Par Smaël Bouaici
La culture club a perdu son connexionneur. Infatigable touche-à-tout, le Britannique Jonty Skrufff, Jonathan Adderley de son vrai nom, fait partie de ces hommes de l’ombre qui ont fait avancer la cause des musiques électroniques. Après avoir miraculeusement survécu à un accident d’ascenseur à la Danceteria, légendaire club new-yorkais des 80’s, où il travaillait, il a démarré une carrière de journaliste dans les années 90 – il fut l’un des premiers spécialistes de la musique électronique – mais aussi d’activiste : il avait lancé une campagne avec le magazine Muzik pour que les clubs anglais servent de l’eau gratuitement aux clients, pour prévenir les risques liés à la prise d’ecstasy. Précurseur sur Internet, il avait instauré au début des années 2000 une newsletter hebdomadaire très prisée dans le milieu, dans laquelle il compilait des informations diverses et parfois exclusives sur l’état de la club culture partout dans le monde.
C’est par ce biais qu’il avait intégré les pages de Trax Magazine en janvier 2011, avec la rubrique « L’Œil de Skrufff », qui dura jusqu’en novembre 2012, introduite de cette manière : « Depuis dix ans, Jonty Skrufff envoie chaque semaine une newsletter dédiée à la musique, aux clubs, au sexe, à la dope et à la politique. Soutenu par les plus grands DJ’s & artistes, il chope ses infos dans la presse ou en direct auprès de ses potes. Après 500 newsletters, Jonty a rejoint la bande de Trax pour nous updater tous les mois sur les gossips du reste du monde. »
Ce CV de slasher lui a permis d’acquérir une vision transversale d’une industrie dont il maîtrisait tous les aspects. En parallèle de ses DJ sets, notamment lors de sa résidence au fameux club berlinois Sisyphos, il était régulièrement invité dans les panels d’experts lors de conférences spécialisées, à l’IMS d’Ibiza ou l’ADE d’Amsterdam, pour partager son savoir-faire. Brice Coudert, directeur artistique de Dehors Brut et de feu Concrete, l’avait invité sur la barge pour un all night long sur le Woodfloor le 14 août 2018. Il évoque « un grand passionné », qui venait souvent à Paris prodiguer des formations aux artistes français en tant que représentant de Pioneer pour les clubs et DJ’s.
Plusieurs autres figures de la scène ont honoré sa mémoire. Les Pet Shop Boys ont déploré une « immense perte pour la communauté de la dance music », tandis que Daniel Miller, fondateur du label Mute, a salué « un homme aux multiples talents mais surtout une inspiration par son implication dans sa vie et son art ». Peggy Gou a de son côté rappelé que Jonty l’avait soutenue dès ses débuts et l’a toujours poussée à aller plus loin. « Sans lui, je serais probablement encore en train de m’amuser avec des CD. » Chez Trax, on se rappellera d’un homme humble et d’un esprit curieux, avec une façon unique de relier des points que d’autres auraient trouvés trop éloignés. Nos pensées vont à sa famille et à sa partenaire Fidelity Kastrow. Rest in peace, Jonty.