Comment présenteriez-vous le film Iris ?
Xavier : J’ai l’impression que trop d’explications gâchent le plaisir. Formellement, Iris est un concert de Justice sans public et qui ne se déroule pas dans une salle de concert. Depuis le début du tournage, on se demande comment faire une captation correcte de ce qui se passe sur scène. On n’est jamais arrivés à faire mieux que les vidéos des gens du public qu’on trouve sur YouTube. À chaque tournée on essaie, à chaque fois on est déçus. L’énergie visible quand tu regardes un concert n’est pas du tout transposable au format film.
Votre dernier film, A Cross the Universe (Romain Gavras, So Me 2008) était accessible à tous grâce à son histoire et son humour. Iris s’adresserait-t-il davantage aux fans de Justice ?
Gaspard : Iris est entièrement basé sur notre répertoire. Tout ce que tu vois à l’écran est l’illustration de la musique. C’est un film musical plus que ne l’était A Cross the Universe.
Xavier : Mais même si on n’aime pas notre musique, le visuel est absorbant, un peu comme quand on regarde un documentaire sur les baleines. Même un enfant ignorant tout de la musique électronique ou des concerts pourrait le regarder parce que, finalement, c’est une heure de musique avec des images et de la lumière parfaitement en accord. Un peu comme Fantasia (Walt Disney, 1940) : un enfant peut le regarder même s’il n’aime pas la musique classique. Dans Iris, même si ça reste abstrait, plus que A Cross the Universe, il y a quelque chose d’émouvant, de très sensoriel.
Le dispositif spectaculaire d’Iris évoque les grands concerts de Pink Floyd ou de The Police. Ces références étaient-elles présentes ?
Gaspard : Le Live at Pompéi des Pink Floyd (Adrian Maben, 1972) a été tourné sans public, c’est le seul précédent qu’on a trouvé. Mais les influences du film, celles qui ont guidé l’aspect esthétique de la tournée et du set up, sont plutôt d’ordre visuel : la science-fiction, les grosses machineries à la Blade Runner, voir quelque chose de très lourd et très lent s’animer doucement, allant presque à l’encontre de la notion d’énergie.
Ce genre de dispositif est-il encore nécessaire pour intéresser un large public aux musiques électroniques ?
Xavier : Nous voulions proposer la meilleure expérience visuelle et musicale de concert. Il nous arrive aussi de jouer en DJ set dans des festivals, face à des dizaines de milliers de personne, avec juste un tréteau et des platines, et ça fonctionne très bien. Parfois, on a joué en live alors qu’on ne pouvait pas tout installer, où que le fret n’arrivait pas et qu’on on devait jouer sans rien, ça fonctionne très bien aussi. Mais ce n’est pas la même expérience, ça repose alors plus sur l’énergie que sur le spectaculaire. Mais la musique se suffit à elle-même, elle le prouve tous les jours. On n’utilise pas le visuel pour combler un manque.
Il y a quelque chose qu’on voudrait faire depuis deux tournées, mais qu’on n’a pas réussi à mettre en place. On avait joué à Bercy pour notre date parisienne, mais on aurait aussi voulu jouer à la Boule Noire, avec la même musique mais sans décor, dans une petite salle. La mise en scène trop présente peut gommer ce qu’il y a d’intéressant dans la musique. Dans les festivals, c’est parfois plus la mise en scène qui détermine l’heure de passage d’un artiste, et c’est dommage. Certes, ça peut être très impressionnant et déclencher une communion avec le public. mais on a envie de croire que c’est possible d’avoir une scéno minime qui fonctionne à très grande échelle.
Par rapport à A Cross the Universe, Iris mettrait davantage l’accent sur la puissance de la musique par son rythme lent et contemplatif ?
Gaspard : Ça vient de la façon dont il est filmé. Mais en termes de scénographie, le show reste très épileptique et très illustratif de la musique, tout en syncopes… L’intérêt se trouve dans l’équilibre entre ce que propose la musique, la façon dont elle est illustrée sur scène et la façon dont le tout est filmé, de manière très suave.
Xavier : La musique n’a pas tant changé entre les deux films, mais A Cross the Universe ne portait pas tant sur la musique que sur la folie d’être jeune, de voyager et de découvrir quelque chose de nouveau. Iris se concentre sur notre musique. Dans nos concerts, il y a peu de moments vraiment dansant. Même s’il y a quelques moments de frénésie, on imagine souvent notre musique comme quelque chose d’assez lent et posé.
Pour tourner Iris, vous vous êtes entourés d’André Chémétoff, Armand Béraud et Vincent Lérisson. Comment vous avez travaillé ensemble ?
Xavier : Vincent Lérisson est éclairagiste et scénographe, il vient du théâtre au départ. On travaille avec lui depuis le début des concerts de Justice en 2007. On s’entend très bien, et même entre les tournées il pense à des choses pour nous. On a dessiné cette scène ensemble. Une fois qu’elle est construite, on fait des résidences pour répéter et on lui envoie des segments qu’on enregistre. Il crée alors des tableaux et de la lumière pour chaque morceau. Ensuite, on se retrouve pour rajouter des idées.
On connaît les réalisateurs André Chémétoff et Armand Béraud depuis dix ans. André était le chef opérateur sur le clip de “Stress”. Il a beaucoup travaillé avec Romain (Gavras). Dès qu’on a eu l’idée du film, on a pensé à lui parce qu’on sait qu’il est très technique et qu’on aime son goût. On savait que comme on serait sur scène pendant le tournage, on ne pourrait pas être derrière la caméra pour vérifier ce que font le chef op et le réal, et on savait qu’en lui laissant les mains libres ça allait fonctionner.
La première fois qu’on a bossé avec Armand Béraud, c’était sur le clip de “DVNO”. Il était animateur chez Machine Molle, une boîte de post-prod. On a travaillé sur beaucoup d’autres projets ensemble, c’est lui qui a animé tous les écrans TV dans le clip de “Randy”. Il nous aide parfois sur les pochettes d’album. Au départ on imaginait qu’il se chargerait de la post-prod. Mais il est venu sur le tournage pour anticiper des problèmes éventuels de post-prod et, finalement, comme ils se connaissent avec André depuis longtemps, très naturellement il est devenu le deuxième réal du film.
Après une tournée au cours de laquelle on a entendu beaucoup de vos anciens morceaux, il y a eu le disque live, et maintenant le film. Une page va-t-elle se tourner pour Justice ?
Xavier : On ne cherche pas absolument la nouveauté par rapport à ce qu’on a fait précédemment. Dans chacun de nos trois albums, il y a toujours quelque chose de significativement différent du précédent. Et en même temps, il y a une partie de nous qui aime toujours les mêmes choses, c’est ce qui fait le lien entre les albums. Chaque morceau est différent mais présente une sensibilité harmonique identique. Une forme d’emphase, de puissance et en même temps de mélancolie. On ne part jamais en se disant qu’il faut tout oublier et faire quelque chose de différent.