonnant ? Pourtant, devant l’extraordinaire osmose de ces influences qui s’enlacent et s’entrechoquent, la beauté de la musique du compositeur anglais mariée à la grâce des danseurs du palais Garnier, le tout confiné dans un des plus beaux monuments de la capitale, ceci semble finalement très logique.
Et il faut d’abord remercier plusieurs personnes, à commencer par Benjamin Millepied. Étoile du New York City Ballet, mari de Nathalie Portman et directeur de la danse de l’Opéra de Paris depuis fin 2014, il exprimait quelques mois après son investiture le souhait de faire rentrer la musique électronique à Garnier, afin de moderniser l’établissement inauguré en 1875, rêvant d’y inviter Daft Punk. “C’est un exemple, mais c’est aussi une envie” disait-il au micro d’Europe 1. Une envie inassouvie (Millepied ayant annoncé sa démission effective au 15 juillet prochain) qui obtient néanmoins une consolation de taille avec l’œuvre de William Forsythe.
Considéré comme l’un des plus grands chorégraphes contemporains, notamment grâce à son travail à la tête du Ballet de Francfort en 1984 qu’il dirigera pendant vingt ans, ainsi que sa pièce In The Middle, Somewhat Elevated pour, déjà, l’Opéra de Paris en 1987, l’Américain est revenu démontrer son goût pour la déconstruction, la déstabilisation et le non-conformisme. Au travers de trois ballets de 20 minutes chacun (et de 15 minutes d’entracte entre chaque – léger), Forsythe se joue des codes de la danse classique en y intégrant même, avec harmonie et parfois une pointe d’humour, des petits jeux de rôles des danseurs : s’arrêter net pour souffler, les mains sur les hanches comme en répétition, puis reprendre ; attendre et même se moquer gentiment de sa partenaire de danse ; insertion de brefs dialogues prononcés à demi-mot ; ou encore une formation en demi-cercle façon battle de breakdance avec encouragements audibles. Une rupture des règles, certes, mais néanmoins abordable, y compris pour un public moins connaisseur.
C’est sous cette lumière que sa dernière création – et ballet final de la pièce –, Blake Works I, flattait également nos oreilles, usant pour bande-son sept chansons du dernier album du crooner britannique, The Colour In Anything. Un sacré coup de fouet en comparaison de la musique minimaliste et concrète composée par son partenaire de longue date Thom Willems, utilisée sur les deux pièces précédentes (Of Any If And, ainsi qu’une nouvelle version de Approximate Sonata). Un écart non dénué de sens, la dissonance de Blake tout comme l’esprit de déconstruction de Forsythe restent toujours bien présents sous le ciel coloré de l’Opéra Garnier.
22 danseurs qui se croisent sur “Put That Away And Talk To Me”, “Two Men Down”, “I Hope My Life” ou encore sur “Waves Know Shores” ; des morceaux tantôt éthérés, tantôt rythmés, dont la composition sur scène, alternant entre tout masculin et tout féminin, laisse voir l’interprétation personnelle que fait Forsythe du troisième album de Blake. C’est très certainement l’ouverture qui nous marquera le plus, avec une explosion de couleurs et de gestes synchronisés sur la plus belle chanson du disque, “I Need A Forest Fire”, Bon Iver au chant – ou comment en une poignée de secondes, le spectacle nous met les larmes aux yeux avec la symbiose parfaite de la danse et de la musique électronique.
James Blake – “I Need A Forest Fire (feat. Bon Iver)”
William Forsythe à l’Opéra Garnier, du 4 au 16 juillet 2016