Est-il nécessaire d’évoquer les attributs de Kraftwerk, d’une œuvre séminale, à l’influence inouïe, indicible ? Est-il vain d’invoquer les liens qui unissent de tels génies aux origines du hip-hop, de la musique industrielle et du mouvement technoïde ? Seul représentant de la formation allemande (depuis le départ de Schneider en 2008), d’ordinaire laconique et quelque peu expéditif, Hütter s’est confié au journaliste de Rolling Stone, sous les dessous opaques et élitistes d’une machinerie longtemps restée inactive.
Interrogé au sujet du cyclisme (Ralf Hütter en est féru), de la 3D, de la ville de Detroit et des futurs projets de Kraftwerk, le génie musical dévoilait un certain nombre d’éléments et d’informations précieuses, listés ici-même par nos soins.
Kraftwerk prépare un coffret Blu-Ray de ses lives en 3D…
“Nous nous y consacrons depuis notre passage au MoMa, en 2012. Nous avons joué au Kunstsammlung de Düsseldorf en hiver et au Tate Modern de Londres, ainsi que d’autres centres culturels et artistiques aux quatre coins du monde. […] Nous avons associé tous ces lives à la 3D et au surround, une sorte de son en trois dimensions. Nous nous y sommes appliqués depuis lors, afin d’en concevoir un Blu-Ray. Il devrait paraître à la fin de l’automne. Nous avons passé beaucoup de temps sur les visuels, sur le fait de remodeler les archives de Kling Klang en 3D, de les synchroniser avec la musique. […] Nous formons ici, dans les studios de Kling Klang, une petite équipe de musiciens, de techniciens, de programmateurs informatiques ; nous nous occupons seuls de tout cela.”
Et de nouveaux titres d’un neuvième album !
“Nous produisons toujours de nouveaux titres, de nouveaux motifs, de nouvelles compositions sonores. Lorsque nous aurons fini de travailler sur le 3D Catalogue, ces huit albums de notre discographie, nous nous consacrerons au neuvième.”
Sans aucune intervention ni conseil de Florian Schneider
“Florian n’est plus présent à nos côtés, et ce depuis une décennie. Il se consacre à la recherche sur la synthèse vocale, ce genre de choses. Cela fait bien longtemps qu’il n’a pas été lié à la musique.”
Hütter est conscient du lien établi entre l’œuvre de Kraftwerk et la musique de Detroit…
“Nous nous y sommes rendus à de nombreuses reprises, en compagnie de nos proches, Juan Atkins et Derrick May. […] Les sonorités industrielles de la Motor City et Kraftwerk sur l’autobahn ; les deux sont unis par un lien spirituel. Les rythmes automatiques, la musique robotique ; toutes ces fantaisies ne sont pas éloignées les unes des autres.”
…Et serait séduit par l’idée d’y organiser des soirées !
“Notre musique n’a pas toujours été diffusée en radio. Elle n’était pas si populaire, à l’exception de l’album Autobahn. À la fin des seventies, le phénomène s’est de nouveau produit, à Detroit. […] Nous ressentons vivement cette énergie et avons toujours essayé d’y revenir, de s’y produire. Nous pouvons peut-être y organiser des soirées, en compagnie de certains proches. Nous allons nous renseigner à ce sujet.”
L’œuvre de Kraftwerk n’est pas figée…
“Notre musique évolue au fil du temps. Nous jouons toujours des versions différentes de nos propres compositions. Quelquefois, nous appliquons des changements au niveau du tempo et du son. D’autres fois, le trafic est différent sur l’autobahn. Tout ceci est réel. C’est ce qui est intéressant. Nos compositions sont comme des scripts de films ou de pièces de théâtres minimalistes. […] Nous pouvons les retravailler ; elles ne seront jamais les mêmes.”
…Mais une réédition des trois premiers albums de Kraftwerk n’est pas (encore) à prévoir
“Ces trois albums (Kraftwerk, Kraftwerk 2 et Ralf und Florian, ndlr) correspondent à la phase initiale de notre parcours, avant celle des studios Kling Klang. Une réédition peut être envisagée, nous les sortirons peut-être un jour, si nous avons le temps, mais ça n’a jamais été le cas jusqu’à maintenant. […] Nous préférons nous concentrer sur notre oeuvre post-Autobahn, sur notre présent et notre avenir. Nous n’avons pas le temps de nous intéresser véritablement au passé.”
Sa passion pour la mobilité spatiale est à l’origine de la récente tournée de Kraftwerk
“La mobilité spatiale me passionne. Nous ne pouvions voyager autant, au cours des seventies, du fait de la fragilité du matériel. Les câbles et les fils électriques étaient peu solides, les synthétiseurs sonnaient faux. Aujourd’hui, nous sommes mobiles. C’est la raison pour laquelle nous nous produisons davantage. […] Nous avons la chance de bénéficier de ces avancées technologiques.”
L’artiste de Düsseldorf considère Kraftwerk comme un projet multimédia
“Lorsque nous sommes retournés au MoMa en 2012, ceci constituait un retour en arrière, un retour au sein du milieu artistique, des galeries d’art. Nous sommes en charge de la vidéo, de l’infographie, de l’animation, des visuels et des lumières. Kraftwerk est un concept multimédia. Ce n’est pas seulement de la musique.”
Selon Hütter, le cyclisme est lié à la musique électronique
“Le dynamisme, le mouvement, l’énergie du cyclisme nous intéressent profondément. Le fait d’aller de l’avant — c’est ce qu’il se produit sur un vélo. […] Je ne peux pas faire du surplace (technique consistant à se maintenir en équilibre sur son vélo, en limitant ses déplacements), et je n’ai pas besoin de cela. Nous allons de l’avant. Lorsque vous ralentissez à vélo, lorsque vous vous arrêtez, vous chutez. Il est donc préférable d’aller de l’avant. C’est ce que nous cherchons à reproduire.”