Il y a quelques semaines, j’ai entendu parler d’une mystérieuse soirée doublée d’une partouze, dont la rumeur disait qu’elle tirait son inspiration du film Shortbus. Tout un mythe, ce film. Il raconte l’histoire d’un club new-yorkais à l’esthétique inspirée du cabaret, où hétéros, homos, trans, fétichistes et sado-masochistes baisent de concert dans la joie et la bonne humeur. Cela faisait des années que je me demandais s’il existait quelque part une soirée du même type. Et voilà que des amis burners, donc affiliés au réseau des fêtes inspirées par Burning Man où l’amour libre fait partie intégrante de l’expérience, m’ont révélé l’existence de ce Graal. J’ai postulé illico comme DJ via des connaissances, et je m’y suis retrouvé booké. Je ne vous citerai ni le nom de la soirée, ni celui de la ville et encore moins celui des participants, l’organisation souhaitant rester confidentielle. Mais si vous êtes vraiment intéressés, vous finirez bien par trouver.
Donjons et drag-queens
Me voici donc dans la place. A l’entrée, deux organisateurs, l’une en soubrette, l’autre en tenue de cuir, bacchantes au vent, accueillent les arrivants en leur détaillant les consignes. En gros, il s’agit de s’impliquer, d’aller à la rencontre des autres, mais en leur demandant toujours leur consentement au préalable sous peine de se faire exclure en compagnie des amis avec lesquels on s’est obligatoirement inscrit. Et il est interdit de prendre des photos. Dans le vestibule, une pianiste joue sur un grand piano à queue. Bon, c’est la mélodie du Roi Lion, mais personne n’a l’air de s’en formaliser. Le thème de la soirée est donjons et drag-queens, tout le monde s’est mis sur son trente-et-un. Une fille débarque en licorne avec un gode sur le front, un petit groupe de mecs se balade en harnais de cuir, quelques fées ont les seins qui pointent sous leurs voiles, un chevalier en armure de cuir la joue Game of Thrones, une poignée de burneuses arborent short de fourrure multicolore et bottes assorties comme dans le désert du Nevada. Je suis venu avec un ami aussi émoustillé que moi, nous sommes tous les deux en robe. J’ai opté pour un modèle mi-long aux motifs panthère noirs et blancs, ainsi que pour des lunettes démesurées et des paillettes dorées autour des yeux. Lui est en déshabillé de soie rose avec collier vermeil et boucles d’oreille mauves, qui dénotent un peu avec sa barbe et sa chevelure poivre et sel. La soirée se divise en deux espaces : un dancefloor entouré de tentures de velours, au-dessus duquel je me prépare à officier depuis une mezzanine, et au bout du couloir le baisodrome, qu’on appelle ici la playroom. Pour le moment, les gens restent habillés et se contentent de faire connaissance sur la piste.
Cabaret burlesque
Au bout d’une heure de bavardage poli, on annonce le spectacle de cabaret qui ouvre la soirée. Tout le monde passe dans la pièce du fond, une salle intime à la scène décorée de dentelles multicolores. Nous sommes presque 200 à nous asseoir sur les fauteuils ou simplement par terre, et tous ces partouzeurs sagement alignés ont l’air bien attendrissants avec leur petit harnais et leurs ailes de fée. Les numéros se succèdent, présentés par une créature délicieusement cynique qui décline les bases de l’humour drag-queen. Nous écoutons d’abord une chanteuse en combinaison de vinyle noire intégrale, à laquelle succède une stripteaseuse burlesque qui se déshabille en agitant gentiment ses fesses flanquées de cache-tétons, tout en faisant semblant de jouer de la guitare sur une chanson des Rolling Stones. On passe ensuite aux choses sérieuses avec une sorte d’immense croque-mort dégingandé à la truffe de cochon, qui fait peur à tout le monde avec ses poses morbides. Il choisit dans l’assistance une spectatrice, qu’il assoit sur une chaise avant de lui écarter les cuisses, dévoilant son sexe dénudé – visiblement elle a préparé son coup. Après moult circonvolutions, il introduit ses doigts dans sa fente et en retire… un petit œuf de caille. Qu’il épluche et mange en nous regardant d’un petit air narquois, avant de sortir sous les applaudissements. C’est enfin le tour d’un type nu au corps sculptural, le sexe enfilé dans un fourreau, qui se drape voluptueusement dans un grand rideau de plastique. Je profite de l’attention du public pour le photographier discrètement, une autorisation exceptionnelle m’ayant été dispensée. Le spectacle se termine sur une parodie de serment en commun, qui voit chacun se saisir de la fesse de son voisin en clamant sa fierté d’être pervers. Puis nous retournons sur le dancefloor pendant que des matelas sont installés pour l’orgie à venir.
