C’est votre sixième édition à Berlin. Comment a commencé l’aventure du Krake Festival ?
Nico Deuster : Nous nous sommes lancés il y a six ans avec les soirées de notre label Kille Kill au Berghain Kantine. Notre programmation était très ouverte et variée, noise, house, ambient techno… Mais ça ne marchait pas très bien, les gens ne revenaient pas d’une semaine à l’autre parce qu’ils ne regardaient pas la programmation. J’avais surtout l’impression que cela les embrouillait. Du coup, j’ai décidé de restructurer ces évènements en les rassemblant en un seul. Ça a donné le Krake Festival. Aujourd’hui, ça fonctionne beaucoup mieux parce que les gens attendent des choses spéciales. Ils veulent être surpris.
Il y a six ans, la scène berlinoise était très ennuyante.
Avant ce n’était pas le cas ? Vous disiez récemment qu’il manquait quelque chose à cette époque. Pourtant Berlin était, et est encore considérée comme l’un des berceaux de la musique électronique…
Oui, parce qu’il y a six ans, la scène berlinoise était très ennuyante. On entendait que de la tech-house partout. Je ne sais plus si le Tresor était ouvert à cette époque… Quoi qu’il en soit, mon principal ressenti était qu’il n’y avait plus de place pour l’expérimentation. Étant donné que j’aime vraiment tous les genres de musique électronique, j’en avais marre d’entendre la même merde partout. Du coup, il fallait lancer quelque chose de nouveau.
Était-ce aussi en réponse à l’arrivée massive de touristes et à l’explosion de cette forme de divertissement nocturne qui a finalement nuit à l’image de Berlin ? Beaucoup de clubs ont aussi fermé chez vous… Comme le Stattbad récemment.
Je ne suis pas spécialement partisan de ce blâme généralisé des touristes. S’ils n’avaient pas étés là, des clubs comme le Stattbad justement n’auraient probablement pas pu voir le jour. Ce qui est important c’est de rester vrai quant à ses idéaux musicaux parce qu’en y pensant, c’est super facile d’ouvrir un club et de ne faire jouer que des artistes berlinois qui joueront toute la nuit pour 10€. De toute manière, il y aura toujours des touristes pour le remplir. Il faut simplement garder en tête la direction vers laquelle on veut aller et rester fidèle à la musique que l’on aime.
Les artistes (…) qui veulent venir en limousine ou avoir des hôtels cinq étoiles, je les décommande.
En parlant de musique, comment s’est opérée la sélection de vos artistes ? Votre programmation est très variée et ne comporte pas vraiment de « grosse tête d’affiche ».
C’est assez subjectif. Pour être honnête je n’ai pas vraiment de concept de booking, j’ai juste choisi les personnes que j’avais envie de voir parce qu’elles offrent quelque chose d’intéressant. J’évite surtout de choisir les artistes dont l’esprit ne correspond pas avec notre univers. Ceux qui veulent venir en limousine ou avoir des hôtels cinq étoiles, je les décommande. Nous avons déjà eu de mauvaises expériences avec des agences qui rendaient les choses si compliquées… Peux-être que ça paraît peu professionnel pour ceux qui disent que l’on se doit de faire toutes les concessions pour booker l’artiste que l’on veut vraiment programmer, mais ce n’est pas comme ça que je vois les choses.
Pour ce festival, je veux que le public prenne son pied autant que les artistes. Tout le monde doit être à égalité. En ce moment, il y a trop de conneries de ce genre dans le milieu. Et c’est d’ailleurs bien pire que tous ces touristes dont on parlait.
Krake est donc un festival qui veut rompre avec les pratiques actuelles du milieu ?
Oui, les choses doivent aller de paire avec les autres : ce qu’il se passe sur le dancefloor, sur scène et dans les backstages. Si le public voit qu’il y a une organisation différente et des artistes qui se donnent pour eux, cela se ressentira forcément sur leur comportement. Ils trouveront les choses plus intéressantes et c’est justement ce genre de retours positifs que l’on a eu l’année dernière.
