par Brice Miclet
En musique, six années peuvent prendre des allures d’éternité. C’est pourtant le temps qu’il a fallu à Koreless pour faire son retour, pour donner suite à une discographie mise en suspens après son double single TT / Love, sorti en 2015. À l’époque, le producteur gallois se positionnait doucement comme l’un des fers de lance de la nouvelle génération minimale et electronica. Puis plus rien. Alors, lorsqu’aux premiers jours de 2021 il réapparaissait dans un album de remix de Caribou pour ensuite annoncer la sortie de son premier album, l’impatience a vite grandi. La voici comblée avec Agor, un dix titres pénétrants qui confirme que plus l’attente est grande, et plus la beauté du rendu semble jouissive.
Suis ma voix
Nombreux sont les éléments et les influences qui s’y croisent. Mais c’est certainement cette voix féminine mystérieuse qui suscite le plus de questions. Un chant limpide qui hante plusieurs titres tels que “White Picket Fence”, “Act(s)” ou encore “Strangers”, trafiqué à souhait, fil rouge d’une tracklist construite autour de sa couleur. Créée de toute pièce puis programmée par Koreless, cette voix est la preuve de la maîtrise du producteur, de sa volonté d’emmener sa musique dans des sphères plus mystérieuses qu’il ne le faisait auparavant.
Annoncé comme un projet aux influences club, c’est pourtant par sa capacité à masquer le rythme, à manier les harmonies dans lequel le beat vient se diluer que Agor brille. Telle est la démarche du titre d’ouverture, “Black Rainbow”. Déjà présent sur un EP sorti il y a quelques semaines, son aspect linéaire et expérimental tranche avec des plages plus courtes, semblables à des interludes. Agor est comme cela : fait de variations, de cassures, bien loin d’une simple succession de titres. Il progresse et évolue.
Plus qu’un terrain de jeu
Envoyé au front avant la sortie de l’album, le single “Joy Squad” détonne avec ses nappes de synthétiseur massives et sa rythmique plus identifiée. Cela fait d’ailleurs plusieurs mois qu’on le retrouve joué dans des DJ sets par d’autres artistes, et voilà certainement la caution plus club annoncée par Koreless. Il précède un titre superbe, cristallin, nommé “Frozen”, dont la précision nous rappelle que le producteur déclare pouvoir passer quinze heures par jour, sept jours sur sept durant des années sur sa musique, retravaillant des morceaux à l’envie, leur offrant plusieurs vies. Celles que nous écoutons ici n’en sont que la quintessence.
Il y a autre chose de fascinant sur cet album : sa capacité à créer des repères pour l’auditeur, puis à les masquer. C’est notamment le cas sur le titre “Hance”. Comme si Koreless s’amusait à construire une mélodie, une harmonie assez simple, puis à la déconstruire la seconde suivante, comme pour montrer que sa matière première peut se puiser dans toute sorte de sonorités, de genre ou de matériel. En six ans, sa musique a changé, mûri. Et elle est devenue bien plus qu’un terrain de jeu.