Empoignade
Je prends les platines, démarre avec quelques références de bon aloi comme “L’Amour à plusieurs” d’Ann Sorel et “Nadine, Jimmy et moi” d’Alain Kan, avant d’enchaîner sur du nu-disco plus suave et un peu de deep house (voir playlist). Devant moi, certaines danseuses ont déjà les seins nus, les jupes se retroussent sur des porte-jarretelles fluo, un type en string se fait fouetter sur une croix de Saint-André. Régulièrement, des couples s’éloignent dans le couloir. Après avoir mixé une bonne partie de la nuit, j’abandonne les platines et descends jeter un coup d’œil au baisodrome. Une quarantaine de protagonistes sont en train de s’empoigner à qui mieux mieux sur une douzaine de matelas. Tout ce petit monde se suce, se lèche, se triture les tétons, des filles avec des garçons, des filles avec des filles, des garçons avec des garçons, des filles avec des garçons et des filles, on ne sait plus où donner de la tête. Ces manœuvres s’ordonnent toutefois dans la plus grande discipline, chaque groupe a son petit espace, ça ne déborde pas beaucoup. Visiblement, les gens arrivent ensemble sur les matelas et, une fois en action, ne font pas participer les voisins. Et moi ? Juste avant de passer en piste, j’ai la brillante idée de tirer sur un joint beaucoup trop chargé. Résultat, je passe le reste de la soirée empêtré dans ma gêne, incapable de lier conversation… J’ai beau essayer de me remettre les idées en place en m’aspergeant la figure, je ne parviens qu’à faire dégouliner mes paillettes, c’est la déroute. Au petit matin, je repars donc bredouille en compagnie de mon ami, qui a en revanche profité de l’occasion pour lancer son harpon à plusieurs reprises. On dira que ça me fait au moins une bonne histoire à vous raconter. Ouais, on dira ça.
Article paru dans le Trax 201, avril 2017.
Témoignages
Nous avons interrogé l’organisatrice et deux participants pour mieux comprendre les codes de cette curieuse soirée.
L’organisatrice : « Etre très respectueux »
« L’histoire de cette soirée a démarré il y a quatorze ans dans le salon d’une coach sexuelle de San Francisco. L’idée était de faire du body positive et du sex positive, c’est-à-dire de mettre en avant le principe que tous les corps et toutes les sexualités sont beaux. Cette activiste tient un camp à Burning Man, à partir duquel le concept s’est répandu à Los Angeles, Austin, New York, Londres, Berlin et Amsterdam. Avec deux amis, nous sommes allés à l’édition londonienne en 2015, ça a été un gros flash et nous avons décidé de monter le même événement à Paris. Nous ne communiquons absolument pas, tout passe par le bouche-à-oreille, car nous voulons que ça reste une petite bulle d’amour. Pour l’édition française, je me suis particulièrement inspirée de l’univers très cabaret du film Shortbus. Nous avons des polyamoureux, donc susceptibles d’entretenir plusieurs relations en même temps, mais aussi des burners, des fétichistes, des BDSM et quelques libertins, qu’on appelle également des échangistes. Mais les libertins, pour avoir fait des soirées avec eux à Paris et au Cap d’Agde, c’est un peu les Bidochon du sexe ! Les gens peuvent venir costumés comme ils l’entendent, nous cherchons à casser les codes très stricts que l’on voit par exemple dans les soirées BDSM. Le principe de la soirée est d’être très respectueux. Il ne faut pas être timide, participer, expérimenter ses limites, tout en demandant toujours le consentement, respecter le lieu et l’espace de son voisin. Il ne doit y avoir ni jugement ni supposition. Et il faut savoir gérer ses consommations. »
Une participante : « C’est une bulle de bienveillance »
« C’est une bulle de chaleur et de bienveillance, sans jugement, donc on peut baisser les barrières habituelles. Il y a un aspect sexuel mais sans obligation. On peut toujours rester à l’extérieur de la playroom à discuter avec des gens incroyables. Une fois j’ai fini par y aller avec un garçon, que je connaissais de loin, et l’amie qui l’accompagnait. On avait parlé une heure ou deux et finalement décidé d’aller plus loin, c’était juste un partage supplémentaire. Ensuite, on remet les barrières habituelles, ce qui se passe là-bas reste là-bas. »
L’ami néophyte : « Ce n’est pas une partouze »
« En réalité, ce n’est pas une partouze mais de l’exhibition, les gens font l’amour les uns à côté des autres. Ca drague sur le dancefloor avant d’aller dans le baisodrome, où les gens ne se mélangent pas. Tu ne peux pas arriver et demander à participer aux parties de baise des autres. Il y a parfois de la jalousie, beaucoup de couples ne se partagent pas vraiment. Et c’est très discipliné, il y a plein de règles. Il faut faire l’amour sur les matelas prévus pour ça, pas sur les fauteuils, sur le dancefloor ou dans les coins sombres par exemple. Il y a des freaks, des gens très libérés, mais on a aussi l’impression que beaucoup viennent de milieux très stricts. Ils ont acheté leur petit costume exprès, ils respectent le thème à la lettre, n’improvisent pas. Ils sont allés dans la meilleure boutique, ils ont les épaulettes, la ceinture, tout y est. C’est très cadré, il faut bien demander l’autorisation, même si certains dérapent un peu plus comme cette fille qui m’a embrassé à la volée. C’est à la fois incroyable et au ras des pâquerettes, mais c’est génial quand même. Je n’avais jamais vu un truc pareil. »
Playlist
Ann Sorel – L’amour à plusieurs
Alain Kan – Nadine, Jimmy et moi
Juliette Gréco – Déshabillez-moi
Colette Renard – Les Nuits d’une demoiselle
Alain Souchon – Regarder sous les jupes des filles
Philippe Nicaud – Cuisses nues bottes de cuir
Boris Vian – Fais-moi mal Johnny
Charlotte Leslie – Les filles c’est fait pour faire l’amour
Les Brigitte – Ma Benz
Pierre Perret – Vous saurez tout sur le zizi
Lio – Banana Split
France Gall – Les sucettes à l’anis
Britney Spears – I’m a Slave 4U
Beyoncé – Naughty girl
Prince – Kiss
DaWad Feat. Dr No – Dancing Delight
Lil Louis – French Kiss
Sexy Sushi – Sex appeal