Ça fonctionne beaucoup mieux parce que les gens attendent des choses spéciales. Ils veulent être surpris.
Pourquoi avoir choisi un poulpe [“krake” en Allemand, ndlr] comme emblème ? Vous entrevoyiez déjà votre capacité d’étendre vos tentacules ?
Oui, on pouvait déjà l’imaginer, c’était notre ambition. Concernant le poulpe, j’aime beaucoup son image obscure et mystérieuse. C’est un animal assez étrange que tu ne peux pas attraper, qui est constamment en train de changer de forme et qui a plusieurs tentacules. Ça reflète aussi la manière dont nous organisons le festival : dans différents endroits et avec des styles variés. Tout se déploie.
Comme avec vos six scènes, au Suicide Circus, à l’Urban Spree et au Berghain Kantine… Comment avez-vous choisi ces endroits ?
Nous les avions déjà l’année dernière lors du Krake 2014. Je crois d’ailleurs que c’était notre plus belle édition. Nous sommes très proches du Suicide Circus parce que nous sommes résidents chez eux, mais ce club existe depuis 10 ans maintenant. Nous avons décidé d’y déplacer nos soirées du Berghain Kantine parce que nous pouvions l’investir du mercredi au week-end. C’est aussi au Suicide Circus qu’a démarré le festival. Du coup, c’est le cœur du Krake.
J’en avais marre d’entendre la même merde partout. […] il fallait lancer quelque chose de nouveau.
Mais ce n’est pas si grand que ça en à l’air. Nous accueillons seulement 300 personnes pour les plus grosses scènes. C’est comme une expérience en club, mais en plus petit, plus intime.
Si tu devais définir ce festival en trois mots/valeurs, quels seraient-ils ?
(Il réfléchit)… Audacieux, ouvert et intime. Peut-être même, énergique. C’est super important que les artistes osent et surprennent le public et que tout le monde se donne.
Et pour vous Kevin, comment The29nov films a été amené à travailler avec le Krake ?
Kevin Paschold : Nous avons commencé en faisant des vidéos pour Kille Kill. Au fur et à mesure, nous avons grandi ensemble. Pour cette édition, nous ferons deux live de VJing, l’un pour Tin Man et Kille Kill et l’autre pour mon partenaire Sebastian Kökow [autre moitié de the29nov films, ndlr].
ND : Ils auront aussi un lounge vidéo où une sélection de tout leur travail sera projetée. Ça représente presque 1500 vidéos je crois… KP : Oui c’est ça. 1500 vidéos à nous deux.
Comment préparez-vous ces live ? Avez-vous déjà une idée de ce que vous montrerez ?
KP : Non jamais, nous travaillons toujours en improvisant. Mais pour les live de cette année, nous voulons montrer tout ce que nous avons fait durant ces dernières années tout en retranscrivant visuellement ce que nous entendons.
ND : Et ils sont très bons pour ça. La plupart du temps, ils font des vidéos en interprétant les musiques qu’ils entendent, et sans demander aux artistes leur accord. Mais ce qu’ils font est tellement talentueux et authentique que les artistes n’ont jamais eu à se plaindre. Cela prouve bien leur unicité : ils n’ont aucune envie d’être célèbres ou de générer de l’argent, ils le font seulement pour leur portée artistique.
Krake apporte quelque chose de neuf alors sur la scène berlinoise. Comment se porte-t-elle aujourd’hui ?
ND : Comparé à il y a six ans, ça s’améliore. Il y a de plus en plus de petits promoteurs qui se débrouillent pour faire évoluer les choses. Avec tous les hipsters qui sont arrivés, la nouvelle scène à Neukölln [quartier de sud de Berlin, ndlr] et tous les artistes, cela fait beaucoup de diversité. Mais je ne sais pas encore où cela va aller.
KP : On verra bien. Personne ne peut prédire l’avenir.