Par Christophe Vu-Augier de Montgremier.
Un dimanche après-midi d’été en 2013, un jeune DJ m’avait transporté pendant près de trois heures, avec un set de techno présentant un savant mélange entre rave old school et modernité. Impressionné, je m’étais dirigé vers la traditionnelle petite feuille collée à droite du DJ au Berghain, et avais découvert le nom de Kobosil pour la première fois.
Originaire de Berlin, Max Kobosil a grandi à Neukölln, quartier auparavant malfamé en cours de gentrification. Il commence à faire ses armes à l’adolescence dans sa chambre à coucher, peu après avoir découvert la musique électronique par l’intermédiaire de sa sœur grâce à une collaboration entre Puff Daddy et Felix Da Housecat. Une rencontre avec Somewhen et Nitam, deux amis plus tournés vers la production, va l’encourager à apprendre les ficelles de celle-ci. Passionné et décidé à faire carrière, il a une véritable révélation lors de sa première visite du Berghain. Et alors qu’il a entrepris des études d’ingénieur du son, il lâche tout pour se concentrer sur la musique. Vers la même époque il se présente à nd_baumecker, et lui propose d’écouter quelques-uns de ses morceaux. À sa grande surprise celui-ci répond positivement et l’encourage, avant de finir par lui proposer de remixer “Silo”, l’un des morceaux de son album Transsektoral. Cette première apparition pour Ostgut Ton sera suivie d’un maxi sur leur sous-label Unterton, et tout s’enchaîne ensuite très vite pour le jeune artiste, qui va rejoindre officiellement l’écurie des résidents du Berghain dès 2014.
© Sven Marquardt
Depuis, il a notamment rejoint Marcel Dettmann et Answer Code Request sur le label MDR, et il continue de développer son propre label comme une plateforme artistique bien spécifique. En effet, pour lui la musique présentée n’est pas le seul élément qui compte, et déclare même dans le cas de son premier album We Grow / You Decline prêt à paraître fin janvier, que les morceaux ne sont que « 50% de l’ensemble ».
Il confie aussi avoir refusé de le montrer à ses pairs avant qu’il ne soit complètement terminé : « J’ai juste inclus le boss du label et deux amis pendant la production de l’album. Trop d’avis peuvent vous brouiller votre vision. Je crois aussi que la musique n’est pas tout, je voulais présenter l’objet fini avec tous les titres, l’ordre correct ainsi que l’illustration finale sur le CD ou les vinyles. Montrer à quelqu’un les brouillons dans un dossier de votre ordinateur n’est pas la même chose. Beaucoup de mes amis ont dû attendre longtemps avant de pouvoir l’entendre. »
C’est en tout cas dans un état d’esprit bien particulier que j’avais déjà remarqué lors de ma première interview avec lui, qu’il a abordé la création de cet album. En effet Kobosil marche à l’instinct avec des objectifs créatifs très clairs, et la plupart du temps l’ossature de ses morceaux est créée en une trentaine de minutes.
« Lorsque j’ai commencé à travailler sur l’album, je ne me focalisais pas sur la musique club, même si c’est d’où je viens. Mon but était de créer un portfolio de ma musique. Je voulais capturer quelque chose, je voulais une âme et un son intéressant… J’espère vraiment que les gens vont être touchés, ne serait-ce que par un morceau de tout l’album. » explique-t-il. Les disques sont pour lui des œuvres d’art à part entière et il se plaît à cacher des éléments sur ceux-ci. Avec ce premier album on est témoin d’une approche artistique totale, et son album révèle de nombreuses textures au fil des lectures.
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Il va même plus loin avec une édition limitée qui contient un texte à décoder pour découvrir certains détails. Une approche aventureuse et peut-être risquée qu’il embrasse en espérant la compréhension et le soutien de son public : « Avoir un retour compte beaucoup pour moi. Lorsque je communique avec les gens qui me suivent sur internet, je pense toujours à ce que je veux leur dire. J’ai un énorme respect pour ceux qui interagissent sur mes pages. J’inclue beaucoup d’aspects et d’idées cachées dans mes sorties et lorsque j’entends que certains découvrent ces trucs, cela me montre que tout cela vaut la peine d’être fait. J’ai trouvé un chez-moi avec Ostgut Ton, mais je serai à tout jamais le gars qui a commencé sur Soundcloud. J’espère que l’album restera un point d’intérêt, peut-être que quelqu’un le découvrira longtemps après ma mort. J’aime cette idée. »
© Sven Marquardt
Ce jeune premier de 24 ans affiche en tous cas déjà une maturité impressionnante à de nombreux niveaux, mais surtout une énergie remarquable. Alors que son premier album s’apprête à sortir sur l’un des labels phares de l’époque, il pense déjà au futur avec un calendrier extrêmement rempli et toujours l’envie d’aller plus loin en studio. Avant de conclure avec une certaine exaltation sur son futur proche : « Beaucoup d’artistes sont épuisés après la sortie de leur premier album. J’ai décidé avec Ostgut Ton de ne pas faire trop de promotion. On peut compter le nombre de mes interviews sur les doigts d’une main. C’est peut-être la raison pour laquelle j’ai pu économiser mon énergie car maintenant je suis plus motivé que jamais et je veux simplement continuer à travailler. Je souhaite sortir un autre maxi avec mon label RK, et faire quelques remixes avant de commencer à présenter d’autres artistes sur le groupement R. Nous voyons R comme une organisation où chaque artiste possède sa propre plateforme – RK étant la mienne – dans le but d’accorder un maximum de liberté artistique. Je suis impatient de réaliser quelques-unes des idées que j’ai pour ce projet. »